Immobilier : La lettre de motivation, la nouvelle tendance parisienne (et illégale) pour trier les dossiers de location
« Motivé et dynamique… »•Depuis quelques années, de nombreux propriétaires exigent une lettre de motivation de la part des candidats à la location d’un logement. Une pratique qui se répand… même si elle est illégaleRomarik Le Dourneuf
L'essentiel
- De plus en plus de propriétaires et agences immobilières demandent aux candidats de joindre une lettre de motivation à leur dossier.
- Une pratique récente, encore très parisienne, mais illégale.
- Selon plusieurs professionnels du secteur, elle semble rassurer les propriétaires, mais elle ouvre surtout la porte à de nouvelles discriminations.
On le sait, la France connaît une grave crise du logement. Entre la densité dans les villes, la baisse des constructions, les résidences secondaires et Airbnb, les maisons et appartements en location sont de plus en plus difficiles à trouver. Et le parcours du combattant se durcit pour les candidats à un logement.
Conséquence directe, cela permet aux propriétaires de relever toujours plus leur niveau d’exigence sur les garanties financières (un revenu au moins égal à trois fois le montant du loyer, une armée de garants, des cautions égales au PIB de l’Albanie…) Mais en plus de se mettre totalement à nu, une nouvelle tendance/contrainte apparaît pour les candidats : celle de devoir fournir une lettre de motivation. Vous avez bien lu : une lettre de motivation pour montrer à quel point ce 16 m2 avec vue sur le local poubelle est le cocon de vos rêves.
Un acquis pour les jeunes candidats à la recherche d’un logement
Autrefois réservée à la recherche d’un emploi, la lettre de motivation devient une nouvelle exigence qui se répand à grande vitesse. « J’ai toujours cru que c’était normal, explique à 20 Minutes Manon, 24 ans et récemment entrée dans le monde du travail. La première fois que j’ai fait une demande pour un appartement, le propriétaire me l’a demandée, donc maintenant je la fournis toujours. »
« Je croyais que c’était obligatoire, ma proprio en demandait une pour l’appart, ça ne m’a pas semblé étrange, je l’ai faite », témoigne également Mathieu, 22 ans.
Retrouvez toute l'actualité de l'immobilier dans notre dossierComme eux, plusieurs internautes nous confirment qu’ils insèrent systématiquement une lettre de motivation dans leur dossier de candidature. « C’est assez récent. Je ne sais pas si ça vient des locataires ou des propriétaires à la base, mais c’est une demande récurrente depuis deux, trois ans chez beaucoup de ces derniers », nous confie Christophe*, qui dirige une agence immobilière dans le sud de Paris et estime l’apparition régulière des lettres de motivation à « après le Covid-19 ».
Une tendance parisienne… et illégale
Un constat également fait par Patrice Petit, responsable de la partie Administration de Biens chez Orpi : « C’est une tendance qui est surtout parisienne. Mais ce qui est plus inquiétant, c’est que nous voyons cela émaner parfois directement d’agences immobilières. »
Et pour cause, cette pratique est totalement illégale. En effet, le décret n° 2015-1437 du 5 novembre 2015, issu de la loi ALUR, stipule les documents qui peuvent être exigés - et seulement eux - dans le cas d’une location privée. La lettre de motivation n’y figure pas. « C’est une façon de sélectionner les locataires en étudiant la qualité de la rédaction, de l’orthographe… Et ce dans le but d’élever le niveau social des candidats », s’indigne Patrice Petit, qui assure que la pratique est proscrite au sein de la coopérative des agences Orpi.
La pression des propriétaires qui cherchent à se rassurer…
Christophe aussi l’interdit parmi les pièces qu’il demande aux candidats… autant que possible. « Nous informons les propriétaires que c’est illégal. Mais certains sont particulièrement pressants et menacent de changer de prestataire si on ne s’y plie pas… » Sa solution, « dans de très rare cas », est d’informer par voie orale ou par téléphone les aspirants locataires qu’un « petit courrier de présentation ne pourrait que pousser leur dossier » avoue-t-il, gêné de flirter avec la limite de la loi : « Mais si c’est à l’initiative du candidat, ce n’est pas illégal… »
Si les agences peuvent faire office de « protection » contre les abus des propriétaires, seuls un tiers des logements sont sur le marché de la location intermédiée. Comprendre : les deux tiers restants sont directement gérés par les propriétaires et bailleurs, qui ne sont parfois même pas au fait de l’illégalité de la demande.
Marcel, propriétaire de 12 logements dans Paris et sa petite couronne, ne le savait pas avant notre entretien… et n’en a cure. « C’est quand même chez moi, j’ai bien le droit de savoir qui y loge, non ? », s’irrite-t-il en l’apprenant. « Je ne me base pas que sur ça, mais ça me donne une première idée et ça m’aide dans ma sélection avant d’organiser les visites. Le plus important pour moi, c’est l’orthographe et les formulations, on peut déjà voir si la personne est éduquée. »
…Mais un nouvel outil de discrimination
Moins à cheval sur l'« éducation », Catherine *, qui possède deux appartements à Paris, a reçu des candidatures avec lettre de motivation sans qu’elle ne le demande. Si elle n’y avait pas pensé au départ, elle avoue que cela a pesé dans la balance : « J’ai reçu plusieurs dossiers fiables et honnêtement, un autre avait l’avantage. Mais quand j’ai lu la situation du petit couple qui souhaite avoir des enfants… ça personnalise, j’ai été touchée et du coup, j’ai sélectionné leur dossier. »
« On a toujours peur parce qu’on connaît les voisins, les commerçants, donc on ne veut pas de soucis avec un locataire problématique. Pareil, on a peur des impayés, des dégradations, donc un peu plus de prévention, ça ne fait pas de mal », ajoute-t-elle pour justifier la pratique.
« Les propriétaires sont toujours très inquiets et c’est bien légitime », concède Mathilde, qui travaille dans une agence immobilière du 14e arrondissement de Paris. « Mais la lettre de motivation - excusez-moi du terme –, c’est débile. Déjà on peut en trouver facilement sur Internet, c’est encore plus facile à falsifier qu’une fiche de salaire. Et c’est surtout une étape de plus dans la discrimination et le racisme. Vous pouvez avoir un jeune propre sur lui, surdiplômé et avec des parents riches qui va vous saccager l’appartement ou faire des fêtes trois fois par semaine. Et à l’inverse un jeune modeste, avec un revenu à la limite des exigences, visiblement issu de l’immigration, avec lequel vous n’aurez aucun problème. Ce n’est pas une science exacte et même souvent à l’opposé de ce qu’on imagine. Il faut juste un dossier solide et après, c’est au feeling. »
Lyon et Bordeaux, prochaines villes sur la liste ?
Si la pratique est surtout concentrée dans la capitale pour le moment, selon plusieurs associations spécialisées dans le logement, elle devrait rapidement s’étendre à d’autres villes en tension. « Si c’est le cas à Paris, ce le sera très bientôt à Lyon, et sans doute après Bordeaux », commente Jocelyne Herbinski, animatrice de la Confédération Nationale du Logement.
Pour finir, et afin de redonner un peu de pouvoir aux locataires, sachez que la lettre de motivation exigée par les propriétaires est donc illégale et que les contrevenants peuvent être signalés aux associations telles que la CLCV ou directement à la DGCCRF.