Présidentielle 2022 : Le jour où Macron et Le Pen se sont croisés sur le site de Whirlpool à Amiens
PARTIE DE CAMPAGNE•Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2017, les deux finalistes, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ont rendu visite le même jour aux salariés de l’usine Whirlpool d’Amiens, menacés de licenciement. Un épisode qui a laissé des traces dans les mémoires de plusieurs personnes ayant assisté à l’événementMikaël Libert
L'essentiel
- Dans le cadre de l’élection présidentielle 2022, 20 Minutes lance une série sur les lieux qui ont marqué les précédentes campagnes.
- En 2017, entre les deux tours, l’usine Whirlpool d’Amiens, promise à la fermeture, avait vu défiler le même jour les deux candidats finalistes, Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
- Un syndicaliste, une ancienne élue du CE et l’envoyé sur place de 20 Minutes à l’époque nous racontent leurs souvenirs de cette folle journée.
Les campagnes électorales se suivent et se ressemblent souvent. Si certaines sont moins passionnantes que d’autres, il y a néanmoins toujours un événement ou un lieu qui laissera une trace particulière dans les mémoires.
Lors de l’élection présidentielle de 2017, le point d’orgue de l’entre-deux tours a sans doute été la visite, le 26 avril, des deux finalistes, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, sur le site de l’usine Whirlpool, à Amiens, dans la Somme. Alors que leur outil de travail devait être transféré en Pologne, les salariés ont vu défiler tour à tour les candidats entourés d’une meute de journalistes dans une confusion totale. Frédéric Chantrelle, délégué syndical CFDT, Cécile Delpirou, ancienne salariée devenue députée LREM, et Julien Laloye, journaliste à 20 Minutes, nous livrent leurs souvenirs de cette folle journée.
« J’avais pas voulu aller voir Macron à la CCI »
Le dossier Whirlpool Amiens était l’un des plus chauds de l’élection présidentielle 2017. A cette époque, les salariés savaient depuis trois mois que le groupe d’électroménager comptait délocaliser leur usine et qu’ils allaient tous se retrouver sur le carreau. Une lutte sociale que les candidats ne pouvaient pas ignorer.
D’ailleurs, le 26 avril, Emmanuel Macron devait rencontrer les représentants du personnel à la chambre de commerce et d’industrie (CCI) d’Amiens. Une visite annoncée que sa rivale, Marine Le Pen, a voulu torpiller en se rendant le même jour auprès des salariés lors d’une visite surprise. « J’avais pas voulu aller voir Macron à la CCI, je m’était dit que s’il souhaitait nous voir, il fallait qu’il vienne à l’usine », se souvient Frédéric Chantrelle, délégué CFDT. « Le Pen s’est ramenée alors que personne ne savait qu’elle devait venir », ajoute-t-il.
« Je savais que c’était un mensonge »
Cécile Delpirou, élue CFE-CGC, était présente à la CCI. « Au départ, Emmanuel Macron voulait nous rencontrer sur le site, mais cela avait été refusé par la direction de Whirlpool. C’est lorsque l’on était à la CCI que l’on a commencé à recevoir des messages sur nos portables pour nous prévenir que Marine Le Pen était sur le parking de l’usine », affirme-t-elle. « J’étais aussi à la CCI et c’est par BFM, qui avait laissé une équipe à l’usine, que l’on a appris l’arrivée de Marine Le Pen. Tous les journalistes ont commencé à se précipiter mais elle était déjà partie lorsque nous sommes arrivés », explique notre envoyé spécial sur place à l’époque, Julien Laloye.
Occupé sur son piquet de grève, Frédéric Chantrelle n’avait pas loupé la candidate du FN. « On a entendu beaucoup de bruit d’un seul coup et des gens crier ''Marine présidente''. C’était un drôle de contexte, on ne parlait plus de l’usine qui fermait mais uniquement de Macron et de Le Pen », déplore le syndicaliste. Pour lui, comme à chaque élection présidentielle, les promesses des candidats n’ont pas empêché les fermetures de sites. « Goodyear, Florange, Continental, a chaque fois ils viennent faire leur cirque et ça ne sert à rien », insiste le salarié de Whirlpool. Il se souvient pourtant avoir écouté ce que la patronne du FN avait à dire : « Quand elle avait sorti ''moi présidente, l’usine ne fermera pas'', j’étais parti parce que je savais que c’était un mensonge. »
« C’était une sacrée bousculade »
Malgré tout, d’autres salariés avaient été séduits : « Quand j’étais arrivé devant l’usine après le départ de Marine Le Pen, j’avais eu l’impression qu’un ouragan était passé et que les salariés avaient vu la vierge, s’étonne encore notre collègue Julien Laloye. Derrière, Macron avait annoncé qu’il venait et c’est à ce moment qu’on avait vu l’ambiance devenir chaotique. » « Lorsque Emmanuel Macron était arrivé à l’usine, c’était de la folie tellement il y avait de monde, entre les nombreux journalistes et les salariés, c’était une sacrée bousculade. Il avait mis près de vingt minutes pour parcourir les 100 m entre sa voiture et le parking de l’usine », assure Cécile Delpirou.
« Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’avait pas été accueilli avec des bouquets de fleurs. C’était chaud, les gens lui en voulaient parce qu’étant Amiénois il n’était pourtant jamais venu nous voir », rappelle Frédéric Chantrelle. « Il s’était fait siffler mais il n’y avait pas eu de manque de respect. En tout cas il n’avait pas cherché à esquiver la discussion sur le parking avec les salariés tandis que nous étions contenus à l’extérieur, plaqués sur le grillage », ajoute notre journaliste. « Moi, je n’avais pas senti de ressentiment des salariés contre Emmanuel Macron. Certains qui avaient fait des selfies avec Marine Le Pen en avaient fait aussi avec lui. Ce jour-là, j’avais été impressionnée par le bonhomme parce qu’il était allé au charbon », reconnaît l’ancienne syndicaliste CFE-CGC.
Notre dossier présidentielle 2022
De cette journée, chacun en a gardé un souvenir marquant, mais différent. « Finalement, on était content de voir les deux finalistes. Sur les discours, j’avais été davantage convaincue par Macron. Il avait assuré qu’il ne nous laisserait pas tomber sans pour autant faire de promesse en l’air », estime Cécile Delpirou, devenue depuis députée LREM de la Somme. « Ce que je retiens, c’est que tout ce cinéma a tout de même abouti à la fermeture du site et à la perte de 280 emplois. C’était une vraie pièce de théâtre », lâche, désabusé, le syndicaliste de la CFDT. « C’était un moment assez mémorable dans une campagne du second tour qui était un peu jouée d’avance. C’est vrai que ce jour-là, sur le parking de cette usine, on avait eu l’impression que Marine Le Pen pouvait gagner l’élection », reconnaît notre collègue Julien Laloye.