VIDEO. Elections européennes: Potagers partagés et anneau vert... Vitoria-Gasteiz, en Espagne, modèle de la ville verte de demain
NOS VILLES EUROPEENNES (1/5)•Avant les élections européennes, « 20 Minutes » est parti découvrir cinq nouveaux eldorados européens. Voici Vitoria, capitale verte de l’EspagneOihana Gabriel
L'essentiel
- Pendant toute la semaine, 20 Minutes vous invite à découvrir des villes parfois méconnues mais pourtant attractives.
- Vitoria, capitale de la province basque espagnole d’Alava, a misé dès les années 1980 sur le développement durable.
- La ville a notamment construit une ceinture de nature autour de la ville et propose aux citadins de cultiver leurs légumes dans des potagers partagés et écolos.
Il y a l’Europe de Berlin, Amsterdam, Rome, Copenhague ou Barcelone. Celle des grandes villes qu’on a tous un jour découvertes le temps d’un voyage scolaire, d’un échange Erasmus ou d’un week-end festif. Et puis il y a la nouvelle Europe. Celle née de l’ouverture des frontières, des nouvelles technologies et des vols low-cost. Avant les élections européennes du 26 mai prochain, 20 Minutes vous invite dans une série de reportages à travers les villes devenant petit à petit nos nouvelles capitales. Ce lundi, direction Vitoria-Gasteiz au Pays-Basque espagnol, ville verte et havre de paix.
« Ma parcelle, c’est la plus "hippie" », s’amuse Catalina, 38 ans, chapeau de paille et râteau à la main. Depuis un an environ, cette habitante de Vitoria-Gasteiz, capitale de la province d'Alava, au Pays-Basque espagnol, passe ses week-ends à bécher, arroser, enlever les mauvaises herbes, récolter ses beaux légumes. Car cette ville moyenne, 240.000 habitants, peut se targuer d’offrir une qualité de vie rare : chaque citadin vit à moins de 300 m d’un espace vert et certains peuvent même apprendre à cultiver écolo. Ce qui n’a pas échappé à la Commission européenne : Vitoria est devenue capitale verte en 2012. Depuis, les projets n’ont pas arrêté de sortir de terre.
Potagers écologiques en bas des immeubles
Notamment des potagers partagés écologiques : quatre ont éclos dans la ville, un cinquième devrait fleurir d’ici 2020. A Lakuakolorea, le dernier en date, Catalina, Roberto, Iker et leurs voisins à la main verte se démènent ce dimanche pour espérer manger bientôt tomates et poivrons faits maison.
« Quand arrive le printemps, il faut passer tous les jours, car nous n’avons pas de système d’arrosage automatique », explique Catalina, sous le soleil de mai. En effet, qui dit potagers écologiques, dit bacs à compost, mélange de cultures et zéro produit chimique. « On nous encourage à mettre aussi des plantes ornementales pour attirer les insectes pollinisateurs », souligne Catalina.
Un peu plus loin, un magnifique « hôtel pour abeilles », fait la fierté d’Iker. Lui vient d’obtenir, un mois auparavant, sa parcelle, avec quatre autres familles. Courgettes, poivrons, aubergines, oignons, laitues commencent à poindre leur nez sur sa parcelle. Et pour encourager les plus jeunes, le cultivateur en herbe a acheté deux petits arrosoirs colorés pour son fils de 6 ans et son neveu d’un an. « Au moins, je sais ce que je mange… et je sais comment ça pousse, se félicite Iker, avec un sourire gourmand. Mais il faudrait que la mairie en propose davantage. » S’il est difficile d’obtenir un chiffre précis, selon certaines estimations environ 10 à 15 % des habitants obtiennent un bout de verger.
L’autre originalité de ces potagers écolos, justement, c’est qu’ils sont collectifs. Roberto, président de l’association Ekoburuz qui pilote le projet, explique pourquoi : « on peut ainsi proposer 60 parcelles à 250 personnes, cela laisse moins de gens sur le carreau et quand quelqu’un part en vacances, est malade, se décourage ou s’ennuie, les autres prennent le relais ». « C’est vrai qu’un potager, cela demande de la persévérance et de la patience, confirme Catalina. Mon mari m’a dit dès le début, le jardin, tu t’en occuperas seule. Ce qui ne l’empêche pas de se régaler avec mes légumes… »
« Un changement de vie »
Cette Colombienne a élu domicile à Vitoria-Gasteiz, d’abord par amour… et le cadre de vie plaisant l’a convaincu de rester. « Quand tu passes de Medellín à Vitoria, c’est un véritable changement de vie, avoue-t-elle. Ici, c’est plus un grand village qu’une ville. Je fais tout à vélo, je suis dans la forêt en deux minutes, je mange mes légumes, il y a beaucoup d’infrastructures pour faire du sport en plus des nombreux espaces verts. C’est un engrenage vertueux. J’ai appris à ne plus passer ma vie à courir, à travailler ou dans les bouchons. »
« Quatre cinglés à parler d’agriculture écologique ! »
La ville n’a pas attendu les rapports alarmants du GIEC et les mises en garde de Greta Thunberg pour miser sur l’écologie. A Abetxuko, 225 potagers de 75 m² nourrissent les citadins depuis vingt ans. « A l’époque, on était juste quatre cinglés à parler d’agriculture écologique ! », se remémore Iñaki, en faisant la visite guidée de ces vergers.
Si cette ville offre autant d’espaces verts et la possibilité de faire pousser ses légumes, c’est grâce au centre d’études environnementales (CEA), dont fait partie cet ingénieur, sorte de think tank. Avec un triple objectif : enquêter, informer et sensibiliser sur l’environnement. La recherche, c’est aujourd’hui Green Lab qui la porte. Depuis deux ans, sept jeunes stagiaires du CEA ont cherché dans le monde entier ce qui se faisait de plus innovant et efficace côté environnement pour le transposer à Vitoria.
« On s’est rendu compte par exemple, qu’il était meilleur pour la terre et le paysage d’enterrer des branches d’arbres coupées, une technique développée en Allemagne », explique Juan, paysagiste du CEA, à la tête de ce Green Lab. Quant à l’information, elle passe par plusieurs ramifications : les 30 écoles et l’université de la ville se sont dotées de potagers écologiques. « Mais on a aussi un programme à la radio, sur Cadena Ser qui s’appelle " La Ser te lleva al huerto ", un jeu de mots qui signifie que la chaîne de radio t’accompagne au verger et te transmet la passion de l’agriculture », précise Iñaki.
Convaincre avec des vergers écolos
La sensibilisation, elle, se fait les mains dans la terre et par l’exemple.
« « Il y a encore tellement de gens qui croient que quand on cultive bio, cela risque de donner des légumes petits, mauvais, plein d’insectes, regrette Roberto, à Lakuakolorea. Avant, j’essayais de convaincre en discutant. Mais les palabres sont emportées par le vent. En revanche, quand je commence à planter, que les gens m’assurent avec dédain que rien ne sortira de terre et qu’ils voient, un mois plus tard, mes beaux légumes, là ils commencent à me poser des questions… » »
Et sont vite convaincus de démarrer eux-mêmes leur propre potager. Mais avant de pouvoir faire son semis, chaque apprenti agriculteur doit suivre un cours. « Le plus difficile, c’est quand les personnes ont des connaissances en horticulture, ils doivent tout désapprendre, synthétise l’enseignant. Par exemple, il faut toujours que le sol soit couvert, par de la paille, des feuilles, pour le protéger du vent, du soleil, pour maintenir l’humidité et protéger les micro-organismes. »
Pour lui, ce genre de « projet socio-écolo-culturel » est devenu une « nécessité ». « On se sent davantage seul dans une grande ville que dans un village, c’est absurde ! » A Abetxuko, les vergers permettent à des retraités, familles, personnes handicapées, patients addicts ou migrants de se rencontrer et d’échanger quelques conseils pour protéger ses pousses du gel par exemple. En faisant le tour du jardin, on aperçoit d’ailleurs quelques écriteaux en arabe. « Nous essayons d’en faire un lieu de vie en organisant des concours du plus beau verger, des repas, explique Iñaki. On est un peu une grande famille du verger ! » Et l’initiative séduit : l’année dernière le site a reçu 500 demandes pour 90 vergers libres. Pour que les heureux élus tournent, le CEA a décidé de confier ces parcelles pour quatre ans.
Tourisme vert
Si le CEA a pu transformer ses rêves en réalité, c’est aussi grâce à l’appui de la mairie. « Dès les années 1980, le maire José Angel Cuerda [en poste de 1979 à 1999] défendait l’écologie, à une époque où on construisait partout en Espagne, ici c’était l’inverse », retrace Nerea Melgosa, conseillère municipale chargée du développement durable et du tourisme. Malgré les changements politiques, l’attention à l’environnement se poursuit. » La ville, qui a du mal à séduire entre les plages de Saint Sébastien et le musée Guggenheim de Bilbao, a donc misé sur le tourisme vert. En choisissant comme couleur le vert, en proposant des pistes cyclables partout, une ville médiévale sans un seul pot d’échappement, un système de location de vélo pratique (chacun peut appeler où qu’il soit pour que l’entreprise aille récupérer le vélo)… « Ce qui définit la ville, c’est notre sentiment vert, assure Clara Navas, de l’office du tourisme. Vitoria a été la première ville d’Espagne à offrir un service de vélos publics gratuit en 2004, la première ville d’Europe à signer l’ Agenda 21 pour le développement durable. » Avec des résultats concrets : Vitoria monte chaque année sur le podium des trois meilleures villes d’Espagne pour la qualité de vie.
Une ceinture verte de 37 km
Vue du ciel, la ville a quelques atouts. Notamment un anneau vert, ceinture de six parcs qui se jouxtent et encerclent la ville limitant ainsi le grignotage des terres cultivables et proposant une promenade circulaire de 37 km.
Un corridor protégé et sportif où se succèdent agrès, forêt, zones humides et jardin botanique. Ce dimanche, Andrea, 25 ans et Iñigo, 27 ans sont venus bronzer dans la verdure. « On aime venir ici promener le chien, faire du footing ou même admirer les cerfs », explique le jeune couple.
Même en plein cœur de la ville médiévale, forcément moins fleurie, le clin d’œil à la nature est évident : le nom de Vitoria-Gasteiz s’affiche en feuilles au milieu de la place centrale.
C’est là que posent les touristes pour un selfie souvenir. « C’est la ville d’Espagne où j’ai vu le plus de vélos ! », s’exclame Fernando, touriste venu de Valladolid avec sa famille. « J’avais entendu parler de la qualité de vie de Vitoria, mais dès qu’on est arrivés j’ai été impressionnée par le nombre d’espaces verts », complète son épouse, Rosa.
Sans gommer les équations compliquées : pas évident en effet de concilier tourisme de masse et écologie. « Devenir capitale verte européenne, c’est être placée sur la carte mondiale des villes durables, analyse Juan, du CEA. Le maire ne peut donc pas faire n’importe quoi, par exemple agrandir certaines infrastructures si cela menaçait des espaces protégées. »
Un modèle ?
Une vision durable de la ville qui pourrait s’exporter en Europe ? « Vitoria-Gasteiz est méconnue, nous devrions être davantage fiers de ce que nous avons mis en place et mieux le faire connaître », regrette la conseillère municipale. D’autant que la ville n’a pas pour autant freiné son développement économique. « Il faut savoir que la province d’Alava, dont Vitoria est la capitale, est la plus industrielle d’Espagne : 32 % de notre PIB vient d’entreprises comme Mercedes, Michelin, reprend Nerea Melgosa. C’est aussi grâce à ces impôts que la ville a pu investir dans la transition écologique. »
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Il n’empêche, ces idées intéressent puisque le CEA reçoit nombre de visites de Chinois, d’Indiens, de Canadiens, d’Américains, de Chiliens… Pour s’inspirer des nombreux projets à la fois sur la préservation de la biodiversité, l’attention aux espaces verts et l’éducation à l’écologie. « Nous avons également rencontré des élus suédois pour réfléchir sur l’isolation des bâtiments, sujet sur lequel la ville doit encore apprendre », nuance Roberto, ingénieur du CEA. Comme quoi, Vitoria, ville avant-gardiste, est encore verte dans certains domaines du développement durable…