AGRICULTUREPourquoi ça pue pour la lavande française

Pourquoi ça pue pour la lavande française

AGRICULTUREEntre la baisse du cours, liée à la surproduction mondiale, et une attaque soudaine de chenilles qui a ravagé les cultures, la lavande française est en proie à de grandes difficultés
Mathilde Ceilles

Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • La culture de la lavande est en danger en France, alors que le cours s’effondre en raison de la concurrence mondiale et de la surproduction.
  • Les lavandiculteurs ont par ailleurs été frappés de plein fouet par la crise énergétique consécutive à la guerre en Ukraine.
  • Plus récemment, une chenille venue d’Afrique du Nord a ravagé les champs de lavande.

Il y a la beauté des paysages qui fait le bonheur des touristes chinois et des accros à Instagram. Des rangées violettes à perte de vue et cette odeur de lavande, unique, inimitable, qui plonge quiconque la hume dans le meilleur de la Provence. Et puis il y a le recto de la carte postale, beaucoup plus sombre. Perché dans son exploitation drômoise à 700 mètres d’altitude, Alain Aubanel soupire : « Beaucoup de lavandiculteurs autour de moi sont dans une situation très compliquée. »

La lavande française est en crise. La faute d’abord à une chenille qui a tout dévasté sur son passage, drainé en un coup de sirocco au milieu du mois de juillet sur les plantations françaises, notamment en altitude. Un papillon venu d’Afrique du Nord a pondu dans les champs sans crier gare. Trois semaines après, les chenilles noctuelles sorties de leur cocon se sont attaquées aux fleurs. « On a essayé de faire la course contre la chenille, mais c’est la chenille qui a gagné la course, se désole le président du comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises (Cihef). Il y a entre 30 et 100 % de dégâts selon les endroits. Cela a touché plusieurs centaines de producteurs en France et plusieurs milliers d’hectares. »

La concurrence bulgare

Un énième coup de massue pour une culture déjà fragilisée par la concurrence internationale, nouvelle et fracassante. « Le problème, c’est qu’on a eu une douzaine d’années très très bonnes, résume Alain Aubanel. Ça marchait tellement bien que le monde entier a décidé de faire le lavandin. Et en trois ans, on s’est retrouvé face à un phénomène de surproduction. Il y a eu un effondrement des prix de 60 à 70 % en trois ans, au point que les prix sont en dessous du prix du rendement. La Bulgarie est devenue leader mondial. Il faudrait que les entreprises qui sont tentées d’acheter pas cher à l’étranger soutiennent le marché français. Si c’est deux fois plus cher en France, c’est parce qu’on respecte toutes les conditions sociales et environnementales. Le Smic bulgare n’est pas le même que le Smic français. »

Par-dessus le marché, les conséquences de la guerre en Ukraine sont venues s'ajouter aux difficultés déjà fortes de la filière. « On s’est pris une très grosse baffe, reconnaît Alain Aubanel. Nous sommes des gros consommateurs de gaz et de pétrole à travers les cultures et la distillation. Et c’est simple, j’avais fait un rapide calcul, on s’est pris une augmentation de 71 % du prix du gaz et le prix de vente de notre production a baissé de 70 %. En plus, en raison de la crise économique, on se rend compte que les gens achètent beaucoup moins de produits de nettoyage. Or, nos produits se retrouvent pas mal dans les détergents.  »

Dans ce contexte, le gouvernement a annoncé la mise en place d’un dispositif d’aide exceptionnel de 9 millions d’euros pour la filière. Une prise en charge nécessaire mais qu’Alain Aubanel craint qu'elle soit insuffisante. « Les gens les plus en difficultés vont mourir économiquement si on ne trouve pas de solution, s’alarme le lavandiculteur. Dans les plaines, certains pourront peut-être arracher la lavande pour se lancer dans la tomate par exemple. Mais dans les montagnes comme chez moi, il n’y a que la lavande qui pousse. Et dans ces montagnes, certains n’ont pas vendu depuis trois ans… »