PENURIEAvec la sécheresse, y aura-t-il des patates pour l’hiver ?

Sécheresse : Y aura-t-il des pommes de terre cet hiver ?

PENURIELa fin de l’abondance signifie-t-elle la fin de la mousseline ?
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • La sécheresse historique de cet été en France a causé de grosses pertes dans la culture de pommes de terre.
  • Les différents acteurs réclament des mesures fortes pour protéger la production et aider à ce que les prix ne s’emballent pas trop.
  • Malgré tout, la patate devrait bien être dans nos étals cet hiver, et à un tarif raisonnable.

Si vous avez détesté cet été 2022 fait de canicules et de sécheresses, vous avez un point commun avec les patates. Les cultures de pommes de terre ont en effet bien souffert en France cette année, avec une récolte entre juillet et septembre jugée « catastrophique » par les professionnels de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT). L’organisation estime que près de 1,5 million de tonnes pourraient être perdues sur le sol français, soit un recul « d’au moins 20 % par rapport à la moyenne des vingt dernières années. »

On parle ici d’un incontournable de nos assiettes : le Français lambda en engloutit 52 kilos par an en moyenne, et 64 % de la population en mange chaque semaine. Une filière qui rencontre aussi un véritable succès international : il s’agit du troisième féculent le plus consommé de la planète après le riz et blé, renseigne Yves Marin, consultant grande distribution au cabinet de conseil Bartle. On se préparait à passer l’hiver sans chauffage ni électricité, et voilà qu’on découvre qu’il n’y aura peut-être même pas de pommes de terre pour nos soirées raclette ?

Votre colin, avec ou sans patate ?

Pas - trop - de panique, votre rayon fruits et légumes préféré devrait conserver des pommes de terre cet hiver. La France est le premier pays exportateur européen de la tubercule, avec plus de 2 millions de patates qui partent chaque année à l’étranger, annonce Yves Marin. « Il suffit de moins en vendre à l’étranger », note l’expert, et de garder le butin pour nous.

C'est un peu plus complexe selon Geoffroy d’Evry, président de l’UNPT : « On ne peut pas garder tous les stocks pour la France. Il y aura forcément des manques dans notre pays, comme à l’export, même si on peut jouer sur les pourcentages. » Pas possible non plus, pour compenser le manque, d'acheter massivement à l’étranger : la sécheresse a touché toute l’Europe, dont les gros pays producteurs, comme l’Allemagne ou la Pologne.

Différence de cultures

Toutes les patates ne sont pas logées à la même enseigne. Un tiers de la production française bénéficie d’une irrigation artificielle, subissant moins, de facto, les effets de la sécheresse et de la canicule. « Cela ne veut pas dire qu’elles sont totalement indemnes, nuance Geoffroy d’Evry. Elles ont subi des chaleurs exceptionnelles, avec des conséquences sur leur physionomie et physiologie », ce qui entraîner des pertes dans les champs.

Mais la vraie perte a eu lieu pour les patates non irriguées et dépendantes uniquement de la pluviométrie naturelle, au plus bas en cet été 2022. « Il y a un énorme manque de rendement sur ces cultures », déplore le président de l’UNTP.

Au frais, rien de nouveau

Cette différence, vous la verrez en supermarché. Les pommes de terre « fraîches », celles que l'on retrouve au rayon fruits et légumes, ne devraient connaître aucune pénurie. En effet, 85 % d'entre elles sont irriguées artificiellement, selon les chiffres du comité national interprofessionnel de la pomme de terre (CNIPT), et ont donc été relativement épargnées par cet été horribilis. « D’autant plus que les mouvements de panique de la population sont quasi exclus : la pomme de terre ne se stocke pas longtemps, on ne devrait donc pas voir des consommateurs inquiets repartir avec 10 kilos de patates comme on a pu le repérer avec l’huile de tournesol, l’essence ou les fameux rouleaux de papiers de toilette au confinement 1 », estime Yves Marin.

Luc Chatelain, président du CNIPT, se veut rassurant : « Pour les pommes de terre fraîches, il y a une production suffisante pour le marché français. Il n’y aura pas de manque et la filière fera tout pour un approvisionnement régulier de la population. »

Chéri, j’ai rétréci les frites

Vous l'aurez compris, la pomme de terre de transformation industrielle - celle qui va être transformée en frite, en purée, en chips, ou être utilisée dans les plats transformés - est majoritairement issue de cultures non irriguées. Là encore, pas de risque de pénuries ou de rayons vides, mais « quelques tensions devraient avoir lieu », note Geoffroy d’Evry.

Et si un battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut provoquer un cyclone au Texas, la sécheresse de cet été pourrait influer sur la taille... des frites. En raison du choc thermique et hydraulique, les tubercules sont moins gros, produisant donc des frites plus petites. Des débats sont ainsi en cours entre industriels pour diminuer la taille de chaque catégorie de « fritabilité » (l'indice qui norme la taille, la forme et même la couleur des frites).

De la pomme de terre oui, mais à quel prix ?

Il y aura donc encore des pommes de terre fraîches, les frites seront peut-être plus petites mais bien là. La différence pourrait alors se faire au niveau du porte-monnaie. « Une hausse des prix n’est pas à exclure au vu de l’explosion des coûts de production et du manque de rendement », prévient Luc Chatelain. On vous rassure, votre tartiflette ne va pas vous coûter 300 euros non plus : « La pomme de terre restera un produit accessible, bon marché et compétitif, rassure le directeur. Si augmentation des prix il y a, elle devrait être légère. »

Et pour la rendre la plus légère possible, l’UNPT milite pour une aide de l’Etat, mais également pour une meilleure répartition. Actuellement, pour un euro de pomme de terre vendu, le producteur touche 20 centimes. « La grande distribution doit faire un effort et céder une partie de ses marges aux producteurs, bien plus menacés par la crise. Elle résistera à 2022, mais cela pourrait ne pas être le cas de beaucoup des nôtres », s’inquiète Geoffroy d’Evry. Or, la semence de la prochaine récolte se joue maintenant, et il n’est pas certain que tous les producteurs puissent la financer. « C’est la récolte de l’année prochaine qui se joue », alerte le directeur de l’UNPT. Cet hiver, tout devrait rouler. Mais rien n'est sécurisé pour 2023.