Présidentielle 2022 : Standing ovation, débat arrangé… A Poissy, le premier rendez-vous d’Emmanuel Macron en terrain connu
CAMPAGNE•Emmanuel Macron a fait ses premiers pas de candidats sur le terrain dans une conversation aseptisée où le président n’est jamais loin du candidatRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Trois jours après sa déclaration de candidature, Emmanuel Macron a fait sa première sortie sur le terrain, lundi à Poissy.
- Il avait rendez-vous en terrain connu, dans le format du « grand débat national » après la crise des « gilets jaunes ». Un format dans lequel il est très à l’aise.
- Le président candidat affirme qu’il ne se dérobe pas à la campagne, mais impose ses conditions au débat.
A Poissy (Yvelines)
« Tout doucement. Envie de changer d’atmosphère, d’altitude », chantait Bibie en 1985. Des paroles qui s’accordent tout à fait au début de campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. Une descente lente et progressive des hautes sphères présidentielles. Et notamment à cette première réunion donnée lundi soir à Poissy, dans les Yvelines. Cette « conversation » avec des habitants triés sur le volet a parachevé l’atterrissage tout en douceur du président sortant dans la campagne. Jeudi soir, Emmanuel Macron s’est enfin déclaré candidat d’une manière on ne peut plus classique et sans risque, dans une « Lettre aux Français » publiée dans la presse régionale. « Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. » Qui est contre ?
Vendredi soir, l’équipe de campagne de Macron a publié le premier épisode d’une « série » vidéo hebdomadaire, Le Candidat. Un exercice très léché, et, là aussi, sans risque pour le sortant face aux questions très préparées du réalisateur. « Est-ce que ce n’est pas un peu plié ? » « Non pas du tout, alors là détrompez-vous ! », répond Macron. Lundi matin, il a reçu à son QG de campagne une partie des maires ou élues qui l’ont parrainé et le soutiennent pour un second mandat, avant d’accorder sa première interview de candidat à LCI.
Un décor connu
Et dans la soirée, donc, le président candidat était donc attendu au bout du RER A. Au programme : une « conversation avec les habitants », en fin d’après-midi, dans une grande salle polyvalente de Poissy, devant 200 ou 300 habitants et habitantes sélectionnés par le maire, Karl Olive, élu divers droite mais soutien affiché du président depuis plusieurs années. A l’extérieur, c’est un peu comme devant un stade : invités et journalistes devront longuement attendre pour le contrôle de leur pass vaccinal et de leur invitation. Et puis, campagne d’un président sortant oblige, personne n’échappera aux palpations de sécurité et même, pour les journalistes, à l’inspection par une brigade cynophile.
A l’intérieur, on est plutôt au théâtre. Le décor, d’abord, ressemble à s’y méprendre à celui du « grand débat national » lancé par le chef de l’Etat en réponse à la crise des « gilets jaunes ». A l’époque, Emmanuel Macron avait sillonné le pays pour participer à plusieurs rencontres face aux maires, aux élus locaux, ou d’autres catégories de population. A chaque fois, le président était au centre de la salle, le public autour de lui, et tenait le micro parfois des heures et des heures pour répondre aux questions. Le président-candidat y a d’ailleurs fait référence hier soir : au bout d’une heure et demie, abandonnant la posture d’humilité qu’il affiche depuis sa déclaration de candidature, il a dit sa frustration à l’approche de la fin de la rencontre, lui qui s’est « physiologiquement habitué aux débats de sept heures ».
Questions prétextes
Deux heures plus tôt, la salle se remplit. Ça grouille jusqu’à ce qu’on demande à tout le monde de s’asseoir, alors le brouhaha devient murmure. Emmanuel Macron, se fera attendre encore un petit moment encore. Et puis c’est la standing ovation : deux bonnes minutes d’applaudissements debout à l’arrivée du candidat qui laissent à penser que la suite de la soirée ne sera pas trop difficile pour lui. Karl Olive, Monsieur loyal, essaie de nous faire comprendre que le personnage principal dans la pièce, c’est le public : « Ici, vous avez la France, qui va vous poser des questions », décrit le maire qui parle d’un « exercice sans filtre ». Ce dont on peut douter.
Car bien sûr, c’est Emmanuel Macron, le personnage principal. La dizaine de questions auxquelles il a été soumis, posées en majorité par des gens qui n’ont pas voté pour lui en 2017 – on n’aurait pu s’y méprendre sans cette précision – n’ont été que des prétextes à « esquisser quelques convictions et quelques propositions » sur l’éducation et le pouvoir d’achat. Emmanuel Macron a annoncé son intention de supprimer la redevance audiovisuelle dans un prochain quinquennat et de tripler le plafond de la « prime Macron », née après la crise des « gilets jaunes ». Sans cesse Emmanuel Macron alterne les casquettes de candidat et de président, et sait flatter son auditoire au moment d’aborder l’Ukraine : « Avant de vous retrouver, j’étais avec le président Biden, demain je serai avec le président Xi Jinping », avance-t-il, l’air de ne pas y toucher.
Très à l’aise
A l’issue, dans le public, on retrouve les yeux conquis et même admiratifs des macronistes d’il y a cinq ans. Certains l’étaient déjà, comme Laurent, qui a voté pour lui en 2017 et estime que les crises ont « volé trois ans de mandat » à son président. Guillaume, la quarantaine, a voté Hamon en 2017, n’a pas été « convaincu sur tout » pendant les cinq ans écoulés. Mais il a trouvé le candidat « très à l’aise » lundi soir et pense « se laisser convaincre » le 10 avril. C’est vrai qu’Emmanuel Macron est terriblement à l’aise dans ce dispositif. Et pas seulement parce que les questions sont faciles – France Inter a même démontré qu’elles étaient préparées, mais on n’en doutait pas – ou le public déjà conquis ou presque.
Ça n’est donc pas un hasard si le format « grand débat national » fait son retour dans la campagne électorale. Ce type de dispositif offre au moins une image à la campagne du président sortant : celle d’une confrontation, arrangée certes, mais qui semble suffire au bonheur des marcheurs et marcheuses. « Plutôt que de faire des meetings où les gens vous applaudissent parce qu’ils sont déjà convaincus, je préfère le débat avec les Français, c’est ce que je leur dois », a déclaré Emmanuel Macron après la rencontre de Poissy. Un élément de langage déjà largement repris, et sert d’argument quand on reproche au sortant de se dérober au débat, le vrai, avec les autres candidats. Débat qu’il refuse – c’est officiel depuis lundi soir.
Pour rassurer les journalistes présents, il a tout de même précisé que le temps de leurs questions viendrait… mais bientôt. On pourrait se dire qu’Emmanuel Macron poursuit finalement son œuvre de désintermédiatiation, qu’il casse les codes. Il impose en réalité les siens. Au fond, même quand il fait mine de descendre de l’Aventin présidentiel pour revenir sur le plancher des vaches, il le fait avec l’assurance de celui qui est haut, très haut dans les sondages, et peut largement se permettre d’imposer ses conditions au débat. Et pour lui c’est, « tout doucement ».