Passer au contenu principalPasser à l'en-têtePasser au pied de page
Le pari de Roubaix pour lutter contre une abstention record

Régionales dans les Hauts-de-France : Le pari de Roubaix pour lutter contre une abstention record

POLITIQUEAvec 84% d'abstention lors des élections régionales, la troisième ville de la région a établi un triste record
François Launay

François Launay

L'essentiel

  • Avec 84 % d’abstention lors des élections régionales, la troisième ville de la région a établi un triste record.
  • D’élection en élection, les Roubaisiens n’en finissent plus de déserter les urnes.
  • Chercheurs, militants associatifs ou élus donnent des pistes pour relancer la vie démocratique dans la cité nordiste.

A Roubaix, les élections passent et la participation trépasse. Avec 84 % d’abstention dimanche aux élections régionales et départementales, la troisième ville des Hauts-de-France (98.000 habitants) a établi un triste record régional. Une habitude pour l’une des communes les plus pauvres de France.

« Il y a des facteurs nationaux qu’on retrouve partout en France. Mais à Roubaix, il y a aussi des éléments locaux qui viennent se surajouter comme la composition sociale de la population. Le degré d’intérêt pour la politique est corrélé au niveau de l’éducation, de l’insertion sociale et professionnelle. Or à Roubaix, le taux de chômage est important, le niveau d’éducation est plus faible qu’ailleurs et tout ça contribue à créer une distance avec la politique », détaille Julien Talpin, chercheur au CNRS et spécialiste du vote à Roubaix.

Le fossé grandissant entre élus et habitants

Et le fossé continue de se creuser entre deux mondes de plus en plus différents. « Le personnel politique n’a jamais été aussi peu à l’image de la population qu’aujourd’hui. C’est très dur de s’identifier à des représentants qui ne vous ressemblent pas, qui ne sont pas issus des mêmes milieux sociaux, qui n’ont pas la même expérience de la vie que vous. Tout ça contribue à renforcer la défiance. Et puis, il y a aussi une désagrégation des organisations partisanes. Par exemple, en dix ans la section PS de Roubaix est passée de 250 à quasiment aucun militant. Il n’y a plus de relais du discours politique, d’intermédiaire dans les quartiers », poursuit le chercheur.

Conseiller municipal délégué à la vie associative à Roubaix, Pierre-François Lazzaro s’est rendu compte de cette distance qui augmente lors de la dernière campagne des départementales. Candidat de droite (éliminé au premier tour) dans un canton roubaisien, il a beaucoup fait campagne sur les réseaux sociaux, contexte sanitaire oblige.

« Quand on publie des choses sur les réseaux sociaux, ce sont toujours nos militants qui likent. On ne va pas chercher d’autres voix. On aura peut-être nos photos sur les réseaux mais on ne parle à personne. C’est un réseau de mobilisation et de valorisation mais ce n’est pas la vraie vie. Il faut aller parler directement aux gens sur le terrain », reconnaît l’élu.

Faire de la politique autrement

Mais aller serrer des mains sur le marché ne suffira pas à remettre les gens sur le chemin des urnes. Pour Vincent Boutry, c’est toute la façon de faire de la politique qui est à réinventer si on veut lutter contre l’abstention. Président de l’Université Populaire et Citoyenne (UPC) de Roubaix, ce militant associatif est très engagé dans la démocratie participative à Roubaix. A travers des cafés citoyens, des cours du soir, des actions dans les quartiers, il essaie de revitaliser la vie démocratique de la cité nordiste.

« Aujourd’hui, le système de représentation ne fonctionne plus. Les gens ne veulent plus donner de blanc-seing aux élus, ils veulent vraiment être écoutés. Les gens parlent souvent politique que ce soit dans les bistrots ou ailleurs. Leurs problèmes, c’est l’emploi, la santé, l’éducation, la sécurité. Si on arrive à mettre en débat des politiques publiques, les gens répondront présents. A condition d’avoir l’impression que ce n’est pas juste une simple consultation pour valider un projet ficelé sans les habitants. Il faut que les élus arrêtent de décider avant d’avoir consulté la population. Un débat ce n’est pas juste ouvrir une salle et distribuer un flyer », assure le président de l’UPC.

Changer les règles d’un jeu qui n’intéresse plus les gens

Reste à convaincre les politiques de changer les règles du jeu démocratique via une grande réforme institutionnelle. Ce qui est loin d’être gagné. « Bien souvent, les professionnels de la politique n’ont pas intérêt à engager les réformes et à changer les règles du jeu qui les ont amenées au pouvoir. Il y a une vraie résistance de la classe politique. On l’a vu au niveau national avec la convention citoyenne pour le climat ou encore le RIC réclamé par les Gilets Jaunes. Tout ça a suscité beaucoup de déceptions », analyse Julien Talpin.

Un avis justement partagé par Pierre-François Lazzaro. « Il faut changer les schémas de participation citoyennes. Ça ne sert à rien de demander aux gens la couleur du toboggan pour leur parc. Ils veulent surtout savoir s’ils vont être relogés ou sécurisés. Il faut rassurer les gens. », assure l’élu roubaisien.

« Si l’abstention continue d’augmenter, ça va péter à un moment donné »

Des petits pas qui restent insuffisants pour changer une situation qui ne fait qu’empirer. « Si d’élection en élection, on continue à voir l’abstention augmenter, à un moment donné, ça va péter », constate Vincent Boutry.

Reste le pire peut encore être évité. « Jusque dans les années 1970, on votait plus à Roubaix que dans le reste de la France alors que ça a toujours été une ville populaire. Ça veut bien dire qu’il n’y a pas de fatalité. C’est une question de travail politique et de travail militant pour susciter la participation », conclut Julien Talpin. Il est désormais plus que temps d’agir.