Présidentielle 2022 : Emmanuel Macron refuse de débattre avec les autres candidats, une position injustifiable ?
FORFAIT•Comme le dit le président candidat, jamais un sortant n’a participé à un débat avec les autres candidats avant le premier tour. Mais n’est-ce pas justement le problème ?Rachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Emmanuel Macron a annoncé lundi qu’il ne participerait à aucun débat avec les autres candidats et candidates avant le premier tour de la présidentielle.
- Alors qu’aucun de ses prédécesseurs ne l’a fait, pas de raison qu’il s’y prête, d’après lui.
- Mais cette position ne correspond à aucun standard démocratique européen et au-delà.
Ce mercredi, Emmanuel Macron a déjeuné avec le premier ministre néerlandais, Mark Rutte. A la veille du sommet de l’Union européenne à Versailles, il a sans doute peu été question de la campagne présidentielle en France. Dommage : Emmanuel Macron aurait pu demander à son homologue comment il a fait pour gérer lors des dernières élections dans son pays, en 2021, alors qu’il était sortant… pas moins de quatre débats radio et télévisés face aux autres candidats et candidates. Très peu pour Emmanuel Macron, qui a confirmé, lundi soir, en marge de son déplacement à Poissy, qu’il ne ferait pas de confrontations avant le premier tour avec ses adversaires.
Pourquoi ? « Aucun président en fonction qui se représentait ne l’a fait. Pourquoi je ferai différemment ? », a argumenté le président candidat. C’est factuellement vrai. Les deux débats organisés en 2017 (sur TF1 avec les 5 principaux candidats et sur CNews et BFMTV avec les 11 candidats et candidates) étaient les premiers vrais débats d’avant premier tour d’une présidentielle organisés en France. Et il n’y avait pas de sortant dans leurs rangs. Le sortant justement, François Hollande, trouvait même « l’idée épouvantable » et « dangereuse », rien de moins. En France, l’usage, c’est le duel de l’entre-deux tours depuis 1974. Qui n’a connu qu’une exception, en 2002, quand Jacques Chirac a refusé de débattre avec Jean-Marie Le Pen.
« Immaturité démocratique »
Les oppositions sont scandalisées, mais au fond pas surprises. « Il y a une forme d’esquive systématique », juge Valérie Pécresse ce mercredi, elle qui réclame à cor et à cri un débat avec tous les candidats depuis des semaines. « C’est incroyable qu’il décide de ne pas participer à des débats. Il est dans la continuité de sa présidence monarchiste », s’étouffe le député insoumis Eric Coquerel, qui veut tout de même essayer de « mettre la pression » sur le président candidat. Nathalie Arthaud, quant à elle, « regrette » la décision d’Emmanuel Macron.
L’argument historique avancé par la présidence est jugé peu convaincant : cela serait une première, oui, mais « ce serait aussi un progrès », notait il y a un mois dans Le Figaro Pascal Perrineau. A la même époque, le politologue, d’ordinaire pondéré, n’avait pas de mots assez durs sur Public Sénat pour qualifier un éventuel refus de débattre d’Emmanuel Macron : « Il y a là un signe troublant d’immaturité démocratique, de continuité de réflexes monarchiques qui appartiennent à un autre temps. (…) C’est insensé, c’est incompréhensible ! » « On passe pour des ringards », lâchait-il, même, au regard des standards européens.
Le cas de la France quasiment unique en Europe occidentale
De ces standards, la France en est encore loin, très loin. Mark Rutte, puisqu’on a donné son exemple, premier ministre des Pays Bas depuis 2010, a participé à une dizaine de débats – rien qu’en période électorale – face à ses adversaires depuis qu’il est en poste. Pedro Sanchez en Espagne, Antonio Costa au Portugal, Boris Johnson au Royaume-Uni. Au Danemark, en Norvège, en Suède. Même Angela Merkel en son temps… Tous les sortants débattent avec leurs adversaires avant les élections. Et le plus souvent plutôt deux fois qu’une. Dans les pays scandinaves, il n’est même pas rare de voir le ou la Première ministre en fonction se prêter à ce type de joute avec les chefs des autres partis hors période électorale. Des mœurs politiques bien exotiques pour la France.
Chez les marcheurs, la décision d’Emmanuel Macron relève de l’évidence. « Tout a été dit, non ? », s’entend-on dire quand on cherche à discuter du sujet. Sur France Inter, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a simplement ajouté vouloir éviter « une foire d’empoigne » où le président serait seul contre tous pour défendre son bilan. Mais n’est-ce pas le principe d’une campagne électorale pour le sortant ?
Format « guichet »
Cinq ans après la campagne de la disruption, Emmanuel Macron est donc rentré dans le rang – bien confortable – de la Ve République. Certes, on ne l’apprend pas aujourd’hui. Mais pour Luc Rouban, du Cevipof, interrogé par 20 Minutes, cela marque une mutation du macronisme. « On est loin de l’horizontalité affichée en 2016-2017. C’est plus vertical, désormais. Le discours hors des partis, et droite, et gauche, de 2017, s’est transformé en un discours au-dessus des partis. Le macronisme est beaucoup plus gaulliste en 2022 ». Tout cela dans un contexte où « la défiance et le malaise démocratique n’a pas disparu ».
Résultat : pas de débat. Ou des formats où les candidates et candidats se succèdent à table toute la soirée, comme sur France 2 en avril 2017. Une sorte de « format guichet ». Le premier aura lieu lundi soir, sur TF1. Et pourquoi pas des débats, mais sans Emmanuel Macron ? Le député insoumis Eric Coquerel se le demande : « Il n’est pas possible que les médias se plient aux désidératas du président, c’est un devoir démocratique. Il ne faudra pas venir ensuite verser des larmes de crocodiles sur l’abstention. » Compliqué à cause des règles de temps de parole.
Il existe néanmoins un précédent : en 2012, France 2 avait organisé un débat en confrontation… Mais où Nicolas Sarkozy était représenté par une porte-parole. Du coup, ni François Hollande, ni Marine Le Pen, ni Jean-Luc Mélenchon n’étaient là non plus. Le débat sans le quarté de tête avait été diffusé en deuxième partie de soirée. En organiser un débat avec tout le monde mais sans Macron, le risque est d’acter que la campagne présidentielle s’est définitivement transformée en version politique de « Tout le monde veut prendre sa place » : avec des challengers contre un champion qui, lui, n’arrive qu’en finale.