Partage des richesses: gagnants et perdants
•Selon le rapport de l'Insee, le partage de la richesse nationale montre que la part des salaires est restée stable en 20 ans mais les écarts entre salaires augmentent. Syndicats et patronat s'affrontent déjà sur les conclusions à en tirer. Nicolas Sarkozy pourrait intervenir.Thibaud Vadjoux avec agence
Le rapport Cotis sur le partage des richesses conclut à une part "plutôt stable" des salaires dans la valeur ajoutée depuis 20 ans, c'est à dire à un partage stable entre salaires et profits de la richesse créée par l'entreprise. Mais plus précisément, le rapport de l'Insee montre que la progression des petits et moyens salaires a été défavorisée par rapport aux gros salaires et que les actionnaires ont vu leurs dividendes fortement augmenter.
Selon le document, la part des salaires dans la richesse produite chaque année est globalement "plutôt stable" en France depuis la fin des années 1980. Sur près de 60 ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée a cependant fortement fluctué: relative stabilité de 1949 au premier choc pétrolier, hausse jusqu'au début des années 1980, baisse jusqu'à la fin des années 1980 notamment avec le contre-choc pétrolier, et "relative stabilité" jusqu'à 2007. "La croissance des salaires nets depuis 20 ans est extrêmement faible" en raison de la faible croissance économique, de l'impact accru des cotisations sociales et de la montée des emplois précaires, note le rapport.
Partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits avant impôts (en %)
Rémunération des salariés en bleu
Excédent brut d'exploitation (Valeur ajoutée - amortissement) en rouge
Source: Insee, comptes nationaux
Au delà de ce grand partage général entre salaires et profits, l'Insee met à jour des inégalités croissantes à l'intérieur même de la distribution des salaires d'une part et des profits d'autre part. On observe un accroissement des inégalités salariales avec notamment une forte accélération dans la dernière décennie des salaires des personnes les mieux payés. "Cela a contribué au sentiment de déclassement relatif du salarié médian, progressivement rejoint par le bas de l’échelle et fortement distancé par l’extrémité haute de cette même échelle", estime le document. En 2007, 10% des salariés ont gagné plus de 3.163 euros nets par mois, tandis qu'à l'autre bout de l'échelle, 10% ont touché moins de 1.083 euros, avait déjà annoncé l'Insee. "C'est tout en haut de l'échelle, parmi les 10% de salariés à temps complet qui gagnent le plus, que les salaires ont le plus progressé", notait-elle.
Au sein du partage des profits aussi, les déséquilibres augmentent. Le partage des profits entre investissement, intéressement et dividendes dont Nicolas Sarkozy disait qu'une bonne règle serait celle des trois tiers, montre en réalité une montée en puissance de la part réservée aux actionnaires au détriment des investissements. Le montant des dividendes versés aux actionnaires a quasiment quintuplé depuis 1993, tandis que l’autofinancement des investissements par les entreprises a baissé. L’intéressement et la participation occupent "une place réduite mais croissante" depuis le début des années 1990. Les profits vont pour un peu plus d'un tiers aux revenus du capital (36%), pour une grosse moitié à l'investissement (57%) et le reste à la participation et l'intéressement (7%), selon le rapport, qui pointe de fortes différences entre grandes entreprises et PME.
Nicolas Sarkozy avait annoncé en février 2009 lors du sommet social la réalisation de ce rapport par le directeur général de l'Insee, Jean-Philippe Cotis, afin qu'il puisse servir de base à de futures discussions entre syndicats et patronat. Si ceux-ci ne s'entendent avant l'été, un projet de loi pourrait voir le jour, a averti plusieurs fois M. Sarkozy.
Mais les premiers enseignements de ce rapport ne vont pas rassembler pas syndicats et patronat. Bien au contraire, le Medef, hostile à une négociation nationale sur le partage des profits ainsi qu'à l'établissement d'une règle des "trois tiers", met en avant la relative stabilité de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis 20 ans, contrairement à l'Allemagne, et relativise les écarts de rémunération. Au sommet de l'échelle salariale, 0,1% des Français ont vu leurs salaires augmenter plus que les autres de 1996 à 2001, a reconnu la présidente du Medef. Mais cela concerne 13.000 personnes et seuls 15% sont des dirigeants d'entreprises, a-t-elle relativisé.
Pour la CGPME, le gel des salaires nets est le résultat du coût de la protection sociale qui "a confisqué une part sans cesse grandissante de la richesse créée. L'écart entre le salaire brut et le salaire net s'est donc accru. En clair, le coût du travail augmente pour l'entreprise mais le salarié ne le perçoit pas, bien au contraire. Et cela alimente un malentendu.", explique la confédération des petits patrons dans un communiqué.
Pour les syndicats, le rapport confirme une montée des inégalités défavorable aux salariés et une mutation de l'économie vers le capitalisme financier. Les syndicats appellent le patronat et le gouvernement à "corriger ces déséquilibres". Outre une revalorisation des salaires ou une réforme de la gouvernance des entreprises, plusieurs syndicats réclament une réforme fiscale pour mettre davantage à contribution les hauts revenus, et l'abrogation du bouclier fiscal.
Pour créer de la dynamique salariale, le Medef propose de fusionner les dispositifs de l'intéressement et de la participation pour les entreprises de moins de 250 salariés. La CGPME se dit prête à une "meilleure association des salariés aux résultats" avec un "dividende du travail".