GROS MOTSPrésidentielle: Cette campagne est-elle d’une violence inédite?

Présidentielle: Cette campagne est-elle d’une violence inédite?

GROS MOTS« Assassinat » « dégueulasse », «malhonnête », gifle, jets d’œufs et de farine, la campagne présidentielle est marquée par une violence verbale et des agressions…
Anne-Laëtitia Béraud

Anne-Laëtitia Béraud

Mélenchon qualifié de « Robespierre », Le Pen « droguée aux faits divers », « Fillon, la corruption et la triche », Manuel Valls giflé, jet d’œuf sur Macron ou de farine sur Fillon… Les hostilités vont bon train entre et contre les candidats à l’Elysée. Et cette agressivité ne devrait pas s’atténuer à mesure qu’approche le premier tour de la présidentielle, le 23 avril. Cette campagne est-elle pour autant plus trash qu’avant ? Pas sûr…

Comme à chaque campagne, les candidats à cette présidentielle attaquent leurs concurrents dans le but de souder leur camp et d’affaiblir leurs concurrents. « Les candidats lancent des "mots qui tuent" pour se rendre visible lors de cette campagne. C’est indispensable dans une logique de conquête du pouvoir où il faut savoir se démarquer et rassembler son camp », explique Patrick Charaudeau, professeur émérite et chercheur au CNRS au laboratoire de communication politique.

« Les petites phrases font exister le candidat »

Selon le linguiste, les attaques sont aussi vieilles que la politique. « Cicéron [consul et auteur classique majeur du 1er siècle av. J.-C.] était doué dans ce domaine… Au 19e siècle, la violence verbale et les caricatures étaient inouïes entre adversaires politiques, à un point que l’on n’imagine pas aujourd’hui », précise-t-il. « La société s’est lissée. On n’accepte plus les propos insultants, racistes et antisémites du 19e siècle… mais aussi des paroles beaucoup plus récentes. Ce que disaient [les humoristes] Guy Bedos et Michel Leeb il y a trente ans n’est plus accepté aujourd’hui », continue ce professeur.

Les flèches sont peut-être moins venimeuses qu’auparavant, mais elles sont répétées et l’effet boule de neige envahit le débat. Avec des médias en continu et des réseaux sociaux partageant en un clic le dernier buzz, les piques se multiplient indéfiniment. « Les coups d’éclats, les petites phrases font exister le candidat, surtout les plus petits. Mais ils ont une existence médiatique éphémère. Ces attaques se succèdent, l’une chassant l’autre. Et même les médias dominants les reprennent », rappelle Alexandre Eyries, enseignant-chercheur en communication politique à l’université de Bourgogne-Franche-Comté. « On est dans une culture du rap qui vient des Etats-Unis où l’on fait les gros bras et on se clashe à la manière Booba- ​ La Fouine », continue ce spécialiste de la communication politique. Rap-politique, même flow…

L’objet de ces clashs a aussi évolué. On ne s’attaque plus vraiment sur les idées, mais sur l’apparence, le tempérament, la manière d’être et de faire. « Les attaques sont dirigées contre des individus plutôt que contre des idées. C’est dû à une dégénérescence de la politique qui a engendré, notamment, une pipolisation de la vie politique. On ne croit plus aux idées, aux partis, aux grandes idéologies. Et quand il n’y a plus d’esprit, reste le corps. », souligne Eddy Fougier, chercheur associé à l’IRIS. Le politologue souligne que « la violence verbale de cette campagne présidentielle n’est pas du niveau de Donald Trump. Quand Philippe Poutou critique François Fillon et Marine Le Pen, il bouscule mais n’insulte pas ».

Lors du débat des onze candidats à la présidentielle du 4 avril, le candidat du NPA Philippe Poutou a critiqué « les politiciens corrompus », attaquant nommément François Fillon et Marine Le Pen. Bousculé, l’ancien Premier ministre a répliqué au candidat du NPA qu’il allait « lui foutre un procès ». François Fillon, lui, s’est dit victime d’un complot orchestré par le pouvoir en place et la justice. « Pour Fillon, on n’est pas dans l’insulte mais dans le langage outrancier. Son discours, où il se place comme une victime, est émaillé de qualificatifs de l’outrance à propos des institutions », note le linguiste Patrick Charaudeau.

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Des menaces qui alertent

Cette outrance du langage peut-elle virer à la violence physique ? Entre la gifle de Manuel Valls ou les menaces de morts envoyées à l’Elysée, chez des magistrats et dans plusieurs médias, ces éléments alertent. « On reste pour l’essentiel dans de la violence symbolique », nuance Eddy Fougier. Cependant, le chercheur s’inquiète du niveau de violence si la droite n’était pas qualifiée au second tour de la présidentielle. « Ces menaces de mort adressées à l’Elysée et certains commentaires sur les réseaux sociaux ne sont pas bons signes. La stratégie de la tension entretenue par François Fillon pourrait conduire à certains débordements, même si je n’imagine pas des violences organisées comme ce qui a pu se dérouler en marge des manifestations contre la loi El Khomri. »

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