LA POLITIQUE A GRAND-PAPABoulanger, « l’homme providentiel raté » qui échoua renverser la République

Présidentielle 2022 : Le général Boulanger, « l’homme providentiel raté » qui échoua à faire vaciller la République

LA POLITIQUE A GRAND-PAPAEntre 1887 et 1889, la figure populiste du général Boulanger fit trembler la IIIe République. A l’occasion de l’élection présidentielle, « 20 Minutes » et Retronews, le site de presse de la BNF, vous plongent dans la politique de la fin du XIXe siècle et du début du XXe.
Charlotte Murat

Charlotte Murat

L'essentiel

  • Figure incontournable de la IIIe République, le général Georges Boulanger incarna l’homme providentiel pour les mécontents de tous bords, des républicains radicaux aux monarchistes.
  • Il se forgea cette image à grand renfort de propagande, dès son arrivée au ministère de la Guerre.
  • Pendant deux ans, il fit trembler la République, qui finit par sortir renforcée de cet épisode, alors que le général Boulanger, en exil, finit par se suicider.

«La popularité du général Boulanger est venue trop vite, à quelqu’un qui aimait trop le bruit, ou, pour être plus juste, qui ne le fuyait pas assez. » En juillet 1887, devant le Parlement, Georges Clemenceau prend officiellement ses distances avec son ancien protégé. Le trop gênant général Boulanger est envoyé prendre un commandement à Clermont-Ferrand, loin de Paris. C’est pourtant Clemenceau qui avait soutenu sa nomination au poste de ministre de la Guerre en janvier 1886. Une aubaine pour cet « arriviste », comme le décrit Bertrand Joly, ancien professeur des universités et auteur d’Aux origines du populisme - Histoire du boulangisme (1886-1891) (CNRS Editions). Militaire de carrière, Georges Boulanger a participé à des campagnes en Algérie, en Italie ou encore en Cochinchine (actuel Vietnam), à la répression de la Commune de Paris et a été blessé plusieurs fois. « Des états de service honorables, mais pas éblouissants », estime Bertrand Joly.

Ce que le ministre a pour lui, c’est un formidable « don pour la communication politique », poursuit l’historien. Au ministère, Georges Boulanger engage des réformes très populaires, mais sans véritable intérêt stratégique, comme l’amélioration de l’ordinaire des soldats ou l’adoption du fusil Lebel, première arme au monde à utiliser de la poudre sans fumée. Et surtout, il « subventionne des feuilles à sa gloire », précise Bertrand Joly. « Boulanger est en quelque sorte un homme de publicité. Il a compris que la forme compte plus que le fond. Il sait parler et faire parler de lui. » En quelques mois, le ministre devient ainsi « l’homme le plus célèbre de France », comme note le Journal de Saint-Quentin et de l’Aisne, dans son édition du 17 juin 1887, « fabriquant cette grande popularité à l’aide d’artifices de réclames ».



Dans une France humiliée par la défaite de 1870, le général Boulanger multiplie les provocations envers l’Allemagne. Guidée par la propagande de l’homme providentiel, la population voit en lui un héros patriote et le surnomme « Général Revanche ». « Boulanger réussit à devenir la personnalité populaire du pays en épousant les fantasmes collectifs d’une opinion française déboussolée, en manque d’un chef charismatique », écrit l’historien Jean Garrigues dans Boulanger, ou la fabrique de l’homme providentiel. Le ministre devient trop voyant, trop populaire, trop dangereux pour la jeune IIIe République aux institutions encore fragiles.

Le rassembleur des colères

En mai 1887, il n’est pas reconduit dans le nouveau gouvernement. Une trahison, pour ses partisans. Plusieurs dizaines de bulletins de vote portant son nom sont glissés dans les urnes lors d’une élection législative partielle dans le département de la Seine. En tant que militaire, Boulanger ne peut pas être élu. Il est envoyé à Clermont-Ferrand, puis mis à la retraite d’office de l’armée quelques mois plus tard.



Le général a « très mal vécu son éviction car il était un militaire dans l’âme », raconte Bertrand Joly. Pour ses soutiens de plus en plus nombreux, c’est un motif de colère supplémentaire. Car derrière Boulanger se rassemblent des mécontents de tous bords. Face à des gouvernements instables, dans une France en pleine crise économique, sociale et de confiance envers les élites politiques, le style boulanger plaît et ratisse large. « Il promettait tout à tout le monde. Son programme était très vague. Il voulait réviser la Constitution, mais sans dire comment », explique Bertrand Joly. Parmi ses partisans, on trouve des nationalistes, des républicains radicaux, mais également des bonapartistes et des monarchistes. « En incarnant l’image d’un héros militaire et populaire, référé au modèle de l’Alexandre bonapartiste, ainsi que du républicain patriote héritier de Gambetta, le général Boulanger a réalisé la fusion des deux courants symboliques les plus forts de son époque », résume Jean Garrigues.

Poussé au coup d’Etat

Boulanger a désormais les mains libres pour se présenter à des élections. Ses campagnes électorales sont accompagnées d’une armée de camelots, « c’est-à-dire des manifestants professionnels », précise Bertrand Joly. Des gens payés pour applaudir sur son passage, distribuer des chansons et des journaux à sa gloire. Boulanger est élu à la Chambre des députés en avril 1888.



Le militaire à la retraite et ses partisans voient plus grand encore. Grâce au financement des royalistes et des bonapartistes, la propagande pro-Boulanger prend encore plus d’ampleur en vue d’une élection partielle à Paris. Le 27 janvier 1889, Boulanger est élu député de la Seine, « battant les républicains radicaux dans leur propre bastion », rappelle Bertrand Joly. « Paris vient de se prononcer et la grande ville républicaine a donné au chef du Parti national une majorité républicaine », écrit le grand quotidien populaire La Presse. Alors que Boulanger fête sa victoire, la foule présente le pousse au coup d’Etat, mais il refuse. « Il avait peur d’échouer et pensait surtout devenir président du Conseil six mois plus tard, en gagnant les législatives », indique Bertrand Joly.



Menacé par le lancement d’un mandat d’arrêt pour complot contre la sûreté de l’Etat, Boulanger s’enfuit à Bruxelles avec sa maîtresse le 1er avril. « Les républicains préparent la contre-offensive en modifiant la loi électorale. Le cumul des candidatures est désormais interdit », raconte Bertrand Joly. Le boulangisme s’effondre aux élections législatives de septembre 1889. « La IIIe République a eu peur, mais n’a pas vacillé face au boulangisme, précise Bertrand Joly. Le régime sort même renforcé de cet épisode. Les républicains radicaux deviennent peu à peu plus modérés, tandis que les royalistes et les bonapartistes se rallient peu à peu à la République. Boulanger est finalement un homme providentiel raté que les mécontents ont utilisé faute de mieux. » Toujours en exil, le général Boulanger se suicide le 30 septembre 1891 sur la tombe de sa maîtresse à Bruxelles. Jamais avare de bons mots, Clemenceau dira de lui : « Il est mort comme il a vécu : en sous-lieutenant. »