Journée des pâtes : Comment la folie du pesto s’est emparé de la France ?
Genovese et Rosso•A l’occasion de la journée des pâtes ce vendredi, « 20 Minutes » se plonge dans la sauce la plus chic
Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Préparez vos meilleurs spaghettis ou penne, ce vendredi, c’est la journée mondiale des pâtes ! Et pour les accompagner, rien de tel qu’un bon pesto.
- Encore assez confidentielle avant les années 2010, cette sauce monte en flèche dans les foyers - et les pastas - des Français ces dernières années.
- Mais n’en ferait-on pas un peu trop sur cette recette italienne, loin de supplanter la bonne vieille sauce tomate ?
En France, on décapite les rois et on met les pâtes sur le trône. Fini la simple recette au beurre supplément emmental rapé, ou les coquillettes au ketchup pour les plus régressifs d’entre nous ; les pâtes s’embourgeoisent dans le pays de la gastronomie. Leurs différentes formes sont de plus en plus consommées, loin du duopole spaghetti/coquillettes qui a tant régné. Le féculent est désormais choyé avec du parmesan ou des pecorino de puristes. Même les sauces montent en gamme. Oubliez la pulpe de tomate un poil cheap, place au pesto.
Chloé Verneret, data-analyste chez nielsenIQ, confirme l’excellente forme de cette recette made in Genoa. Les ventes en volume ont augmenté de 15 % entre 2022 et 2023. « Le pesto conquiert de plus en plus de foyers français. Aujourd’hui, 10 millions de ménages en achètent, soit un tiers de la population. » Le chiffre d’affaires est passé de 37 millions d’euros en 2017 à 120 millions en 2023.
La grande mystification de la cuisine italienne
L’inflation a-t-elle entraîné un envol de la consommation des pâtes, le plat pas cher par excellence ? « Les ventes de pâtes n’ont augmenté que de 2 % sur l’année, donc ne suffisent pas à expliquer cette croissance », poursuit l’experte. Et le contexte inflationniste aurait plutôt dû constituer un frein à l’achat : « C’est l’une des sauces les plus chères. »
Et ce prix, justement, est paradoxalement une des raisons de son succès. « L’image des pâtes a changé, développe Chloé Verneret. Ce n’est plus le plat de la flemme du dimanche soir vite fait ou la roue de secours, mais un repas à part entière ». L’Italie a en effet bien compris le soft-power que représentaient ses plats et raconte depuis quelques années un roman gastronational de plus en plus poussé. Fini la cuisine populaire, place à des traditions centenaires et des recettes érigées au rang de mythe. Qui n’a jamais vécu un drama en voulant mettre de la crème fraîche dans une carbonara ?
Vos pâtes aussi méritent le meilleur
Avec cette nouvelle vision de sa nourriture, la Botte met les deux pieds dans nos assiettes, retrace Nathalie Louisgrand, enseignante-chercheuse spécialiste de la gastronomie à la Grenoble Ecole de management. Pasta et pizzas n’ont jamais été bien loin, puis les tiramisu, buffala et foccacia se sont mis à franchir les Alpes à leur tour.
Et voici donc le pesto : « Il permet de donner à un plat de pâtes une autre dimension. C’est tout de suite plus sexy qu’avec de la sauce tomate », estime Nathalie Louisgrand. Maintenant qu’on peut bouffer des pâtes à foison sans passer pour un cuisinier branleur ou un étudiant qui refuse de grandir, les 1.001 variétés de pesto « permettent aussi de diversifier simplement les plats ». Pesto au citron, à la noisette, à la carotte, aux épinards...
L’impression healthy et authentique
D’autres tendance expliquent l’avènement de la recette. Marie-Eve Laporte, enseignante-chercheuse à l’université Paris-Saclay et spécialiste de l’évolution du comportement alimentaire, cite le végétarisme, mais aussi l’amour « des recettes faites soi-même » et « la tendance healthy ». Pourtant, le produit est calorique et reste beaucoup moins sain qu’une bonne vieille sauce tomate. Mais « de par sa recette simple à faire soi-même, la mise en avant du régime méditerranéen depuis quelques années et l’aspect traditionnel de la gastronomie italienne, le pesto évite l’image industrielle que peuvent avoir certaines sauces. »
Mais pour devenir le roi, le pesto a encore beaucoup de chemin à faire. Aussi forte soit sa progression, il ne représente que 12 % du marché des sauces en France, renseigne Chloé Verneret. Les sauces tomate sans viande pèsent à elles seules 57 % . Et les sauces avec viande, dont les fameuses bolognaises, 30 %.
Une recette pas si populaire
Il faut dire que le pesto a encore beaucoup de cibles à conquérir. « Le consommateur type, c’est un foyer urbain, plus aisé que la moyenne, avec une sur-présence parisienne. C’est un marché qui séduit principalement les jeunes, les moins de 35 ans sont de loin la catégorie qui en achète le plus », développe l’experte nielsenIQ. Le pesto a aussi du mal à s’implanter dans les familles : « Généralement, ce sont des foyers d’une à deux personnes qui achètent du pesto. Pour les foyers plus nombreux, la sauce tomate est largement préférée. »
Et la multiplication des sauces, qui fait très joli dans les rayons ? Là encore, le succès est à nuancer. Le pesto repose en France sur deux mastodontes, le Rosso et le Genovese (le rouge et le vert pour les nuls en italien). Ces deux-là représentent 80 % du secteur. Oui, le pesto a anobli les pâtes en France. Mais être noble, ce n’est pas encore être populaire.