Polaroïd: chronique d'une mort annoncée

Polaroïd: chronique d'une mort annoncée

Le groupe vient d'être racheté par le fonds Patriarch. Polaroid va-t-il réussir son entrée dans le monde des numériques?
Anne-Sophie Galliano

Anne-Sophie Galliano

Polaroid, placé depuis 2008 sous le chapitre 11, vient d'être racheté par le fonds Patriarch pour 45 millions d'euros, après une offre avortée de PHC Acquisitions. Un nouveau changement de main pour redresser une marque mythique. Le challenge du fonds new-yorkais est de taille. Polaroid est né dans les années 30. Le groupe s'est d'abord imposé dans les lunettes de soleil avant de s'imposer dans le monde de l'image. En 1948, le fondateur, le professeur Land, commercialise le premier polaroid instantané: le Model 95, vendu 89,75 dollars. Avec ce seul modèle, il réalise 5 millions de dollars de chiffre d'affaires la première année. Depuis lors, Polaroid a érigé sa notoriété sur la maîtrise de l'instantané pour les particuliers et l'a renforcée grâce à de grands artistes comme Andy Warhol.

Obnubilé par cette technologie pendant 40 ans, Polaroid n'a pas pris en considération l'émergence du numérique. Il a continué à développer des appareils photos instantanées plus ludiques, plus perfectionnés ou plus compacts. Il faut avouer qu'à cette époque le numérique ne faisait que ses premiers pas. Entré sur le marché français dans années 90, il ne représente en 1997 que 40.000 unités contre 2,2 millions de pièces pour les appareils argentiques, selon Sipec, le Syndicat des entreprises de l'image. Et 1999 est l'année "du pic historique de consommation des solutions argentiques, films, tirages et appareils".

Certains signes auraient pourtant dû alarmer Polaroid. Certes 1999 est une année record pour l'argentique mais cette même année, la vente d'appareils photos numériques bondit de 204% en France. Et l'internet fait son entrée dans les foyers. Dès 2000, ce sont 331.000 appareils numériques qui ont trouvé preneurs et 25% des foyers qui possèdent un ordinateur PC. Tous les ingrédients étaient réunis pour imposer le numérique. En 2001, le chiffre d'affaires des appareils numériques dépasse celui des argentiques et le cap des 2 millions de ventes est atteint en France en 2002.

Polaroid se réveille et veut lui aussi prendre le virage du numérique. Trop tard. L'argentique et l'instantané périclitent. Il demande la protection du chapitre 11 en 2001. Le groupe est repris en main par Petters Group Worldwide en avril 2005. L'objectif est de faire entrer Polaroid dans le 21ème siècle. En 2008, ses ventes globales atteignent 365 millions de dollars. De nouveaux produits sortent, notamment l'imprimante compacte de poche, et des appareils photos numériques. Les produits sont distribués chez Wal-Mart notamment pour les Etats-Unis, et Carrefour pour l'Europe. Rien n'y fait. Polaroid accumule les pertes: 200 millions de dollars de pertes cumulées entre 2005 et 2008 et 107 millions de dollars de pertes opérationnelles. Polaroid ne peut plus tenir.

En 2008, il demande une nouvelle fois la mise sous le chapitre 11. Dans un document présentant les raisons de ce choix, Polaroid dresse un triste constat: "les pertes d'exploitation sont le résultat du déclin de l'activité la plus rentable du groupe, le film instantané, en raison de la montée du numérique. Les repreneurs n'ont pas été capable de compenser ce déclin par de nouveaux produits". La recherche et développement a fait défaut. Mais pas seulement, explique le fournisseur d'appareils photo Numeriphot: "Polaroid n'est pas un fabricant d'appareils photos, son image restera toujours l'instantané. Polaroid ne plus se remettre sur le marché des appareils photos numériques, la qualité de ses photos n'est pas là".

Polaroid n'a pas qu'une bataille de retard. Pour Numeriphot, la guerre n'est déjà plus sur les compacts numériques, concurrencés par les téléphones portables, mais sur le réflexe (+31% de croissance en France en 2007, ndlr). Polaroid peut-il aujourd'hui espérer retrouver ses lettres de noblesse dans un monde digital? Ce, dans un environnement extrêmement concurrentiel, entre les spécialistes de l'impression comme Canon, ou les géants de l'électronique comme Panasonic. A charge pour Patriach de faire renaître Polaroid de ses cendres. Ce n'est pas une mince affaire.