HandicapAu cinéma, l'autisme repousse les normes

Un documentaire sur l’autisme pour «sortir au dehors cette voix du dedans»

HandicapDans son documentaire « Quelle folie », sorti au cinéma le 9 octobre, le réalisateur Diego Governatori filme son ami avec autisme, Aurélien Deschamps, et met en valeur sa parole. Interview croisée
Propos recueillis par Paul Blondé

Propos recueillis par Paul Blondé

L'essentiel

  • La Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées se tient du 18 au 24 novembre.
  • Dans son documentaire « Quelle folie », sorti au cinéma le 9 octobre, le réalisateur Diego Governatori filme son ami autiste, Aurélien Deschamps, et met en valeur sa parole.
  • « 20 Minutes » a rencontré Diego Governatori et Aurélien Deschamps. Interview croisée.

Avez-vous été surpris par les retours que vous avez eus, notamment de la part de personnes atteintes de troubles autistiques ?

Diego Governatori : Une chose très émouvante, c’est quand des parents d’enfants avec autisme, notamment non-verbal, nous disent que si leurs enfants pouvaient parler, cela pourrait ressembler aux paroles d’Aurélien.

Aurélien Deschamps : C’est vrai que des autistes, mais aussi des gens qui n‘ont jamais été rangés dans cette catégorie, me disent : « Ces mots-là, c’est super de les avoir trouvés. » Certains me demandent aussi si ce que je dis dans le film sera porté à l’écrit, c’est très surprenant.

DG : Effectivement, j’ai eu une demande expresse d’une maman en ce sens, qui me disait : « J’aimerais pouvoir lire à mon enfant les mots d’Aurélien. »

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Est-ce que vous trouvez que l’on montre suffisamment ce qu’est réellement l’autisme ?

DG : Un psy me disait récemment : « On ne laisse pas assez les paroles aux personnes. » Je pense que dans le film, on est en prise directe. Et du coup, ça dépasse la question de l’autisme. Quand je fais parler Aurélien, je ne fais pas parler un autiste. Je le fais parler, lui, en tant que personne.

AD : D’autant que, de façon générale, les systèmes de représentations montrent beaucoup les dominants, et de moins en moins les marginaux.

Aviez-vous une volonté de montrer la condition autistique différemment, au-delà du cliché du génie des maths, etc. ?

DG : Une volonté très claire chez Aurélien, avant le tournage, c’était d’être dans un travail de description. De décrire un cheminement, un processus, des sensations, de faire quelque chose que j’appelle « sortir au dehors cette voix du dedans ». Dans le film, Aurélien nous livre quelque chose de très intérieur. En nous disant comment il vit cette condition, comment elle s’incarne, il nous donne les clés, les images pour qu’on puisse la ressentir.

AD : De façon générale, les spécimens spectaculaires prennent toujours le devant de la scène. Et c’est vrai qu’il existe des manifestations spectaculaires de l’autisme qui peuvent faire croire que les autistes auraient tous des capacités particulièrement extraordinaires. Moi, c’est un souci que j’ai eu dans le film : je ne voulais pas tomber dans la glorification de la marge en tant que telle, ou de la différence en tant que telle. J’avais la volonté de rappeler le caractère fondamentalement ingrat de ce handicap, qui est automatiquement oublié par le spectaculaire. Etre tout le temps attiré par le spectaculaire, c’est un piège.

De Sheldon à Good Doctor, réduit-on trop souvent l’autisme à l’Asperger dans les fictions ?

Dans le film américain Rain Man, récompensé par l’Oscar du meilleur film, le personnage autiste de Raymond, joué par Dustin Hoffman, comptait en quelques secondes que 246 cure-dents étaient tombés au sol à ses pieds. C’était en 1988. Soit, explique Brigitte Chamak, neurobiologiste et chercheuse en sociologie spécialisée sur le thème de l’autisme, l’époque « de l’élargissement des critères diagnostiques de l’autisme et de l’intégration du syndrome d’Asperger ». Ce syndrome a ensuite « eu un succès certain auprès des réalisateurs de films et du grand public », avec une multiplication des personnages de « génies un peu étranges », du Sheldon de The Big Bang Theory à Good Doctor.

Sauf que ces représentations, en résumant l’autisme au syndrome d’Asperger et en faisant croire que le syndrome d’Asperger est automatiquement synonyme d’intelligence supérieure, « alimentent une confusion parfois difficile pour certains parents d’enfants autistes à qui l’on demande : "Alors, il compte très bien ?" » D’autant que « les enfants très sévèrement atteints, ou ceux qui ne savent pas s’habiller tout seuls, n’intéressent personne », poursuit Brigitte Chamak. De plus, la volonté de déstigmatisation de l’autisme et cette focalisation sur le syndrome d’Asperger, tel qu’on l’imagine, donne « l’impression que tous les autistes sont capables de vivre normalement, qu’ils peuvent tous travailler, que tous les enfants peuvent aller à l’école », ce qui n’est pas le cas.