EXCLUSIF. Benoît Hamon: «Je lance un appel à la raison, ce ne sont pas les sondages qui décident»
INTERVIEW•Le candidat du Parti socialiste Benoît Hamon a répondu aux questions de «20 Minutes»...Propos recueillis par Olivier Philippe-Viela
Plébiscité à l’issue de la primaire de la gauche en tant que candidat du Parti socialiste, le député des Yvelines Benoît Hamon se présente pour la première fois à l’élection présidentielle.
Ancien ministre (2012-2014) sous François Hollande, d’abord délégué à l’Economie sociale et solidaire et à la Consommation, puis en charge de l’Education nationale, Benoît Hamon a passé la majeure partie de la campagne sous les radars, un statut inhabituel pour un candidat du PS. À trois jours du scrutin, il répond aux questions de « 20 Minutes ».
Une frange du PS considère que vous faites campagne pour un électorat urbain et diplômé, celui de la primaire de la gauche, en décalage avec les attentes des Français. Est-ce la bonne stratégie ?
Toutes les enquêtes montrent que mes mesures sont approuvées, que j’ai un programme cohérent, solide, qui traite de sujets présents et à venir. C’est une drôle de critique de me reprocher d’être trop en avance. Ça veut dire quoi ? Que le peuple est en retard ? Je ne crois pas. Une grande partie des élites s’attache aujourd’hui à faire diversion, à privilégier dans cette campagne le spectacle plutôt que le fond. Elles sont paresseuses. Je me concentre sur ce que je crois juste.
Avez-vous des regrets vis-à-vis de l’aile droite du Parti socialiste, le courant réformiste ?
Non, aucun. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Il y a plein de gens dits « réformistes » qui font la campagne, seuls les dirigeants refusent de s’y plier. Ce sont des ministres et des députés connus, mais les militants et les élus locaux qui se reconnaissent dans cette tradition réformiste se battent pour ce programme. Certains dirigeants ont d’autres calculs, ils se concentrent sur la page qui va se tourner le 7 mai au soir.
Pensez-vous pouvoir reconstruire le Parti socialiste à l’issue de la campagne ? Les dirigeants veulent reprendre la main…
Ça ne m’intéresse pas, je ne suis pas candidat à l’élection présidentielle pour reconstruire le PS. J’essaye de proposer aux Français un chemin, pas de m’occuper de la rue de Solférino. C’est peut-être le programme d’autres, qui n’ont pas fait ma campagne.
Vous avez assuré ne pas être l’homme providentiel. Est-ce un handicap dans une élection qui joue beaucoup sur la personne comme la présidentielle ?
Je pense que la démocratie française souffre de cette forme de vice qui consiste à laisser croire qu’une personne, dans une relation charismatique au peuple, pourrait tout emporter, tout balayer, qu’il suffirait de lui faire confiance pour qu’elle déplace des montagnes. C’est très immature, régressif, presque infantile de penser cela. Je vois bien ces postures où l’on invite à participer à cette présidentielle comme à une messe, dans laquelle on communie sans échanger et sans fabriquer d’intelligence collective.
Quel que soit le respect que je peux avoir pour les messes, on n’entre pas en politique comme on entre en religion. Je lance un appel à la raison, sauf à vouloir se laisser voler l’élection. À la fin, on a les dirigeants que l’on mérite. Il faut que les citoyens français se rappellent qu’ils sont souverains. Ce ne sont pas les sondages ni les commentateurs qui décident, c’est le peuple qui est souverain. C’est pourquoi j’essaye d’aller à la rencontre des Français et de ne pas m’en tenir à une série d’effets de foule.
Comment réussirez-vous à réorienter l’Europe contrairement à François Hollande en 2012 ?
Cinq ans ont passé. Il y a eu le Brexit entre-temps, la montée des nationalismes, le manque de solidarité lors de la crise des migrants. La société civile allemande est en train de s’apercevoir qu’elle ne peut plus continuer à s’enrichir en appauvrissant les autres, que le prix à payer est la dislocation du projet européen. Cette conscience-là s’affirme d’ailleurs avec suffisamment de force pour que le candidat qui la porte, Martin Schulz, puisse être en tête des sondages en Allemagne [des élections législatives auront lieu en septembre outre-Rhin].
De mon côté, j’arrive avec des propositions, qui ne consistent pas juste à marteler qu’on va réorienter les traités européens. Jean-Luc Mélenchon ne fait que dire qu’il le fera plus fortement que François Hollande. Je viens avec des projets de textes sur la démocratisation de la zone euro, l’énergie et l’Europe de la défense, pas désarmé avec mon seul bâton de pèlerin.
Comment s’est passé votre rencontre avec Angela Merkel pendant la campagne ?
Elle n’était pas alignée sur mes propositions. Mais elle perçoit, comme la société allemande, les transformations dans son pays autant que la montée des discours de sortie de l’UE à l’extérieur.
Le SPD de Martin Schulz n’a pas encore gagné en Allemagne. Comment mettrez-vous en place votre programme si la chancelière refuse une politique fédérale de relance ?
La différence avec ce que l’on a fait jusqu’à maintenant, c’est que je propose plus de démocratie. Une grande république parlementaire comme l’Allemagne ne peut pas être insensible à ce choix. La discussion aura lieu. Je n’ai reçu aucune fin de non-recevoir, ni des sociaux-démocrates, ni des conservateurs. Nous avons parlé du contenu et pas de l’opportunité, ce qui en soit est déjà quelque chose de considérable, car cela veut dire que l’on est prêt à discuter de l’autre côté du Rhin.
La droite allemande a son candidat, il a été tamponné par le ministre des Finances Wolfgang Schäuble : il s’appelle Emmanuel Macron. Moi, je suis le candidat de la sortie de l’austérité sans sortir de l’Europe, tandis que Jean-Luc veut sortir de l’austérité en sortant de l’Europe. Il n’est pas dit que l’on y gagne.
Votre revenu universel d’existence a beaucoup bougé depuis sa première version. Est-il encore universel ?
J’ouvre son accès de 18 à 62 ans. Une aide-soignante qui a un Smic à mi-temps percevra 400 euros en plus de ses 600 euros de salaire mensuel. Quelqu’un au Smic plein-temps passe de 1.150 à 1.350. Le système est dégressif jusqu’à 2.200 euros net par mois. L’étudiant comme le chauffeur Uber aura droit au revenu universel. Le principe est que tout le monde – c’est donc bien universel – a droit à un minimum de 600 euros et n’aura jamais moins s’il n’a pas d’autre revenu. Je conserve mon triple objectif : éradiquer la pauvreté, revaloriser le travail contrairement à ce qu’on m’a dit, et prendre en compte les nouvelles formes de travail précaire. Ceux qui le critiquent sont ceux qui pensent que le monde va très bien tel qu’il est, c’est-à-dire les bien-portants.
À combien le chiffrez-vous désormais ?
35 milliards d’euros par an, moins que le pacte de responsabilité de François Hollande. Il sera financé sans un euro d’impôt supplémentaire.
Vous voulez interdire les perturbateurs endocriniens. Comment l’imposeriez-vous au niveau européen, notamment auprès des lobbies ?
Nous ne sommes pas obligés d’attendre que l’Europe soit vertueuse. Nous pouvons l’être avant elle dans ce domaine-là. Nous avons depuis quinze ans une définition par l’Organisation mondiale de la santé de ce que sont les perturbateurs endocriniens, des substances qui affectent le développement de votre système hormonal et peuvent développer des maladies chroniques, notamment chez les enfants.
En France, on a dressé une liste de ces molécules que l’on retrouve dans des pesticides, des contenants, des aliments, l’eau et même nos vêtements. À partir de la liste, les sociétés seront informées qu’elles doivent chercher des substituts. Ça a été fait avec le bisphénol A, que l’on trouvait dans des canettes et des biberons. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible avec le reste. Il faut hiérarchiser ce qui est important. Est-ce de vendre à tout prix ou de préserver la santé ?
En quoi votre transition écologique se différencie de celle de Mélenchon, autre candidat écolo revendiqué ?
Sur une question-clé : sans l’Europe, il n’y a pas de transition écologique. Nous ne pouvons pas financer la conversion de l’économie si on quitte l’UE. L’impact qu’auraient nos mesures franco-françaises sur le réchauffement climatique serait d’autant plus faible que nous ne pourrions pas jouir des financements européens, dont on sait qu’ils sont indispensables. La vraie pierre d’achoppement du projet de Jean-Luc est là.
Sur la situation en Syrie, vous dites qu’il faut « fabriquer très vite une solution politique » sans Bachar Al-Asad. Que proposez-vous ?
Il faut affirmer clairement nos lignes rouges. Nous ne devons pas faire une diplomatie seulement dans l’interstice que nous laissent les Etats-Unis, les Russes et Bachar Al-Assad lui-même. Nous voulons une décision qui se place dans le cadre de la légalité internationale, donc sous l’auspice des Nations unies. Les massacres de Daesh comme d’Assad justifient que les responsables des deux parties se retrouvent demain devant les tribunaux internationaux et qu’ils ne participent pas de la solution politique.
La question qui fâche de l’internaute, flantheaume : « Qu’avez-vous fait de votre "pacte de non-agression" avec Jean-Luc Mélenchon ? »
Je n’ai pas agressé Jean-Luc, au contraire, je n’ai eu que des mots gentils. Dire ce qu’il y a dans son programme n’est pas une agression. Bon. La réalité, c’est que je ne veux pas prendre le risque de sortir de l’Europe. Je ne vois pas comment la gauche peut se reconstruire et fabriquer demain l’unité avec ce type de perspective. En outre, je ne partage pas la fascination ou l’indulgence qu’il peut y avoir pour Poutine dans les rangs de ses partisans. Ma conception de la démocratie me poussait à vouloir un dernier débat. Je le répète, je préfère cela aux messes, bien que chacun soit libre de fréquenter les églises qu’il veut. C’est la République.