INTERVIEW« Qui divise qui ? », demande Sandrine Rousseau après son éviction

Présidentielle 2022 : « Qui divise qui ? », demande Sandrine Rousseau après son éviction de la campagne Jadot

INTERVIEWDans une interview à « 20 Minutes », l’ancienne candidate à la primaire écologiste rejette le procès en déloyauté et renvoie la responsabilité de la division sur l’entourage de Yannick Jadot
Rachel Garrat-Valcarcel

Propos recueillis par Rachel Garrat-Valcarcel

L'essentiel

  • Finaliste à la primaire écologiste, Sandrine Rousseau a été évincée de l’équipe de Yannick Jadot la semaine dernière, à la suite de déclarations critiques à l’égard du candidat parues dans la presse.
  • Dans un entretien à 20 Minutes, l’élue confirme qu’elle votera pour Yannick Jadot le 10 avril prochain, même si elle juge son exclusion « absurde ».
  • « Il manque un débat plus à gauche [dans la campagne du candidat], sur une écologie sociale et populaire », estime Sandrine Rousseau.

Evincée jeudi après ses critiques à l’égard de la campagne de Yannick Jadot, Sandrine Rousseau contre-attaque. Celle qui a de justesse perdu la primaire écologiste refuse absolument l’étiquette de diviseuse de son camp. Pour l’universitaire, si les intentions de vote à l’égard du candidat écologiste à la présidentielle sont si basses, c’est parce que le candidat n’a pas assez tendu la main à l’aile gauche de l’électorat. Et la suite ? Sandrine Rousseau laisse la porte ouverte pour les législatives et le congrès d’EELV, mais explique clairement à 20 Minutes qu’elle est là pour rester.

Vous avez dénoncé un discours de campagne « flou » de la part de Yannick Jadot, « un gâchis », selon des propos rapportés par Le Parisien la semaine dernière. Comprenez-vous votre éviction de son équipe de campagne ?

J’en prends acte mais elle me semble absurde. Pas en regard de moi, mais politiquement : c’est un message de repli, là où il s’agit désormais plus que jamais de rassembler.

N’est-il pas légitime, du point de vue de l’équipe du candidat, d’attendre de la loyauté pendant la campagne, surtout de la part d’une candidate à la primaire ?

Je vous mets au défi de trouver les moments où je n’ai pas été loyale. Alors que tous les jours, quelqu’un change de candidat, je n’ai jamais dévié de ma ligne ni de ma parole : je suis à la fois fidèle à la moitié de l’électorat de la primaire qui m’a soutenue – et que personne n’a le droit d’annuler – et fidèle au résultat de cette primaire, qui a incontestablement fait de Yannick Jadot le candidat des écologistes pour cette élection. L’unité ne se nourrit pas de l’uniformité, mais du rassemblement.

Ce n’était quand même pas les premières critiques qu’on a vues dans la presse…

Non, je n’ai pas fait de critiques dans la presse ! Les propos incriminés proviennent de discussions reconnues comme privées, qu’un journaliste a fait le choix de poser de manière très approximative sur la place publique. A qui profite le crime ? Il y a là une question déontologique qui regarde la profession. Pour le reste, dans mes propos publics, je n’ai jamais fait que tenter de défendre un équilibre politique.

Qu’est ce qui manque dans cette campagne aux écologistes ?

Un message à l’intention de l’aile gauche ! Il manque un débat plus à gauche, sur une écologie sociale et populaire. C’est ce que j’ai incarné et je vois que beaucoup de personnes qui m’ont soutenue sont parties chez Jean-Luc Mélenchon depuis la primaire. Là, bien sûr, depuis mon éviction, c’est encore pire. Jean-Luc Mélenchon est monté dans les sondages à mesure que Yannick Jadot baissait. Il faut faire vivre un pluralisme de l’écologie.

Mais est-ce que la ligne politique n’a pas été tranchée par la primaire écologiste, précisément ?

La primaire a tranché qui serait le candidat. Mais avec un résultat à 51 %/49 %, elle a précisément montré que la ligne n’est pas univoque. C’est pour cela qu’on avait absolument besoin de trouver des formes de compromis, de concerter, de faire vivre une écologie plurielle. On ne peut pas se passer de la moitié d’un électorat. Et, de fait, les intentions de vote de Yannick Jadot ont beaucoup baissé depuis la primaire.

Après la primaire, vous êtes devenue présidente du conseil politique du candidat. Etait-ce un strapontin ? Vous n’avez pas pu influer sur la campagne de cette place-là ?

Concrètement, ce conseil politique ne servait à rien, il n’avait aucune influence sur la ligne politique. Dans le contexte historique d’une guerre en Europe, je n’ai même pas été consultée sur la position à prendre, je l’ai découverte dans la presse. Mais ce conseil politique était un symbole de rassemblement, ça avait un vrai sens politique, c’est pour ça que je l’ai accepté et que j’ai ensuite essayé de faire vivre un équilibre.

Le problème, c’est qu’un petit cercle autour de Yannick Jadot et à la tête du parti n’a jamais accepté le signal envoyé par la primaire, peut-être parce que ma personnalité les bouscule trop. Ils ont voulu faire disparaître cette séquence plutôt que de s’appuyer dessus pour construire un équilibre qui nous aurait permis d’élargir notre électorat, c’est du gâchis.

Vous disiez la semaine dernière que Yannick Jadot devrait avoir une position « plus écolo » sur l’Ukraine. Qu’est-ce que ce serait, selon vous, une position « plus écolo » ?

Ça serait de dire que là, l’urgence absolue, c’est de se passer très rapidement du gaz russe et du nucléaire. Aujourd’hui, Yannick Jadot le dit, et c’est tant mieux, mais il a commencé par parler des livraisons d’armes, sans même qu’on comprenne très bien si c’était à destination de l’armée ou des civils. Même si la volonté de résistance des Ukrainiens et des Ukrainiennes est bouleversante, armer délibérément des civils face à des militaires n’est pas forcément un service à leur rendre.

Ce week-end, vous étiez à Toulouse où, lors d’une conférence, vous avez déclaré, d’après La Dépêche du Midi : « Ça me déprime de faire de la politique dans des groupes du Ku Klux Klan ». Vous visez qui ou quoi ? Votre propre camp ?

Je ne visais évidemment pas mon propre camp. Je disais deux choses : d’abord qu’on a une montée historique en France d’un suprémacisme blanc, assumé, revendiqué, incarné par Eric Zemmour. Utiliser simplement le mot d’« extrême droite » pour décrire ce qui se passe masque la réalité. Quand en 2008 Zemmour dit face, à Rokhaya Diallo, « Vous appartenez à la race noire et moi à la race blanche », c’est vraiment très clair. Je voulais alerter là-dessus. D’autant plus que cette extrême droite identitaire et suprémaciste menace tous les militants, tous les activistes de gauche et notamment moi, puisque en l’espèce, à la conférence à laquelle j’étais invitée, on a dû augmenter le niveau de sécurité, et ce n’était pas la première fois.

Deuxièmement, je voulais dire que, hors extrême droite, les quartiers populaires ne sont pas suffisamment représentés dans les partis. Il faut se le dire ! Nous, tant qu’écologiste, on a particulièrement le devoir d’aller les chercher et de faire en sorte qu’on présente aussi une écologie issue de ces quartiers populaires. La phrase était volontairement provocante mais évidemment, excessive. Mon erreur, c’est que j’aurais dû comprendre, vu qu’on ne me passe jamais rien, que cette phrase allait être montée en épingle dans le débat politique.

Cherchez-vous toujours à être candidate aux élections législatives dans le 13e arrondissement de Paris, où vous avez été nettement devancée dans un vote consultatif des militants et militantes locales ?

Oui ! Dans ce vote consultatif il y avait très peu de votants. Dans le collège femmes, 21 personnes ont voté, j’ai obtenu 4 voix et la personne arrivée première en a obtenu 12. Je pense qu’il faut relativiser la portée de cet échec. Hier, à Toulouse, j’ai fait un déplacement de terrain, je suis allée soutenir les collectifs citoyens contre la fermeture des écoles ou l’artificialisation des sols, j’ai fait cette conférence… Il y avait vraiment un monde fou ! Le contact avec les habitants et habitantes du 13e que j’ai commencé à rencontrer a été bon, je suis confiante. Non seulement je reste écologiste, je reste à EELV, mais en plus je continue à représenter quelque chose. Ça ne serait pas à très bon signal que je ne sois pas candidate.

On entend beaucoup de rumeurs depuis des semaines sur une hypothétique intention de prendre la tête d’EELV en 2022, voire de monter votre propre mouvement. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Je suis écologiste. Je suis partie une fois ce parti, suite à des violences sexuelles subies au sein de ce parti. Il n’est pas question que je reparte. Il faut quand même mesurer mon histoire et sa portée. Par ailleurs, il est tout à fait étonnant que, systématiquement, on me perçoive comme ayant des intentions velléitaires, mauvaises. Je fais simplement de la politique et je représente un courant politique dont il va falloir accepter qu’il existe. On minimise à chaque fois le collectif que l’on représente.

On vous fait passer pour la « diviseuse » ?

Ah oui ! Encore une fois, je voudrais vraiment qu’on analyse ça : qui divise qui ?

Votre éviction doit-elle être regardée à l’aune d’éventuelles ambitions dans le parti ?

Ce qui s’est passé jeudi est quand même très bizarre. Il y a eu un communiqué de presse, je n’ai reçu aucun message depuis. Et depuis, tous les cadres du parti – et particulièrement les hommes – vont sur les plateaux pour expliquer combien je suis dangereuse. Moi, la seule chose que je puisse dire, c’est que ma famille, c’est l’écologie. Que je veux une écologie de rassemblement, une écologie populaire, une écologie sociale. C’est ça, le sujet d’aujourd’hui.

Dans ce contexte, voterez-vous bien Yannick Jadot le 10 avril au premier tour de la présidentielle ?

Je voterai Yannick Jadot le 10 avril parce que je suis responsable pour deux. C’est-à-dire que je ne perds pas de vue que l’important, c’est l’écologie.