Couvre-feu : Avec la fin des dîners, les restaurateurs redoutent de « rester sur le carreau »
REPORTAGE•Avec l’annonce du couvre-feu une semaine après les nouveaux protocoles sanitaires imposés, les restaurateurs ont l’impression de payer pour d’autresRomarik Le Dourneuf
L'essentiel
- Emmanuel Macron a annoncé, ce mercredi, la mise en place d’un couvre-feu dans plusieurs métropoles à compter de samedi.
- Les restaurateurs, déjà durement touchés par le confinement et les protocoles sanitaires, s’inquiètent des conséquences de ce couvre-feu. Beaucoup d’établissements à l’agonie pourraient définitivement mettre la clé sous la porte.
- Ils espèrent bénéficier d’une dérogation pour leurs employés, sans quoi ils devront fermer encore plus tôt que d’habitude.
«Regardez, à partir de samedi, c’est vide, pas une réservation. » Agenda à la main, Julien fait défiler les pages blanches. Ce responsable de salle du bistro Augustin, dans le 14e arrondissement de Paris, constate déjà l’effet du couvre-feu.
Annoncée mercredi soir par Emmanuel Macron, l’interdiction de circuler de 21h à 6h, à partir de ce samedi, est un choc pour les restaurateurs.
« Ils nous achèvent »
« C’est dur, très très dur. » A l’évocation de cette mesure, les restaurateurs accusent le coup. Après avoir enduré le confinement et les protocoles sanitaires qui se sont endurcis jusqu’à la semaine dernière, ils ont le sentiment de recevoir le coup de grâce. « Déjà que le télétravail nous avait fait mal sur le déjeuner. Là, ils nous achèvent », soupire le patron de la brasserie Au temps passé, rue d’Alésia. Prostré derrière son comptoir, il confie, dépité, ne pas voir de solution. Pourtant, cette annonce n’est pas vraiment une surprise. Marco, patron du restaurant Le saut du crapaud, rue des plantes, l’avoue : « Ils ont fermé les bars et les chiffres continuaient à monter. On savait qu’on était les prochains. » Interloqué, il a l’impression d’être injustement montré du doigt : « Les études montrent que les clusters ne se font pas dans les restaurants ! » Julien, dans son bistro Augustin, partage la même incompréhension. Pour lui, fermer les restaurants en laissant les transports bondés ouverts est une aberration : « Il n’y a même pas une station qui propose du gel hydroalcoolique. »
Les restaurateurs relèvent également un flou dans l’annonce faite par le président : les employés disposeront-ils d’une dérogation ? Au bistro, les collègues de Julien en débattent. « Le président dit que pour un client qui vit à cinq minutes, il faudra partir à 20h50. Mais les employés ? Ils doivent ranger la terrasse, faire leur caisse, le ménage. Certains habitent à 45 minutes ou une heure de Paris. » Si la dérogation ne leur est pas accordée, les établissements devraient fermer encore plus tôt que prévu.
Se réorganiser pour limiter la casse
Au pied du mur, ils réfléchissent déjà à des alternatives. La première serait de proposer un service plus tôt. Mais elle n’évite pas tous les obstacles. Marco les énumère : « Pour que ça marche, il faudrait que les gens sortent plus tôt du travail, qu’ils s’organisent bien en amont avec leurs amis et qu’ils acceptent de se restaurer, pas de s’attabler. » La nuance peut paraître fine, mais Marco l’explique simplement : quand on dîne au restaurant, c’est pour passer du bon temps. Le couperet de 21h risque grandement de gâcher ce plaisir. « Et puis il va falloir leur demander de partir, c’est un peu violent. »
Si Julien et Marco envisagent déjà de proposer de la vente à emporter, ce n’est pas le cas d’Ornella, patronne du restaurant Les Frangines, rue Raymond Losserand : « Les gens ne prennent pas de brasserie à emporter. Ils veulent des pizzas, de l’asiatique ou des burgers. » Elle a déjà pensé à une autre solution : proposer un apéro dînatoire. Mais Ornella reste inquiète à propos du succès de cette formule : « Est-ce que les gens vont avoir le temps de venir entre la fin du travail et le couvre-feu ? Savoir qu’on est pressé, ça n’engage pas à sortir. »
L’appel aux Parisiens
Même avec ces tentatives, tous savent que la période sera très difficile. Ornella réfléchit déjà à réduire son personnel. Julien pourrait demander l’activité partielle pour une partie de ses équipes, voire fermer pendant un temps. Pour Marco, la fin pourrait être plus triste. Si ses tentatives d’attirer les clients pendant le couvre-feu n’aboutissent pas, il pourrait fermer définitivement : « Ok, il y a le chômage partiel et des petites aides de l’Etat. Mais les charges fixes sont plus importantes et il y a les emprunts à rembourser. Et moralement, je ne sais plus si j’en ai envie. C’est dur de se lever tous les matins en se demandant si on va être contraint de fermer. »
Les restaurateurs comptent sur la solidarité des Parisiens et les appellent à continuer de venir dans leurs établissements, que ce soit tôt après le travail ou pour prendre à emporter. Mais cela ne sera pas suffisant pour tous, comme soupire le patron de la brasserie Au temps passé : « Beaucoup resteront sur le carreau. »