Législatives: L'Assemblée renouvelée à 74%, une victoire du «dégagisme»?
ELECTIONS•A l'issue du second tour des élections législatives dimanche, à peine un quart des députés sortants reviendront sur les bancs du Palais-Bourbon...Laure Cometti
C’est le mot politique de l’année. Le « dégagisme », néologisme popularisé dans l’Hexagone par Jean-Luc Mélenchon au début de l’année, ressurgit ce lundi au lendemain d’un scrutin qui va entraîner un renouvellement historique à l’Assemblée nationale.
Des primaires aux législatives, une année électorale en forme de coup de balai ?
Sur les 577 députés élus dimanche, 147 étaient déjà sur les bancs de l’Assemblée de 2012 à 2017. Pour Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof et enseignant à Sciences Po, « ces résultats montrent que la thématique du renouvellement a dominé toute la séquence électorale depuis les primaires. Des stars de la vie politique ont été emportées, de François Hollande à Nicolas Sarkozy, en passant par Alain Juppé et François Fillon ».
C’est après la défaite de l’ancien Premier ministre Manuel Valls à la primaire de la Belle alliance populaire, le 29 janvier dernier, que le leader de la France insoumise a contribué à diffuser le « dégagisme », un néologisme né lors de la révolte tunisienne de 2011 puis repris par un collectif belge. Plus de quatre mois plus tard, plus de 74 % des sièges ont été renouvelés à l’Assemblée nationale à l’issue du second tour des législatives dimanche, ce qui constitue un nouveau record. Le précédent pic de renouvellement des députés avait eu lieu il y a environ 60 ans, lors des élections législatives de 1958, les premières de la Ve République. A l’époque, 310 nouveaux députés étaient apparus dans l’hémicycle.
« Le thème [du dégagisme] est vieux comme la démocratie », rappelle l’historien Jean Garrigues, « il a notamment été beaucoup utilisé par l’extrême droite pendant l’entre-deux-guerres, qui parlait alors d’antiparlementarisme, ou par les poujadistes qui appelaient à sortir les sortants. C’est une forme de populisme ».
Qui dit renouvellement ne dit pas forcément représentativité
Dans le nouvel hémicycle, le « dégagisme » se traduit par un très net recul du Parti socialiste, qui a gouverné le pays de 2012 à 2017, et des Républicains, au pouvoir de 2007 à 2012. Des partis historiques sanctionnés au bénéfice de La République en marche, qui obtient 308 sièges, un an après sa création par Emmanuel Macron.
« La fulgurance de son parcours politique témoigne de l’ampleur de ce mouvement favorable au renouvellement », estime Bruno Cautrès qui souligne que cette tendance s’observe dans d’autres démocraties européennes. « Ces nouveaux députés [LREM] n’incarnent pas forcément le renouvellement, il faut attendre de voir comment ils vont exercer leur mandat. Et ce renouvellement n’implique pas non plus que l’Assemblée ressemble mieux à la France. La sociologie des candidats LREM est très biaisée sociologiquement », précise le politologue.
Quelques rescapés du « dégagisme »
Quand on observe les résultats dans le détail, le « dégagisme » est toutefois à relativiser. De nouveaux députés très bien rodés à la politique font ainsi leur première rentrée, comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. Par ailleurs, si Les Républicains et surtout le Parti socialiste ont perdu de nombreux sièges, leurs députés sortants s’en sortent mieux que les autres : les sortants LR représentent 63 sièges sur les 113 obtenus par le parti de droite, soit près de 56 %. Côté socialiste, ce taux de députés reconduits grimpe à 79 % (23 députés sortants sur un total de 29).
Les quatre chefs des groupes parlementaires sortants (PS, LR, UDI, PC) sont réélus. D’autres « ténors » ont sauvé leur siège, comme Stéphane Le Foll (PS), Marie-George Buffet (PCF), Eric Ciotti (LR), Manuel Valls (DVG), Gilbert Collard (FN) ou Nicolas Dupont-Aignan (DLF). « Pour résister à cette tornade il fallait une forte implantation locale et une notoriété », avance Bruno Cautrès. « Valls a été sauvé par le fait qu’il avait été aussi le maire d’Evry. Mais une solide implantation locale ou l’absence de candidat LREm n’a même pas suffi à sauver certains députés, comme Myriam El Khomri ou Marisol Touraine », poursuit le chercheur. « Le réseau, l’expertise et le capital de confiance ont sauvé nombre d’élus LR », estime Jean Garrigues qui observe également qu’un « réflexe de fidélité a pu jouer au second tour » en faveur des sortants dans certaines régions.
Une forte abstention
Ces rescapés du « dégagisme », ajoutés à l’abstention record (57,4 % au second tour des législatives), incitent à relativiser cette dynamique. « Si l’abstention ne peut être interprétée comme un signe tangent du dégagisme, elle montre que le lien démocratique entre les électeurs et les politiques n’a pas été totalement réparé par la présidentielle », observe Bruno Cautrès.
« L’abstention a été plus forte au sein des électorats de partis prônant le dégagisme comme le FN ou la FI. Le thème n’a pas été suffisamment mobilisateur », estime Jean Garrigues qui conclut qu’il n’a joué que « très partiellement ». Ce thème devrait selon l’historien revenir dans le champ politique, et ce malgré la conquête de sièges par ceux qui l’affectionnent. « Le clivage entre dégagisme et renouvellement épouse les frontières politiques et sociologiques », explique-t-il.