Perseverance sur Mars : Peut-on (et doit-on) parler de rentabilité économique avec la conquête spatiale ?
VERS L’INFINI•Le débat sur l’utilisation de l’argent public pour l’espace n’est pas nouveauNicolas Raffin
L'essentiel
- Les nouvelles missions sur Mars, dont la dernière a permis d’envoyer le rover Perseverance sur la planète rouge, nécessitent des milliards de dollars de dépenses.
- L’espace reste majoritairement l’affaire des Etats, qui ne visent pas une rentabilité à court terme.
- Et le secteur spatial « commercial », lui, est aujourd’hui très minoritaire.
Perseverance est bien arrivé. Sept mois après avoir quitté la Terre, le véhicule de la Nasa s’est posé la semaine dernière sur la planète Mars. Il aura notamment pour mission de rechercher d’éventuelles traces de vie et de déterminer si une exploration humaine de la planète rouge est possible. Évidemment, un programme aussi sophistiqué coûte cher : 2,7 milliards de dollars, incluant le développement, la construction, le lancement, et la mission elle-même sur Mars.
Une somme qui peut paraître très élevée en valeur absolue, mais qui ne l’est pas tant lorsqu’on la compare à d’autres missions spatiales. Selon « The Planetary Society », une ONG américaine spécialisée dans l’espace, l’envoi du rover Curiosity sur Mars en 2011, toujours par la Nasa, a ainsi coûté 3,2 milliards de dollars. Un coût relativement similaire.
Des milliards dans le ciel
Et si l’on compare aux missions incluant l’envoi d’équipages dans l’espace, Perseverance apparaît comme un projet « low-cost ». Ainsi, le programme américain « Space Transportation System » (STS), qui a conduit au développement de la navette spatiale dans les années 1980, a nécessité 50 milliards de dollars. Quant au programme Apollo, qui a permis à plusieurs hommes de marcher sur la Lune, il a coûté 206 milliards de dollars*, quasiment 70 fois le prix de Perseverance.
Ces chiffres rappellent une réalité : aller dans l’espace coûte cher, car cela nécessite énormément de compétences humaines et technologiques. Or, dans une période où la dette se creuse et avec un président de la République française qui affirme qu’il n’y a pas « d’argent magique », ces dépenses peuvent poser question. L’espace doit-il, et peut-il être rentable, comme s’il était une activité économique classique ?
Le service public de l’espace
« Quand on parle d’espace, on parle surtout d’argent public, précise Pierre Lionnet, économiste et directeur de recherche à Eurospace, une association qui défend les intérêts des industriels du secteur spatial. Par exemple, 80 % des satellites et des lancements correspondants sont achetés par des gouvernements pour des programmes d’Etat. Il s’agit d’un marché public, donc la notion de rentabilité ne va pas être la même que celle d’une entreprise privée ». Il illustre son propos par une métaphore : « Quand la mairie de Paris change l’ampoule d’un réverbère, on ne demande pas au réverbère d’être rentable mais de bien éclairer. Le service spatial, c’est pareil. Quand vous utilisez Galileo (l’équivalent européen du GPS), c’est gratuit, alors qu’il a fallu dépenser énormément d’argent pour déployer les satellites ».
Une forme de service public de l’espace, donc. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’argent utilisé est dépensé sans aucun contrôle. « Même si nous n’avons pas d’objectif de rentabilité comme pourrait l’avoir une entreprise privée, il nous est demandé, pour chaque mission, d’avoir le meilleur rapport qualité-prix en termes de propositions commerciales, explique Murielle Lafaye, responsable du pôle « Intelligence économique » au Centre national d’études spatiales (Cnes). D’autre part, les missions doivent maximiser les retombées socio-économiques et les réponses à des enjeux sociétaux. »
Des avancées de tous les jours
Mais alors au-delà du prestige et de l’aventure scientifique propres à de telles explorations, quelles peuvent être ces fameuses retombées ? « Les spationautes ont largement contribué à mieux comprendre la physiologie humaine, savoir comment le corps se comporte en micro-pesanteur, poursuit Murielle Lafaye. Des avancées majeures ont été faites sur les mécanismes de l’ostéoporose, avec l’invention d’un dispositif médical qui créé des micro-chocs au niveau des os pour les densifier et réduire les problèmes. Des matériaux comme le Téflon ont également été développés dans le cadre de la conquête spatiale et se sont retrouvés dans la vie de tous les jours ». On pourrait aussi citer le développement des IRM, ou bien celui des puces informatiques. Autant de développements qui peuvent survenir des années après les missions spatiales proprement dites, ce qui complique le calcul d’une hypothétique rentabilité à court terme.
Aujourd’hui, « cette notion de rentabilité n’existe que pour les entreprises privées qui lancent des satellites, assure Pierre Lionnet. Par exemple, StarLink, développé par Elon Musk [également patron de SpaceX], ambitionne de fournir un accès internet direct partout dans le monde grâce à des milliers de satellites. Un tel système coûte des milliards de dollars. Donc pour être rentable, il faudra des millions d’abonnés prêts à payer 99 dollars mensuels. C’est un vrai pari ».
Un siège à 55 millions de dollars
Au-delà des fantasmes de futures opérations spatiales potentiellement très rentables – certains évoquent par exemple l’extraction de minerais précieux sur des corps célestes –, le prochain marché économique de l’espace pourrait être celui du tourisme. SpaceX prévoit ainsi d’envoyer en orbite fin 2021 le milliardaire Jared Isaacman et Hayley Arceneaux, une travailleuse sociale, accompagnés de deux autres astronautes non-professionnels tirés au sort et censés incarner des « valeurs » : la Générosité et la Prospérité. Prix du ticket : environ 55 millions de dollars par personne, entièrement pris en charge par Jared Isaacman.
Un marché de niche donc, fortement critiqué par certaines ONG. Comme Fridays For Future, qui s’est fendue d’une publicité parodique la semaine dernière pour rappeler qu’il faudrait mieux « s’occuper du changement climatique » que de plaire aux plus aisés.
* En dollars de 2020, c’est-à-dire en prenant en compte l’inflation par rapport à la période où le programme s’est déroulé.