VOS QUESTIONSStandard & Poor's: «Nous ne sommes pas des gourous»

Standard & Poor's: «Nous ne sommes pas des gourous»

VOS QUESTIONSCarol Sirou, Présidente de Standard And Poor's (S&P) en France, a répondu aux questions des internautes de 20minutes.fr...
Propos recueillis par G.W et M.B.

Propos recueillis par G.W et M.B.

Archives 20minutes: ce papier a été créé le 8 décembre 2011, mais ses informations sont toujours d'actualité. Il a de plus été mis à jour ce samedi.

La messe est dite. La France a perdu son triple A. Standard & Poor's (S&P) aura donc mis ses menaces à exécution. Le 5 décembre, l'agence de notation avait mis les responsables politiques au pied du mur en plaçant sous surveillance, les pays de la zone euro. Trois jours plus tard, Carol Sirou, la patronne de S&P en France avait accepté de répondre à toutes les questions de nos internautes. Avenir du «AAA» français, rôle de ces agences de rating, comment sont-elles payées? Ont-elles trop de pouvoir?... Voici ces réponses.

Que doit faire la France pour conserver son triple A?

En tant qu’agence de notation, nous donnons une opinion, un avis, sur la qualité de crédit d’un emprunteur. Nous ne pouvons pas donner à la fois un avis et des conseils. Nous ne donnons jamais d’éléments pour améliorer la notation, ce n’est pas notre métier. Pour construire une note, nous regardons notamment l’économie, la situation institutionnelle et la situation budgétaire. Une fois que nous avons fait cette analyse, nous la comparons à d’autres pays équivalents. Ensuite nous donnons notre opinion en disant «tel émetteur est plus solide que tel autre parce qu’il a une plus grande marge de manœuvre», par exemple. Charge à l’émetteur de voir éventuellement comment il peut améliorer sa note. Mais ce n’est pas à nous de lui donner des clés de lecture. Sinon, nous serions juge et partie. Ce n’est pas souhaitable.

La France peut-elle sauver son triple A? A-t-elle les moyens de le faire?

La note de la France, comme celle des autres pays de la zone euro, est actuellement sous surveillance, parce que nous avons des inquiétudes sur la situation économique de l’ensemble de la zone, sur les coûts de financement des Etats, mais aussi sur d’autres acteurs, comme les banques. Nous pensons que ces éléments sont susceptibles d’affecter l’ensemble de la qualité de crédit des émetteurs de la zone. Ces incertitudes sont liées à un processus lent de gestion de la crise qui maintenant a un impact sur l’ensemble des émetteurs et pas uniquement sur les plus faibles, comme la Grèce, le Portugal et l’Italie. Le principal élément, c’est finalement de rassurer. Non pas sur la pérennité de la zone euro, car nous sommes convaincus que la zone euro va demeurer, mais sur la gouvernance de la zone. Mais trouver des solutions structurelles qui seraient enfin mises en place.

La France est-elle plus proche de la dégradation ou du maintien de sa note?

Une mise sous surveillance, c’est à peu près 50% de risque d’abaissement de note. Cela ne dit pas du tout que c’est fait. Nous disons que c’est possible, mais pas que c’est certain. Sinon, si c’était le cas, nous ne l’aurions pas mise sous surveillance avec tous les pays de la zone euro. Il est très important de comprendre que c’est une appréciation d’ensemble sur la gestion de la crise de la zone euro, sur la gouvernance de cette zone, sur l’impact négatif sur l’économie de tous les pays. Ce n’est pas une appréciation individuelle d’un Etat.

A votre avis, comment les peuples européens perçoivent-ils les agences de notation?

Je pense que les peuples ne nous connaissent pas. Nous sommes un outil technique, qui s’est retrouvé d’un coup sur le devant de la scène. Il est perçu comme un outil d’analyse politique, ce qu’il n’est pas. Nous faisons de l’analyse financière depuis 150 ans. Nous regardons des chiffres, des trajectoires financières, et tout d’un coup nous nous sommes retrouvés propulsés dans les médias. En période de crise, la notation des Etats ou d’autres émetteurs, peut se retrouver sous pression. Actuellement, aux Etats-Unis ou en Europe, on se rend bien compte qu’il y a des niveaux d’endettement élevés, des trajectoires économiques tendues, et des réponses politiques qui sont difficiles. Regardez ce qui se passe aux Etats-Unis: nous avons dégradé le pays l’été dernier parce que nous étions inquiets du blocage des institutions et des risques que cela faisait peser sur la qualité de crédit du pays. L’avenir nous a démontré que nous avions bien apprécié l’étendue de ce blocage. Il a encore été confirmé par l’échec des négociations entre démocrates et républicains il y a deux semaines. Chez S&P, nous passons beaucoup de temps à tenter d’expliquer ce qu’est notre métier et faire comprendre que ce n’est qu’un avis. Nous ne sommes pas des «gourous». Les régulateurs bancaires nous ont donné un poids qui n’est pas le nôtre. Il y a des réglementations bancaires qui obligent les références à la notation. Il faudrait retirer ces références pour que la notation ne devienne qu’une information parmi d’autres.

Les agences de notation ont-elles trop de pouvoir?

Notre influence va au-delà de ce que devrait être notre rôle. En partie du fait de ces réglementations bancaires, en partie par l’usage qui est fait de ces notations. On fait un amalgame entre les marchés, les «spéculateurs» et les agences de notation. Nous, nous ne sommes qu’un acteur de la chaine. Nous donnons une appréciation sur la qualité de crédit. Nous ne prenons pas des positions, nous ne spéculons pas. Si vous prenez actuellement les niveaux de nos notes, par exemple les souverains de la zone euro, la plupart – je laisse la Grèce de coté - sont entre AAA et BBB-. Donc, en gros, des notes qui vont de 20 sur 20 à 10 sur 20. Quand vous regardez les taux d’intérêt que certains pays doivent payer ou sont susceptibles de payer, c’est complètement l’inverse! La perception des investisseurs qui vont prêter à ces pays, est bien plus négative que celle d’une agence de notation. Vous mentionniez la France. La France a la meilleure note. Même si sa note devait être abaissée, elle restera à un niveau extrêmement élevé, soit l’équivalent d’un 19 ou 18 sur 20. Ce n’est pas comme si d’un coup la France devenait le «cancre» de la classe. Cette relativité est très difficile à percevoir mais elle est essentielle pour comprendre notre métier.

Les marchés sur-réagissent-ils à vos annonces de mise sous surveillance?

Ça crée de l’émotion. La note des Etats-Unis a été dégradée par S&P cet été à la suite d’un blocage institutionnel majeur. Certains se demandaient s’ils allaient rembourser leur dette. Eh bien: si vous regardez depuis cette date, les écarts de taux, ce qu’on appelle les «spreads», ils ont diminué. Cela montre bien qu’il n’y a pas toujours corrélation entre notation et taux d’intérêt, et que c’est un élément parmi d’autres dans l’appréciation de l’investisseur pour faire ses choix. Nous ne sommes qu’un des maillons dans la décision d’une grande compagnie d’assurance d’investir dans une banque, dans une société ou dans un Etat. Simplement, dans le contexte actuel de forte anxiété, l’impact médiatique est fort.

Vous n’aviez pas vu venir la crise des subprimes. Comment être sûr de votre fiabilité? Les agences devraient-elles être mêmes surveillées et notées?

La supervision existe, et elle s’applique partout dans le monde. En Europe, il y a une réglementation extrêmement stricte, mise en place depuis un an qui nous astreint à suivre des processus très précis avec des garde-fous. Un projet européen prévoit d’aller au-delà.

Sur les subprimes, nous avons reconnu que nous n’avions pas vu l’ampleur de la dégradation possible du marché immobilier et les conséquences qui s’en sont suivis. Nous avons tiré les conséquences, notamment en matière méthodologique. Pour le reste, si vous interrogez ceux qui utilisent nos notes, émetteurs ou investisseurs, ils vous diront que l’historique de nos notes est très bon. Pour nous, le vrai critère, c’est de savoir si un émetteur ou un investisseur va continuer à utiliser S&P pour se faire noter, pour pouvoir emprunter sur les marchés. Notre crédibilité, c’est ça. C’est le fruit de 150 ans d’expérience, une connaissance de très nombreux secteurs, des méthodologies adaptées, un échantillon d’entreprises suffisamment vaste pour avoir des éléments de comparaison.

Pouvez-vous expliquer comment et par qui sont rémunérées les agences?

Les grandes agences sont rémunérées par les émetteurs. Nos clients sont les grandes entreprises, les collectivités locales, les banques…qui ont besoin de cette note pour expliquer leur propre qualité de crédit aux emprunteurs.

Vous êtes donc payés par ceux que vous notez et pas par ceux qui utilisent cette note?

C’est bien ça. D’autres agences sont sur le modèle de l’investisseur-payeur. Quel que soit le modèle économique, à partir du moment où il y a échange d’argent, il y a un risque de conflit d’intérêt. Il faut les gérer. L’avantage de notre modèle, c’est que nos notes sont accessibles à tous de manière gratuite. Dans l’autre modèle, le risque est de voir les investisseurs se contenter des gros emprunteurs et ne pas payer pour la note de petits emprunteurs qui ont pourtant des besoins de financement. Chaque modèle a ses avantages et ses inconvénients. Nous avons des dispositions pour gérer ces risques. Les régulateurs sont très vigilants sur ces sujets.

L’important c’est de prouver que notre indépendance est préservée quel que soit le modèle. Les mois récents nous ont montrés qu’on nous reprochait d’être presque trop indépendants plutôt que d’être complaisants…

Est-ce que la France paie pour être notée?

La France fait partie des notations non-sollicitées. Elle ne paie pas pour être notée tout comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie et les Pays-Bas. C’est le fruit de l’histoire.

Ne faudrait-il pas geler les notations des Etats dans cette période de crise et attendre la fin de la tempête?

C’est une des idées du Commissaire Barnier. Elle a été retirée. En ce moment, ce qui crée de l’anxiété et de la volatilité sur les marchés, c’est l’absence d’information. Nous ne sommes pas favorables à un gel des notations. Nous sommes convaincus qu’en empêchant l’information de circuler, cela va créer encore plus d’anxiété. A partir du moment où vous n’avez plus d’information, les gens vont commencer à se faire leur propre histoire. Entre les deux, qu’est ce qui est le mieux? Ne vaut-il pas mieux de l’information dans un cadre très strict comme celui dans lequel nous opérons?

Nous vivons dans la zone euro. Nous comprenons à peu près son fonctionnement même si ce n’est pas toujours simple. Quand vous êtes en Asie, en Amérique Latine, ce fonctionnement n’est pas facile à comprendre. S’il y avait un gel des notes, le risque est que les investisseurs hors de la zone Europe perdent confiance et ne prêtent plus.

Pourquoi y a-t-il autant d’agences?

En règle générale, on nous reproche de ne pas être assez nombreux! En Europe, il ya une vingtaine d’agences. Trois couvrent l’ensemble des secteurs: Fitch, Moody’s et S&P. Chacune a sa méthodologie avec des cultures d’entreprises différentes. Le souhait actuel est d’augmenter les acteurs plutôt que d’en réduire le nombre. La concurrence est souhaitable. Plus d’agences signifie regarder chaque situation sous un angle différent sans pour autant que l’une ou l’autre détienne la vérité. Pour nous, ce qui est important, c’est que les investisseurs continuent à demander une note S&P pour pouvoir investir sur la base d’une analyse fiable et reconnue. Pour cela, chaque jour nous devons démontrer la solidité de nos notes et la valeur de nos analystes.