CHUTPour réussir en politique, vaut-il mieux se montrer discret ?

Présidentielle 2022 : Pour réussir en politique, vaut-il mieux se montrer discret ?

CHUTBeaucoup de candidats longtemps non déclarés perdent de leur élan populaire une fois qu’ils officialisent leur désir d’Elysée
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Ce samedi, Christiane Taubira a officialisé sa candidature alors que sa popularité baisse depuis qu’elle montre ses claires intentions de présidentiable.
  • Comme elle, de nombreux candidats ont perdu de leur superbe en rentrant dans la course à l’Elysée.
  • Faut-il être taiseux pour être réellement populaire en politique ?

«Ne vis pas pour que ta présence se remarque mais pour que ton absence se ressente », avait déclaré Bob Marley. Une maxime qui pourrait servir de conseil aux politiciens français à l’approche de cette présidentielle 2022. Pour être populaire, rien de mieux que se faire discret.

Christiane Taubira peut faire figure d’exemple type. Selon une enquête Ipsos parue le 14 décembre, lorsque l’ex-ministre de la Justice se montrait très discrète, 46 % des électeurs de gauche se disaient prêts à mettre son nom dans l’urne si elle se présentait, un pourcentage bien supérieur à celui pour Yannick Jadot ou Anne Hidalgo.

Mais plus l’ancienne garde des Sceaux a montré les signes d’un réel intérêt pour la présidentielle – avec en point d’orgue l’annonce de sa candidature ce samedi, plus elle a perdu de cet élan populaire. Au 10 janvier, Ifop lui attribue ainsi 3,5 % d’intentions de vote maximum tandis qu’Ipsos la crédite de 3 % au 6 janvier. Une même dynamique a pu être observée avec Eric Zemmour, en perte de vitesse au moment d’officialiser sa candidature.

Fuis-moi, je te vote

« La popularité et l’image d’une personnalité politique qui précède la candidature ne nous disent pas nécessairement des choses sur sa dynamique une fois engagée dans la course à la présidentielle », abonde Bruno Cautrès, enseignant à Sciences Po et spécialiste du vote et de la participation politique. Beaucoup de candidats se retrouvent même déçus et désappointés de ne pas convertir l’essai entre la personnalité publique et le présidentiable, analyse l’expert.

Au final, le monde politique n’est pas si différent de votre tentative pour séduire votre crush dans la vraie vie : « Pour se faire désirer, il faut créer le manque et s’absenter », estime Véronique Reille Soult, PDG de Backbone Consulting, cabinet de Conseil en stratégie réputationnelle et gestion de l’opinion. Deux stratégies inverses fonctionnent pour marquer les esprits : soit monopoliser tout l’espace façon Donald Trump en déblatérant polémique sur polémique, soit au contraire s’effacer pour que les électeurs projettent sur votre silence leurs mots et leurs désirs. « Le candidat absent ou non déclaré est porté par les fantasmes de chacun. Il est sûr de répondre aux attentes, puisque chaque électeur peut lui faire dire ce qu’il veut entendre », poursuit l’experte. La consultante prend exemple sur Marine Le Pen : « Après la débâcle du débat de l’entre-deux tours 2017, la candidate s’est fait oublier et s’exprime très peu, ce qui lui a permis de remonter dans les sondages lentement mais sûrement. »

Illusions perdues

Ce serait tout le drame de l’officialisation de la candidature : le politique serait forcé de parler, montrant bien que son programme ne correspond pas à chaque attente. « Dès qu’on se présente ou même qu’on agit comme un futur candidat, un autre jeu commence, bien plus difficile, prévient Bruno Cautrès. On sera beaucoup plus décortiqué, analysé, commenté, chaque mot devra être bien pesé, chaque déclaration chiffrée, chaque projet expliqué. Le risque de gaffe ou de contresens est beaucoup plus important. »

Mais évidemment, la posture de l’absent et du silence ne peut pas durer éternellement non plus. « A un moment, lorsque l’échéance se rapproche, il faut se positionner et sortir du bois », tance Véronique Reille Soult. D’autant plus qu’avec le temps, le silence peut devenir traître. « Si lorsqu’un politique parle peu, il peut alimenter les fantasmes en son sens, on peut aussi lui faire dire des choses négatives ou contre-productives pour sa candidature », poursuit la spécialiste.

Au royaume des polémiques, le silence est roi

Devenir candidat, c’est aussi devoir se salir les mains dans une campagne 2022, jugé pour l’instant par certains au ras des pâquerettes. Attaque ad hominem, recherche constante de la polémique du jour et de la petite phrase choc, propos plus ou moins douteux sur le coronavirus, « la campagne peine clairement à décoller sur le fond, et chaque candidat déclaré risque de s’embourber dans ce marasme », prévient l’enseignant à Science Po. Au contraire, ne pas s’embarquer là-dedans, c’est forcément être au-dessus de la mêlée, plus noble, mais aussi « désintéressé du pouvoir, ce qui rend le non-candidat plus séduisant », selon Véronique Reille Soult.

Preuve en est, certains politiques ne sont jamais plus populaires qu’une fois avoir quitté leur fonction. Bruno Cautrès cite notamment Nicolas Sarkozy ou Edouard Philippe. Des absents remarqués, en opposition à des candidats présents bien peu aimés.