Marseille : Qu'apportent les data centers à la ville ?
INTERNET•Marseille fait figure de porte du Web avec ses 14 câbles sous-marins et ses 4 data centers, infrastructure que des élus écolos marseillais voudraient mettre à contribution pour financer la transition énergétique
Alexandre Vella
L'essentiel
- Marseille se classe à la 9e place mondiale des hubs Internets.
- Une infrastructure conséquente et énergivore, avec peu de bénéfices directs pour la ville.
- Comment cet environnement numérique pourrait contribuer à la collectivité, et faut-il réguler son appétit ?
L’équivalent de 1.000 fois l’intégrale de Breaking bad (5 saisons). Voici, selon Planetoscope, la quantité de données créées chaque seconde sur Internet. Soit 29.000 gigaoctets, ou encore 100 ordinateurs avec une capacité de stockage de 300 gigaoctets (configuration standard des ordinateurs portables).
Autant de données qui doivent pour autant être stockées quelque part : c’est là le rôle des data centers. Elles doivent aussi pouvoir circuler d’un ordinateur à un autre, d’un continent à un autre, à l’aide de câbles. Mondes d’apparences virtuels, les Internets n’en sont pas moins bâtis sur des infrastructures physiques.
Marseille, porte du Web
Et dans cette infrastructure-monde, Marseille, porte d’entrée (et de sortie) de 14 câbles sous-marins, positionnée à la 9e place mondiale, fait figure de pilier. « Le XIXe siècle était le siècle des gares et des ports, le XXe celui des aéroports et des autoroutes, le XXIe est celui des data centers et des câbles sous-marins », résume Sami Slim, directeur adjoint de Telehouse France.
« Et ceux qui détiennent ces routes-là, ont une influence mondiale, car c’est là que se fait le commerce numérique », complète Sami Slim, dont la société, japonaise d’origine, vient de construire un data center de 8.000 m² à Marseille, le quatrième que compte la ville en comptant les trois bâtis par Interxion, son concurrent américain.
« Financer la transition énergétique »
On peut se féliciter de l’attractivité marseillaise pour cette économie du XXIe siècle et s’interroger sur ses conséquences et ses bénéfices pour la collectivité. « Leur impact indirect est assez important et ils pourvoient peu d’emplois », estime Sébastien Barles, adjoint à la mairie de Marseille en charge de la transition énergétique. « Les data centers et l’architecture Internet font peser une pression locale sur les infrastructures, notamment le réseau électrique, et dégagent de la chaleur. Il faudrait imaginer un vrai mécanisme de compensation », souhaite-t-il. Une réflexion actuellement à l’œuvre au sein du groupe écologiste de la majorité municipale, mais aussi chez EELV. L’idée avancée pour l’heure est celle d’une sorte de taxe Tobin* appliquée aux portes d’entrées et de sorties des flux numériques. « Je ne sais pas si c’est la bonne solution », relativise Sébastien Barles, « mais l’idée est de pouvoir financer la transition énergétique ».
Car les data centers et l’architecture numérique, sans qui aucune « dématérialisation » n’est possible, sont gourmands en énergie. Le gouvernement français estime à 12% la part des équipements numériques de la consommation électrique du pays, dont 3 % pour les seuls data centers. Une part appelée à croître.
« Poser sérieusement la question des usages »
« Le rythme de croissance de la consommation de données est d’environ 50 % par an », avance Hugues Ferreboeuf, spécialiste des questions de transition numérique et énergétique pour le think tank The Shift Project. Polytechnicien, ingénieur des Mines et ancien cadre dirigeant de France Télécom Orange, il prêche « pour une action forte de régulation ». « Le modèle économique du numérique favorise des offres ou des comportements qui ne sont pas alignés avec les objectifs d’empreinte carbone ». Et d’avancer des pistes, comme l’interdiction des forfaits illimités ou la surtaxe au-dessus d’un certain niveau de consommation. « Une grosse capacité des data centers est utilisée pour des choses loin d’être essentielles », poursuit Hugues Ferreboeuf. La part des vidéos en ligne, par exemple, représente 80 % de la croissance des réseaux et 65 % du trafic actuel, précise l’ingénieur télecom. « Il faut se poser sérieusement la question de la place que l’on donne à ces usages ».
Pointées du doigt, les sociétés d’hébergements de données plaident la bonne vertu environnementale et la promesse de la neutralité carbone. « 100 % de notre énergie est d’origine renouvelable », abonde Sami Slim, qui précise « étudier des solutions pour réinjecter la chaleur dégagée dans le chauffage de logements, comme nous le faisons déjà à Paris ». L’idée n’est pas de critiquer les efforts de telles entreprises mais de les situer dans l’urgence climatique qui est la nôtre, et d’interroger leurs contributions aux collectivités. Telehouse, via son partenaire français The jaguar network, a ouvert une école de code à Marseille et ambitionne la création d’un centre de formation pour 2022, à même de former la main-d’œuvre dont l’entreprise à besoin. « On estime que l’on va créer 100 à 200 emplois directs à Marseille », expose Sami Slim pour qui une régulation trop forte, taxes ou autres, n’amènerait les industriels qu’à considérer d’autres points de chutes. Un bénéfice faible, voire insuffisant, pour la collectivité, estiment les élus écologistes qui voudraient les voir contribuer davantage.
« On s’aperçoit que l’on n’arrivera pas à combattre le changement climatique sans sobriété, et sans que ce soit la faute des data centers », considère pour sa part Hugues Ferreboeuf. « Mais sans régulation forte, il n’y a aucune raison de penser que tout ira mieux, et nous n’avons plus le temps de prendre le risque », conclut-il.
* Taxe Tobin : Du nom de James Tobin, prix Nobel d’économie en 1981, qui a suggéré une taxation des transactions monétaires internationales, ce qui n’a jamais vu le jour.