Marine Le Pen/François Fillon: Des affaires différemment perçues
MEDIAS•L’affaire des emplois douteux du Front national au Parlement européen ne reçoit pas le même écho que celui de l’affaire Fillon…Anne-Laëtitia Béraud
François Fillon n’est pas le seul à être empêtré dans une affaire de collaborateurs parlementaires. Marine Le Pen est aussi dans la tourmente, sommée par le Parlement européen de rembourser 300.000 euros pour avoir fait rémunérer comme assistante parlementaire à Bruxelles une personne travaillant au siège du FN à Paris. Plusieurs parlementaires européens FN sont aussi visés par une information judiciaire pour « escroquerie en bande organisée ». Ces faits relayés par les médias ne rencontrent pas le même écho que ceux touchant François Fillon, selon les données statistiques des articles de 20 Minutes et du nombre de commentaires des internautes…
La « rupture dans le discours et la promesse » de François Fillon
La communication de François Fillon qui a bâti sa candidature sur la probité se heurte aux soupçons d’emplois présumés fictifs, avec l’image d’un homme réservant supposément des privilèges aux siens. « Le dévoilement d’emplois d’assistants parlementaires de proches est en rupture avec le discours de François Fillon construit sur la rigueur mais aussi sur l’égalité. Une égalité qui n’est pas au cœur du discours de Marine Le Pen, qui propose la "priorité nationale" », relève Sophie Jehel, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-8. « Marine Le Pen ne prône ni l’égalité ni la rigueur budgétaire. La question des emplois fictifs n’entre pas en opposition frontale avec son discours. Cela peut moins choquer que dans le cas de François Fillon », souligne Sophie Jehel, ajoutant que le FN n’a pas forgé de crédibilité sur sa moralité.
Un « mimétisme des médias » fort pour Fillon, moins pour Le Pen
Un élément de la réception différenciée des ennuis des candidats à la présidentielle serait dû à « l’effet de mimétisme des médias », ajoute la maître de conférences Sophie Jehel. Si elle fonctionnerait à plein pour l’affaire Fillon, avec « un effet feuilletonnant [à épisode] » des révélations du Canard enchaîné ou de Mediapart, ce mimétisme serait moins fort pour les révélations concernant l’enquête et la lourde amende de Marine Le Pen, ajoute l’enseignante.
« Une affaire Fillon qui rebat les cartes » de la présidentielle
Vainqueur de la primaire, François Fillon est d’autant plus fragilisé par ces révélations qu’il était jusqu’alors évalué, selon des enquêtes d’opinion, comme le candidat face au FN à la présidentielle. « Cette affaire a un tel écho car elle rebat les cartes politiques pour les électeurs alors que les choses paraissaient jouées », souligne Jean-Marie Charon, chercheur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales ( EHESS). Fillon touché, Marine Le Pen épargnée ? Le paradoxe semblerait complet. Pour le sociologue des médias, l’analyse mériterait un travail « à froid ». Mais il estime « surprenant de voir que le public a pris l’habitude que le Front national soit peu affecté par les affaires, alors que plusieurs scandales liés à des mauvaises gestions municipales ou la corruption ont été révélés depuis les années 1990 ».
Des institutions européennes perçues comme lointaines
Autre hypothèse de cette différence dans la réception des deux affaires : celle concernant Marine Le Pen s’attache aux institutions européennes, quand François Fillon est visé pour son usage de l’argent public « franco-français ». « L’un des problèmes provient de la sous-médiatisation des institutions européennes, déplore Sophie Jehel. « Cela relève de la responsabilité des politiques et des médias qui n’en parlent pas sauf pour les mettre en accusation, et conduit à diminuer leur crédibilité », ajoute la maître de conférences. Loin des yeux et du cœur des lecteurs, l’Union européenne serait la coupable idéale, moins crédible et légitime que les institutions nationales. Cette double responsabilité des politiques et des médias envers l’UE est aussi relevée par le sociologue Jean-Marie Charon, qui précise que « la méconnaissance de la culture et de l’éthique des institutions européennes (qui fonctionnent différemment des institutions nationales) » a créé un fossé avec les électeurs français.
Une réception « différenciée » du discours selon les publics
Pour le sociologue des médias Jean-Marie Charon, la réception des informations – que ce soit par la presse écrite, la radio, les médias en ligne ou la télévision — est très polarisée selon les publics. Une information est par ailleurs appréhendée différemment par un électeur selon ses convictions politiques, sa culture ou son expérience. « Un public éduqué et grand consommateur de presse écrite et de médias en lignes est très réactif à la corruption. Cependant, un autre public, plus consommateur de télévision, est peu sensible aux histoires du Front national, lui trouvant d’autres intérêts » souligne le chercheur. En grossissant le trait, la médiatisation des affaires du FN atteindrait ceux qui ne sont pas sensibles au discours du parti, les fidèles n’étant pas réceptifs à ce type d’informations.
Un effet « très faible » des scandales sur la carrière des élus
Après avoir analysé les grandes affaires politico-financières des années 1980-1990, le chercheur Jean-Marie Charon évalue à « très négatif » le bilan de l’effet des révélations de scandales sur la normalisation de la vie politique. « Si les affaires ont eu une importante médiatisation, les effets ont été très faibles sur le plan judiciaire, notamment dans le cas de l’affaire Elf ou la MNEF. Et cela n’a pas empêché les condamnés d’être réélus. »
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