LITTORALA la Grande-Motte, c’est terminé la bamboche dans les paillotes ?

A la Grande-Motte, trois paillotes ultra-prisées devront déménager

LITTORALUne décision de justice a annulé les permis de construire précaires accordés à ces trois restaurants de plage, bondés chaque été près de Montpellier
Nicolas Bonzom

Nicolas Bonzom

L'essentiel

  • Le tribunal administratif de Montpellier a annulé les permis de construire à titre précaire accordés à trois paillotes du Grand Travers, interdisant leur installation pour la saison 2024, au grand dam de la municipalité de la Grande-Motte.
  • Françoise Clerc, présidente de Grande-Motte Environnement, se félicite de cette décision, estimant que « parfois, les lois sont un tout petit peu oubliées » et qu’il faut que des associations « mettent de l’énergie pour les faire respecter ».
  • Selon un rapport ministériel, paru en 2023, sur les concessions de plages dans le département de l’Hérault, « les paillotes se sont installées en toute illégalité dans les années 1995-2005 » sur le littoral, et « l’Etat ne s’y est pas opposé ».

C’est terminé, la bamboche, au Grand Travers ? Le 21 décembre, le tribunal administratif de Montpellier (Hérault) a, une nouvelle fois, sifflé la fin du bal, sur cette longue plage de sable fin : saisis par deux associations, les juges ont annulé les permis de construire à titre précaire que la commune de La Grande-Motte avait accordé à L’Effet Mer, La Voile bleue et La Paillote Bambou. Tremblement de terre, sur les côtes montpelliéraines : ces trois paillotes ultra-prisées ne pourront pas installer leur barnum, l’été prochain, sur ce bord de mer classé Espace remarquable du littoral. La loi l’interdit.

« Heureusement qu’en France, il y a des lois, se félicite Françoise Clerc, la présidente de l’association Grande-Motte Environnement, qui a saisi la justice avec l’Association des riverains et amis du Grand Travers. Parfois, ces lois sont un tout petit peu oubliées. Alors il y a des gens comme nous, qui mettons de l’énergie pour les faire respecter. »

« Les paillotes se sont installées en toute illégalité »

Car depuis des années, ces paillotes étaient… tolérées. Un rapport ministériel sur les concessions de plages dans l’Hérault (lire ici) indiquait en 2023 que « les paillotes se sont installées en toute illégalité dans les années 1995-2005. L’Etat ne s’y est pas opposé (et perçoit toujours redevances et impôts) et les municipalités se font « rémunérer » […], sous forme de redevances. […] Les contrôles sont restés rares très longtemps, même si les mesures administratives sont très restrictives depuis quelques années. »

Depuis, ces plages privées essuient revers sur revers, devant la justice. Avant Noël, le dernier coup dur, devant le tribunal administratif, semble bel et bien sonner le glas de la fiesta, au Grand Travers : les permis de construire temporaires à titre précaire accordés à L’Effet Mer, La Voile bleue et La Paillote Bambou, qui permettent de s’affranchir des règles d’urbanisme en cas de réelle nécessité, n’ont pas lieu d’être, a dit la justice (lire ici).

Le maire de la Grande-Motte « engagé dans la préservation de la saison 2024 »

« Les permis de construire […], bien que démontés en dehors des périodes d’avril à septembre et limités à deux ans, ne répondaient pas à des nécessités caractérisées tenant à des motifs d’ordre économique, social, culturel ou d’aménagement permettant de porter atteinte aux règles d’urbanismes », ont tranché les juges. Le fort intérêt économique de ces plages privées, qui avait été souligné par le rapport ministériel de 2023, n’a pas retenu l’attention du tribunal. « Le jugement a retenu qu’à la Grande-Motte, il y avait déjà une offre de restaurants plus que satisfaisante, et qu’il n’y avait pas la nécessité absolue d’installer ces paillotes sur ces Espaces remarquables », indique à 20 Minutes Pierre Jean-Meire, l’avocat qui a porté cette affaire devant la justice auprès des associations.

Le long du Grand Travers, à la Grande-Motte, où se trouve les paillotes.
Le long du Grand Travers, à la Grande-Motte, où se trouve les paillotes. - N. Bonzom / Maxele Presse

De son côté, la station balnéaire indique à 20 Minutes que « le maire [Stephan Rossignol, LR] est entièrement engagé dans la préservation de la saison 2024 et s’efforce de trouver une solution à cette problématique ». La commune a interjeté appel de la décision, pour, notamment, « lever la condition suspensive du jugement ». « Nous attendons donc la décision judiciaire et envisageons, en collaboration avec les services de la préfecture, d’autres solutions sur ces emplacements ou ailleurs dans la commune », indique la mairie.

« Il suffit de les décaler, en dehors des Espaces remarquables »

Car « au-delà de l’attrait touristique », assure-t-elle, « de nombreux enjeux cruciaux entourent les restaurants de plage, tels que l’aspect économique avec la promotion des circuits courts et des producteurs locaux, la création d’emplois saisonniers et la garantie de la sécurité sur les plages ». « Cela n'a rien à voir avec les plagistes dont on entend parler, parfois, en Corse ou sur la Côte d'Azur, qui se sont installés de manière illégale, qui ont construit des aménagements en dur, etc. », confie à 20 Minutes Jean-Luc Maillot, l'avocat de la commune et des trois paillotes. « C'est une plage de 7 km, avec trois plages privées de 1.700 mètres carrés ! On n'est absolument pas dans une zone où les gens peuvent à peine passer pour aller se baigner... Et, pendant sept mois de l'année, il n'y a rien sur la plage, tout est enlevé. Il n'y a plus un poteau. C'est une remise en état total. »

Par ailleurs, poursuit leur avocat, L’Effet Mer, La Voile bleue et La Paillote Bambou sont là « depuis vingt-cinq ans, de manière parfaitement légale. Ce sont des concessions données par l'Etat à la commune, qui a pour mission de choisir les plagistes, à travers des appels d'offres. La concession court jusqu'à la fin de l'année. Et c'est l'Etat qui a décidé des textes qui, aujourd'hui, les empêchent de s'installer là où il les a autorisés à le faire ! »

« Les installations sont pensées spécifiquement pour cet endroit-là »

Mais pourquoi les plages privées rechignent-elles tant à déménager ? Car il y a d’autres endroits où la commune pourrait leur accorder le droit de s’installer, assure Pierre Jean-Meire, l’avocat des associations. « Il suffit de les décaler, en dehors des Espaces remarquables », confie-t-il. Car les associations requérantes ne sont pas anti-paillotes. « Absolument pas ! Elles font partie de l’écosystème héraultais, et de la Grande-Motte en particulier », assure Pierre Jean-Meire. Si, au-delà des concessions que l'Etat leur a accordées, les paillotes veulent passer l'été au Grand-Travers, c'est parce qu'un déménagement si rapide est inenvisageable, indique leur avocat. « Les installations sont pensées spécifiquement pour cet endroit-là, assure Jean-Luc Maillot. Et il faut aussi qu'il y ait des installations en eau et en électricité. On ne peut pas déplacer une plage privée si facilement... On ne peut pas, à moins d'un an du terme, leur dire "C'est terminé" ! ». Sans compter la recherche d'un nouvel espace, qui n'est pas si simple que ça, ajoute l'avocat.

Et ailleurs, en France, existe-t-il d’autres paillotes, qui tentent de résister, illégalement, sur des Espaces remarquables ? Des affaires de paillotes, Pierre Jean-Meire en a, d’ailleurs, connu des tas : cet avocat nantais est spécialiste du droit du littoral au cabinet Olex. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’Hérault fait figure d’exception en France, assure-t-il.

« C’est vraiment propre à l’Hérault »

« Dans tous les autres dossiers sur lesquels je travaille, en Corse, en Bretagne, partout… Les plages classées en Espaces remarquables sont sanctuarisées par les préfectures, qui font le nécessaire pour les protéger, assure l’avocat. Dès que des personnes s’aventurent à vouloir mener des activités économiques sur ces espaces, ils sont tout de suite rattrapés par la police de la DDTM [Direction départementale des territoires et de la mer], et se sont sévèrement taper sur les doigts. Dans l’Hérault, pendant très longtemps, la préfecture a fermé les yeux. Je n’ai pas la prétention de connaître tous les dossiers, partout en France… » Mais, pense Pierre Jean-Meire, « c’est vraiment propre à l’Hérault ».

NOTRE DOSSIER SUR LE LITTORAL

« Des restes », sans doute, pense cet expert du droit du littoral, de l’esprit de la Mission Racine, qui a massivement grignoté des espaces naturels, pour aménager les stations balnéaires du coin. « C’est l’exception culturelle de l’Hérault, déplore Françoise Clerc. Il y a la République, et il y a l’Hérault. Et dans l’Hérault, La Grande-Motte. »

La préfecture assure qu'elle veille « à des concessions de plage conformes »

Sollicitée par 20 Minutes, la préfecture de l'Hérault assure s'être rapprochée des communes du littoral, en 2019, lorsqu'un décret a « explicitement remise en cause » les possibilités de s'installer sur des Espaces remarquables. Une mission a été menée, pour tenter de trouver « des scénarii de transition apaisée », pour les trois paillotes phares du Grand Travers : il a été retenu, poursuit la préfecture, de repositionner, ailleurs, ces plages privées, pour la période allant de 2025 à 2029, mais d'autoriser leur installation en 2023 et en 2024 sur les Espaces remarquables où elles ont l'habitude d'ouvrir, « dans l’attente des résultats d’une étude environnementale en cours de production par la commune », détaillent les services de l'Etat. « C’est dans cet optique que des permis précaires ont été demandés et accordés par le maire de La Grande-Motte », précise la préfecture.

La préfecture de l'Hérault assure que la volonté de l'Etat est de « veiller à des concessions de plage conformes à la vocation du domaine public maritime et à la préservation » des Espaces remarquables, « au besoin en repositionnant certains établissements de plage ». « La volonté de l’État est aussi, dans la période intermédiaire, de préserver les engagements (...) en cours, et la vie économique locale essentielle au tourisme. »

L’Effet Mer, La Voile bleue et La Paillote Bambou sont-elles condamnées, au Grand Travers, vitrine de la Méditerranée ? Pour 2024, c'est la justice qui en décidera. A partir de 2025, la loi les obligera à déménager. A moins que... Le périmètre des Espaces remarquables évolue. Mais si l'Etat engage un tel chantier, le bras de fer promet d'être long. L’association Plages plus, qui fédère les concessions de plages d’Occitanie, et son président Joël Ortiz, le patron de la Voile Bleue, n’ont pas répondu à nos sollicitations.