Namibie, Botswana, Zimbabwe : les rêves d’Afrique sauvage se réalisent en croisière sur le fleuve Zambèze
Safari-croisière•Calme dans sa traversée de la savane, le Zambèze se brise avec fracas dans les chutes Victoria, avant d’alimenter le lac Kariba. Un fleuve de légende qui dévoile ses multiples facettes au fil de l’eauJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
On les entend bien avant de les apercevoir. Par hautes eaux, les chutes du Zambèze annoncent leur présence dans un grondement défiant l’imagination. Quelle stupeur David Livingstone dut éprouver lorsqu’il les découvrit enfin !
Fasciné par les grands vides sur les cartes d’Afrique du XIXe siècle, le missionnaire britannique avait déjà exploré le sud du continent quand il parvint à ce prodige de la nature. « C’est le spectacle le plus saisissant que j’ai jamais contemplé » confia-t-il dans son journal d’expédition. En l’honneur de sa reine, il donna le nom de Victoria à ces chutes. Il se fit déposer sur une île au milieu du site, y planta divers noyaux de fruit, puis grava sur un arbre ses initiales et l’année de sa découverte : 1855.
Plus d’un siècle et demi après Livingstone, le tumulte des chutes Victoria résonne toujours comme une promesse d’aventure. L’éternel arc-en-ciel qui les chevauche est l’apothéose d’un circuit unique en son genre, aux confins de la Namibie, du Botswana et du Zimbabwe.
Fort de cinq décennies d’expérience dans le tourisme fluvial, CroisiEurope a imaginé, en 2018, un safari-croisière sur le Zambèze, alternant séjour à terre et navigation en direction des chutes. Soucieuse d’offrir un niveau de prestation optimal dans ces régions isolées, la compagnie alsacienne a fait construire son propre lodge, en Namibie, et son propre bateau, au Zimbabwe : le RV African Dream. Le remorquage de ce dernier en camion, depuis les ateliers de Harare, la capitale, jusqu’au lac Kariba, reste gravé dans les annales. Un moment de bravoure réédité en 2020 avec l’inauguration d’un second bateau : le RV Zimbabwean Dream.
Un univers mi-solide mi-liquide
En amont des chutes, avançant à la surface de vastes plateaux, le Zambèze est un cours d’eau paisible, large et encombré d’une multitude d’îles plates et verdoyantes. L’aventure débute sur celle d’Impalila, à la pointe occidentale de la Namibie, là où les eaux du fleuve rencontrent celles de la rivière Chobe. Cette confluence a la particularité unique au monde de créer une frontière naturelle entre quatre pays. Considération dont se moque bien la faune sauvage qui pullule ici, même quand on ne la voit pas.
Une comptine locale prévient les visiteurs : « Je suis le fleuve. À ma surface, tu trouves la vie, en dessous, tu trouves la mort ». Cette région humide grouille, en effet, de poissons-tigres aux dents acérées, mais surtout de crocodiles et d’hippopotames. Ces derniers sont les plus redoutables. Sous leur puissante mâchoire, la coque d’une barque ne présenterait guère plus de résistance qu’une vulgaire canette de soda. Heureusement, ces animaux sont de piètres nageurs. Ils restent donc groupés dans l’eau, à proximité des berges, ne dévoilant que leurs larges naseaux et leurs yeux méfiants, tels des périscopes à l’affût des intrus.
De loin, les éléphants ressemblent, quant à eux, à des blocs de roche sombre émergeant des hautes herbes. La savane arborée du parc national de Chobe en abrite la plus grande densité d’Afrique. Buffles, zèbres, léopards, lions, girafes et toutes sortes d’antilopes peuplent aussi les environs. Mais que ce soit en safari nautique ou en véhicule 4x4 sur les pistes du parc, les rencontres animales restent aléatoires. Surtout de novembre à avril, lorsque les pluies arrosent le paysage. En cette saison, il peut s’écouler dans le Zambèze jusqu’à quinze fois plus d’eau qu’en période d’étiage, soit environ 6,000 m3/s.
Au piège du Kariba
Dans cette zone de frontières, les seuls spécimens que les voyageurs peuvent être certains d’approcher en toutes saisons sont les agents d’immigration. Les passages quotidiens de Namibie au Botswana s’accompagnent d’une moisson de tampons dans les passeports. Dans les postes de brousse, ces formalités rapides se déroulent dans une ambiance bon enfant. Elles ne retrouvent leur caractère fastidieux qu’à l’aéroport de Kariba, au Zimbabwe. Mais ces procédures sont vite oubliées quand vient l’heure d’embarquer sur le Zimbabwean Dream.
Ce nouveau bateau est l’écrin intimiste d’une navigation d’exception dans une des régions les plus sauvages du continent africain. Le lac Kariba, qui signifie « Petit Piège », est une retenue artificielle qui s’étend sur 220 kilomètres de long et 40 de large. La formation de cette véritable mer intérieure, suite à la mise en eau d’un barrage en 1959, a noyé des milliers de mopanes, des arbres au bois imputrescible. Mais une « opération Noé » a permis le sauvetage de 6.000 animaux. Depuis, les abords du lac sont un havre de fraîcheur pour les mammifères, les crocodiles et d’innombrables oiseaux : hérons goliaths, anhingas, calaos, marabouts et aigles pêcheurs, symboles du pays.
Avec ses deux navires jumeaux, CroisiEurope est le seul opérateur étranger sur le Kariba. La croisière de trois jours s’effectue dans le bassin est du lac, entre la rivière Gache Gache et le parc national de Matusadona. Dans le silence du petit matin, lorsque les troncs de mopanes morts se reflètent sur la surface immobile, le sentiment d’être seul au monde est absolu. Symbole de ce superbe isolement, le parc ne reçoit guère plus de 600 visiteurs par an. À titre de comparaison, les chutes Victoria en reçoivent plus d’un million sur la même période.
Le bruit et la fureur
La première vision des chutes Victoria est celle d’un nuage étincelant, s’élevant à 200 mètres au-dessus de la forêt pluviale. Il faut s’approcher un peu plus pour comprendre pourquoi les Lozis, vivant sur les rives du Zambèze, les appellent Mosi-oa-Tunya, la « fumée qui gronde ». Ce que l’on prenait pour un nuage est en fait la vapeur d’eau soulevée par un courant d’air ascendant d’une puissance inouïe, créé par une immense fracture du terrain, qui précipite sans transition toute la largeur du fleuve dans une gorge étroite.
Les chutes battent ainsi un record : celui du plus long rideau liquide de la planète. Leur front se développe sur 1.700 mètres. Leur hauteur, quant à elle, varie d’ouest en est, de 75 à 108 mètres, soit le double des célèbres chutes du Niagara.
Pour admirer les différents secteurs des chutes, plusieurs points de vue ont été aménagés sur le bord opposé de la cataracte. Ne pas oublier de louer un imperméable à l’entrée du site ! Par hautes eaux, les visiteurs qui osent s’aventurer jusqu’au bord du gouffre se retrouvent littéralement douchés par les vapeurs tourbillonnantes qui retombent en pluie drue.
Alors que le Zimbabwe se remet difficilement du marasme financier dans lequel l’avait plongé le régime autoritaire de Mugabe, les chutes classées par l’Unesco constituent une manne précieuse. Dans la localité de Victoria Falls, tout a été pensé pour attirer et combler les touristes internationaux : spectacle de danse traditionnelle dès la sortie de l’aéroport, saut à l’élastique en aval de la cataracte, bateaux-restaurants en amont, survol en hélicoptère, lodges avec vues sur éléphants… La quiétude du lac Kariba est déjà loin ! Mais au terme d’un voyage mémorable, l’arc-en-ciel magique qui accueillit jadis David Livingstone est bien au rendez-vous.
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