La France aura-t-elle bientôt le déclic pour le vin en canette ?
CONSOMMATION•Alors que le marché se situe pour le moment essentiellement aux États-Unis et en Asie, des producteurs et des industriels anticipent une hausse de la consommation de vin en canette en France
Mickaël Bosredon
L'essentiel
- La marque de boisson lactée Cacolac, acteur historique du vin en canette en France, agrandit son usine de production implantée au cœur du vignoble bordelais.
- Maison Le Star, négociant et producteur en Gironde, écoule désormais entre 80.000 et 100.000 canettes de vin en France par an.
- La start-up Wine Star a lancé une nouvelle marque, Star Beverages, pour accompagner les vignerons français qui souhaitent mettre leur vin en canettes.
Après l’explosion des bag in box (BIB, ou poches de vin), la consommation de vin en canette va-t-elle connaître un déclic en France ? Si les professionnels du vin ne lisent pas dans le marc de café, ils s’accordent néanmoins sur le fait de ressentir un « frémissement »…
Acteur historique - depuis 2012 - de la mise en canette de vin, la marque bordelaise de boisson lactée Cacolac vient d’annoncer l’investissement pour cinq millions d’euros dans une nouvelle usine de production, à Léognan en plein cœur du vignoble bordelais, où elle est implantée depuis 2000. S’il s’agit surtout de satisfaire une demande internationale en forte croissance, c’est aussi pour anticiper une évolution du marché français, jusqu’ici réticent mais qui semble s’ouvrir.
Selon une étude publiée cet été par Ball Corporation (fournisseur d’emballage en aluminium), un tiers des Français ont déjà consommé du vin en canette ou sont prêts à l’essayer. Cette tendance de consommation est observée chez 48 % des personnes de la génération Z (- de 20 ans) et chez plus de deux milléniaux (- de 35 ans) sur cinq (43 %).
Déjà six millions de canettes de vin par an chez Cacolac
Son unité de production arrivée à saturation, Cacolac va donc réaliser un nouveau bâtiment « exclusivement consacré aux prestations de remplissage pour les alcools, et notamment le vin, sur lequel il y a une grosse demande », explique le PDG de l’entreprise Christian Maviel.
Cacolac produit déjà quelque six millions de canettes de vin par an, pour un total de production de 60 millions de canettes, tous produits confondus. Sa nouvelle usine devrait lui permettre d’augmenter de 25 millions, dans un premier temps, et 40 millions à terme, sa production de boissons alcoolisées en canettes. Ce nouveau site de 2.000 m2 devrait être opérationnel fin 2022.
Maison Le Star vend entre 80.000 et 100.000 canettes par an en France
La très grande majorité de la production de vin en canette partira à l’étranger, notamment en Amérique et en Asie. « Pour l’instant, le marché se situe majoritairement aux Etats-Unis, où les consommateurs s’affranchissent plus facilement du contenant, poursuit Christian Maviel. Ils recherchent la praticité de l’emballage, et n’ont pas le même rapport au produit que le consommateur français, où le poids de la tradition est plus fort. En Europe, il y a une demande qui émerge également depuis trois-quatre ans, en Angleterre et dans les pays scandinaves essentiellement. »
Mais cela bouge en France aussi. Maison Le Star, entreprise de négoce basée à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), et qui possède également trois châteaux dans le Bordelais, a lancé en 2020 une gamme de vin classique en canette, Le Star. Il s’agit de vin IGP (Indication géographique protégée) de pays d’oc, décliné en trois cépages, le merlot en rouge, le chardonnay en blanc et le grenache en rosé. « Nous vendons 200.000 canettes par an, essentiellement à l’étranger, notamment aux Etats-Unis, mais nous sommes aussi référencés chez Carrefour en France, où nous en avons écoulé entre 80.000 et 100.000 par an sur ces deux premières années », assure le responsable marketing, Emmanuel Castano.
« Ce n’est pas censé remplacer la bouteille »
« On sent qu’il y a un attrait du marché français, de gros concurrents s’y mettent, poursuit le responsable marketing de Maison Le Star. Mais le succès passera par une meilleure visibilité, notamment au sein de "corners" dédiés dans les grandes surfaces. C’est pourquoi nous proposons notre produit dans l’univers snacking, au milieu des salades, des bières et des sodas, plutôt que d’être noyés dans les rayons vin. C’est un vin prêt à boire, pour une consommation nomade, sachant qu’une canette de 25 cl représente deux verres, avec l’avantage de la légèreté et de la praticité. Ce n’est pas censé remplacer la bouteille. »
« C’est un moyen de faire redécouvrir le vin à une jeune population qui s’en est un peu désintéressée », poursuit Christian Maviel. Même si tout type de vin ne se prête pas à ce mode de consommation. « Nous y mettons des vins de qualité, c’est indispensable sinon on perd le consommateur, mais ce sont essentiellement des vins nouveaux, rosé ou blanc, plus adaptés à ce concept de "can" qui va chercher de la fraîcheur, et à consommer rapidement. Ce n’est pas fait pour du vin de garde, même s’il n’y a pas de contre-indication non plus, car l’emballage en aluminium et sans bisphénol A est neutre. »
Chez Cacolac, le vin rouge représente 10 % des canettes, le blanc 20 à 30 % et le reste est en rosé. « Il s’agit majoritairement de vin du sud de la France, mais les vins de Bordeaux s’y mettent aussi, ajoute le PDG. Je pense même que Bordeaux peut-être un des acteurs dynamiques de ce concept dans les années à venir. »
« Consommation plus accrue du vin au verre ces dernières années »
Avec sa start-up Wine Star, Cédric Segal avait fait, dès 2013, le pari de proposer du vin AOC (Appellation d'origine contrôlée) en canette. « Je n’ai jamais compris pourquoi on ne boirait pas du bon vin autrement qu’à la bouteille, explique-t-il. En revanche, le vin n’évolue pas en canette, il doit donc être prêt à boire. »
Wine Star a produit plus de deux millions de canettes depuis son lancement. Production qui s’est écoulée à 90 % à l’international « car il y avait jusqu’ici une grande réticence en France » reconnaît l’entrepreneur. « Mais c’est en train d’évoluer, assure-t-il, notamment à la faveur d’une consommation plus accrue du vin au verre ces dernières années. »
Un produit « essentiellement estival, pour des pique-niques ou des apéros »
Cédric Segal a lancé une nouvelle marque en 2018, Star Beverages, qui réalise de la prestation de service pour les vignerons français souhaitant mettre leur vin en canette. « On travaille avec 150 vignerons, et si la production part essentiellement à l’étranger, nous avons quelques marques comme La Robe du vin, ou Miss Vicky Wine dans le Beaujolais, qui vendent aussi en France, et même le domaine de Fabrègues dans le Languedoc et la coopérative Celliers du Dauphin (Vallée du Rhône) qui sont présentés à Auchan. »
Souvent considéré comme sacrilège en France, le vin en canette peut-il se démocratiser sur nos tables ? Cédric Segal y croit, car « le marché est de plus en plus mûr », mais il faudra attendre « le printemps ou l’été 2022 » pour avoir des premiers éléments de réponse, car cela reste un produit « essentiellement estival, pour des pique-niques ou des apéros » souligne Christian Maviel.