Coûts artisanaux (1/5)A la boucherie « Les Jumeaux », la hausse du prix de l’énergie menace

Crise énergétique : A la boucherie « Les Jumeaux », le poulet rôti se fait déplumer par le prix de l’électricité

Coûts artisanaux (1/5)A la boucherie Les Jumeaux aux Lilas, les poulets pourraient ne plus être rôtis. Il n’y a pas que les boulangers qui subissent la hausse des prix de l’électricité et du gaz. « 20 Minutes » a interrogé cinq artisans sur la crise énergétique
Crise énergétique : les bouchers craignent le pire face à la hausse des prix
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Le 23 janvier, les boulangers seront dans la rue pour exprimer leur inquiétude ou leur colère face à la hausse des prix de l’énergie.
  • D’autres artisans sont aussi victimes de factures salées d’électricité ou de gaz. 20 Minutes est allé à leur rencontre.
  • Aux Lilas (Seine-Saint-Denis), Slim Loumi tient la boucherie Les Jumeaux. Malgré une augmentation de sa facture énergétique, l’artisan est optimiste et lance un « Y a pas de saucisse » tonitruant.

Pour les bouchers-charcutiers, la fameuse répartie « Il y en a un peu plus que prévu, je vous le mets quand même ? » s’applique désormais à leur facture d’énergie. Comme de nombreux autres artisans, la profession subit la hausse continue des prix du gaz et de l’électricité.

Le 29 novembre, une manifestation historique des 99 syndicats départementaux du métier était organisé devant l’Assemblée nationale, pour dénoncer le manque de soutien de l’Etat et la crise dans laquelle le monde de la boucherie était plongé avec l’inflation.

Des factures et des hommes

Un mois et demi plus tard, à l’enseigne Les Jumeaux, aux Lilas (Seine Saint-Denis), le gérant Slim Loumi ne peut que répéter la problématique : « Il y a une très grosse hausse des prix de l’énergie, qui se combine à une hausse du prix du poulet. » La facture énergétique se ressent particulièrement au niveau des deux fours, situés en face des stands de viande. « Une heure de cuisson coûtait entre 5 et 7 euros. Désormais, cela facture 20 euros de l’heure », déplore le gérant. Mais pour cet adepte du jeu de mots plus ou moins réussi - et oui, on a subi le « Y a pas de saucisse » à la place du « Y a pas de souci » –, pas question de déprimer ou de faire du misérabilisme. Si les factures grimpent, « elles sont peu nombreuses. Notre chance, notamment par rapport aux boulangers, c’est qu’on a beaucoup moins de cuisson à faire. On peut même quasiment s’en passer. » La facture a tout de même grimpé, passant de 1.400 euros en décembre 2021 à 2.140.99 euros en décembre 2022

On le remarque vite en zyeutant les étalages en vitrine, ici, les stars, ce sont les viandes crues, découpés de mille et une façons. Or, le moteur de froid des vitrines est « beaucoup moins énergivore », puisqu’il ne fonctionne pas en continu. « On refroidit une première fois les vitrines entre 0 et 2 degrés, et la température reste à peu près ambiante. On ne consomme donc que peu avec ça », excepté la chambre froide, qui elle tourne en continu évidemment.

Les changements pour survivre

On a beau avoir le sourire chez Les Jumeaux et ne jamais baisser les bras, cette hausse salée des prix a demandé quelques adaptations. C’est évidemment du côté du four que se passent les changements majeurs : « On fait moins de fournées chauffées, et on a quasiment arrêté les cuissons individuelles. Ça me fait mal au cœur de ne pas pouvoir faire plaisir à un client, mais on n’a pas vraiment le choix. » S’adapter, ou périr.

Et en parlant de froisser le client, « les prix ont un peu augmenté. On a également réduit les marges de bénéfices, mais même en nous sacrifiant un peu, il a fallu une hausse de la viande. » Hausse limitée, car ici, on en a bien conscience : « On veut choyer le consommateur, et ne pas le faire fuir. On ne peut pas répercuter les prix de l’énergie sur celui de nos ventes, il faut trouver autre chose. »

Que Slim se rassure, les clients sont bel et bien là en ce mercredi matin, au rendez-vous d’un achat d’une bonne pièce de viande. Une cliente septuagénaire n’a pas perdu ses habitudes, ni ses talents pour l’hyperbole : « Je préfère manger moins pendant des jours et venir acheter ici de temps en temps. Regardez comme la viande est magnifique. La première fois que je suis entré ici, j’ai pleuré tellement c’était beau. »

Si avec ça Slim n’a pas du baume au cœur, on ne sait plus ce qu’il lui faut. Retour à l’optimisme et au verre à moitié plein chez le gérant : « Cette crise énergétique nous permet aussi de consommer plus intelligemment : on débranche les appareils électriques, on éteint la lumière lorsqu’on n’est pas dans une pièce… C’est vrai qu’avant, on faisait beaucoup moins attention à nos dépenses énergétiques superflues. » Un mantra « Ce n’est pas Versailles ici » qui le suit même en dehors du boulot : « Grâce à ça, je fais aussi plus attention même à la maison. »

Des aides de l’Etat ou des collectivités ?

Slim n’a pas la langue de bœuf dans sa poche - oui il nous a contaminés sur les jeux de mots –, mais pour le coup, le gérant est forcé d’être concis : « Il n’y a pas d’aides de l’Etat ou des collectivités. On est seul à devoir gérer cette hausse de prix conséquente. »

Comment se voit-il en janvier 2024 ?

Vous avez compris le personnage, l’optimisme est évidemment de rigueur chez Slim : « Je pense qu’on sera encore là, il n’y a pas de raison qu’on disparaisse. La hausse des prix ne concerne que certaines parties bien précises de notre secteur d’activité, qu’on peut facilement réduire. »


Notre dossier Crise énergétique

Si la boucherie Les Jumeaux ne devrait donc pas fermer boutique, un sort plus défavorable attend peut-être les poulets : « Il est possible qu’on arrête la volaille, en tout cas cuite. Bien sûr qu’on a l’amour du client, mais malgré toute la bonne volonté du monde, on ne peut pas vendre à perte non plus. »