Au Kenya, le safari reste à la hauteur du mythe véhiculé par la littérature
Faune africaine•En langue swahilie, safari signifie « bon voyage ». Synonyme de rencontres animalières, cette forme d’aventure se pratique en 4x4, en bateau, mais aussi à vélo ou à pied, sur les plateaux du Kenya centralJean-Claude Urbain pour 20 Minutes
La savane du Kenya a toujours nourri l’imaginaire. D’illustres auteurs, comme Ernest Hemingway ou Joseph Kessel, y ont puisé la matière de chefs-d’œuvre littéraires. C’est toutefois le nom de Karen Blixen qui s’impose lorsqu’on évoque le pays des Masaï. L’écrivaine danoise avait touché le monde entier, en 1937, avec La Ferme africaine, un livre autobiographique relatant son amour pour un aristocrate anglais, mais surtout pour le Kenya, sa nature et ses habitants.
L’adaptation cinématographique de ce best-seller par Sydney Pollack, en 1985, est devenue culte, elle aussi. Couronné de sept Oscars, le film Out of Africa doit beaucoup aux paysages kenyans. Cette romance entre la baronne-fermière incarnée par Meryl Streep et le guide de chasse campé par Robert Redford a été tournée, en partie, sur les hauts plateaux de Laikipia, au centre du pays.
Exception faite de la réserve nationale du Masaï Mara, Laikipia possède la faune la plus diversifiée du Kenya. Ce district aux vastes étendues de bush est un patchwork de ranchs privés, de villages et de sanctuaires animaliers assez peu fréquentés. Parmi ces derniers, Ol Pejeta Conservancy est voué à la protection des rhinocéros. Mais on peut également y observer des éléphants, des buffles, des lions et des léopards. Ces cinq espèces sont les fameux « Big Five » jadis ciblés par les exaltés de la gâchette. Les safaris de chasse étant prohibés sur tout le territoire depuis 1977, c’est donc armé d’appareils photo que l’on traque la beauté sauvage du pays.
Réservoirs de vie animale
Les voyageurs qui quittent Nairobi en direction du centre du Kenya se trouvent rapidement confrontés à une rupture du terrain, offrant à leur regard d’infinis horizons. Sans aucune transition, ils reçoivent la révélation d’une des plus gigantesques fractures de la croûte terrestre : la vallée du Grand Rift.
Ce système de failles, qui fracture le continent africain de la mer Rouge jusqu’au Mozambique, est exceptionnel à plus d’un titre. On lui attribue d’abord l’acquisition de la bipédie par les premiers hominidés. La position verticale serait effectivement une adaptation de nos ancêtres primates aux dangers de la savane. Dans les dépressions du Rift kenyan se sont par ailleurs formées de véritables mers intérieures autour desquelles se concentre une impressionnante ménagerie.
À 1.880 m d’altitude, le Naivasha est le plus élevé de ces lacs. Installés dans de petites embarcations à moteur, les safaristes passionnés d’ornithologie ne savent rapidement plus où donner de la tête. Ibis, cormorans, hérons, échassiers, tisserins et autres aigles pêcheurs à tête blanche offrent un spectacle de chaque instant sur ces rivages verdoyants. Dans la brume matinale, le site est bucolique à souhait. Gare cependant à ne pas tomber à l’eau ! Quelque 2.000 hippopotames se dissimulent près des berges.
Contrairement au Naivasha dont l’eau est douce, la plupart des lacs du Rift sont salés, ou plus précisément alcalins. Cette caractéristique favorise le développement d’une algue dont raffolent les flamants. Des centaines de milliers d’individus barrant l’horizon d’un drap rose ont fait la réputation du Nakuru, à quatre heures de route au nord du Naivasha.
Pour des raisons à la fois climatiques et géologiques, le niveau de ce lac s’est récemment élevé, diluant l’eau salée et contrariant le régime des flamants. Ces derniers se font donc plus rares aujourd’hui. Mais qu’importe ! Pas moins de cinquante-six espèces de mammifères peuvent être observées à l’occasion d’un safari véhiculé autour du Nakuru : zèbres, buffles, impalas et gazelles, mais aussi rhinocéros, blancs et noirs, girafes et autres grands félins.
Le safari autrement
Une telle diversité animale a motivé la création d’un parc national autour du lac Nakuru. Ce type de zone protégée est géré par le Kenya Wildlife Service, une agence rattachée au ministère du Tourisme dont l’objectif est d’améliorer la conservation de la faune par le développement durable des activités humaines et la surveillance armée contre le braconnage. Parmi les actions menées, la promotion de formes alternatives de safari, sans moyens de locomotion bruyants ni polluants, participe à la mise en valeur de nouvelles régions.
À proximité du lac Naivasha, le petit parc isolé de Hell’s Gate est la première zone protégée où l’on peut circuler à vélo parmi la faune sauvage, pique-niquer, et même faire du camping. Cette « porte de l’enfer », dépourvue de fauves, possède un nom faussement inquiétant. On y pédale sur une dizaine de kilomètres dans une vallée étroite, dominée par de hautes falaises d’orgues basaltiques, dont le cachet pittoresque a inspiré les dessinateurs de Disney pour Le Roi Lion (1994).
Sur le plateau de Laikipia, le safari peut même se transformer en randonnée pédestre ou à dos de dromadaire. Ces hautes terres semi-arides sont pourtant le territoire des hyènes, des lions et des léopards. Mais contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas ces prédateurs qui sont les plus à craindre. Les éléphants et les buffles, qui peuvent se révéler redoutables lorsqu’ils sont sur la défensive, représentent une bien plus grande menace pour les humains de passage.
Les guides Masaï d’agences privées, comme Karisia, apprennent dès leur plus jeune âge à composer avec cet environnement. Avec beaucoup d'humour, ils partagent volontiers leurs connaissances de la savane lors de virées itinérantes, dont ils garantissent la sécurité, l’intendance et la bonne humeur. À l’heure du traditionnel sundowner, lorsque les safaristes quittent leurs tentes de brousse pour trinquer autour du feu de camp, la magie du Kenya touche à son paroxysme. C’est alors que les fantômes de Karen Blixen et de son chasseur d’ivoire se joignent au groupe pour écouter le cri des hyènes, face au crépuscule.
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