Législatives: «Il n’existe aucune raison pour que les détenus soient privés de voter alors qu’ils en ont le droit»
DEMOCRATIE•A l'approche des législatives, la question des bureaux de vote dans les prisons françaises n'a toujours pas été réglée...Océane Marache
L'essentiel
- Aucun bureau de vote n'est présent dans les établissements pénitentiaires français.
- Une association milite pour leur création, en vain.
Entre 4 % et 5 %, c’est le nombre de détenus français qui vote à chaque élection en moyenne. Une infime minorité donc des 50.000 prisonniers, sur 69.000 personnes incarcérées en France, qui ont conservé leur droit de vote, soulignait en mars l’association Robin des Lois.
A titre d'exemple, lors de l’élection présidentielle de 2012, 54 détenus avaient obtenu une permission pour aller voter et environ 500 avaient fait une procuration. Des démarches facilitées par la loi pénitentiaire de 2009 qui permet aux détenus de s’inscrire sur les listes électorales de la commune de l’établissement. Deux options insuffisantes pour François Korber. En effet, selon le délégué général de Robin des Lois, de nombreux détenus ne savent pas écrire ce qui les empêchent de faire une demande de permission ou ne connaissent personne de confiance pour une procuration.
Une démarche inscrite dans la durée
« Il n’existe aucune raison pour que les détenus soient privés de voter alors qu’ils en ont le droit », dénonce à 20 Minutes, François Korber, délégué général de Robin des Lois qui s’est saisi du dossier dès 2014.
Pour lui, la solution est donc de créer des bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires. Si la loi oblige les préfets à créer des bureaux de votes partout où c’est nécessaire, il n’était pas explicitement écrit que cela s’appliquait aux prisons. C’est le cas désormais depuis novembre 2016 après un recours de l’association Robin des Lois. Depuis, aucune avancée, ou presque.
En mars dernier, après une rencontre avec l’association, l’ancien ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas avait proposé une solution avec le lancement prochain d’une étude de faisabilité sur l’expérimentation du vote par correspondance.
Des résultats peu concluants
Patatras. Le 5 mai, quelques jours avant la fin de sa mission à la Chancellerie, Jean-Jacques Urvoas a retiré sa proposition: « Une telle expérimentation n’est pas envisageable pour les élections à venir compte tenu du cadre fixé par le code électoral, et en l’absence de base légale autorisant une telle expérimentation ».
Une solution qui ne répondait de toute façon pas aux attentes de François Korber puisqu’elle se rapproche du vote par procuration: « J’étais outré qu’il propose ce moyen alors qu’il savait que ça ne marcherait pas ». En parallèle, l’association a également entrepris des démarches auprès de l’ancien ministre de l’Intérieur, Matthias Fekl, qui « a fait traîner cette affaire pour ne pas s’en occuper», selon François Korber.
L’arrivée du nouveau gouvernement apparaît comme une nouvelle porte d’entrée pour l’association. Le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice, Gérard Collomb et François Bayrou, viennent seulement de prendre leurs fonctions et ont pour l’instant d’importants dossiers à régler. « Il faut qu’on trouve la bonne fenêtre de tir », reconnaît Jean-Christophe Menard, l'un des avocats de Robin des Lois.
Une prise de conscience
Malgré tout, un grand pas a été fait selon François Korber: la prise de conscience. Des politiques et les médias s’intéressent au problème et les principaux intéressés, les détenus, réalisent ce dont on les prive. « La plupart ne savaient même pas qu’ils pouvaient voter, ils pensaient qu’ils avaient perdu ce droit », explique François Korber. Jean-Christophe Menard est persuadé que ce projet va aboutir : « Il apparaît difficile à court terme, on ne se fait pas d’illusion pour dimanche [11 juin, premier tour des législatives], mais à long terme on obtiendra gain de cause ».
Le réel objectif est de « faire entrer la démocratie dans les établissements pénitentiaires » car ils sont pour l’instant de vrais « no man’s land démocratiques», souligne-t-il. Si d’autres pays européens comme la Pologne et le Danemark mettent à disposition des bureaux de vote aux prisonniers, la France pourrait bientôt pouvoir en faire autant.