Croisière : Les bateaux reprennent la mer alors que le secteur est en pleine tempête
TOURISME•Coronavirus et pollution, le secteur de la croisière fait face à de nombreux défisRomarik Le Dourneuf
L'essentiel
- A la suite de l’autorisation donnée par le gouvernement italien, les croisières peuvent repartir sur la Méditerranée à partir du 15 août.
- Véritables foyers de contamination potentielle, les bateaux de croisière assurent mettre en place des plans de sécurité sanitaire drastiques.
- Bien avant la crise du coronavirus, les croisières étaient déjà fortement critiquées pour la pollution qu’elles génèrent.
La croisière ne s’amuse plus vraiment. Touché de plein fouet par la crise du coronavirus, le secteur lutte depuis quelques années contre de nombreux vents contraires. Alors que les croisières du groupe MSC doivent reprendre ce dimanche 16 août, l’existence même de ce type de loisirs est remise en cause. Que ce soit au niveau sanitaire ou écologique, les villes flottantes pourront-elles résister à de nouvelles tempêtes ?
Des foyers de contamination
Ironie du calendrier, à l’heure où le Covid-19 semble regagner du terrain en France et les clusters se multiplier, les croisières en Méditerranée repartent. C’est le gouvernement italien, par la voix de son premier ministre Giuseppe Conte qui a annoncé le décret permettant aux croisiéristes de reprendre leurs activités dès le 15 août. Si le contexte n’était pas déjà suffisamment particulier, cette semaine, un collectif de passagers français du Costa Magica a déposé 180 plaintes contre la compagnie.
Comme eux, de nombreux vacanciers se sont retrouvés coincés pendant le confinement. Selon l’université John Hopkins, s’appuyant sur des chiffres de la CLIA (La fédération internationale des croisiéristes), plus de 3.000 personnes ont été contaminées et 73 sont décédées à bord de 48 bateaux, jusqu’au 11 juin.
Un dispositif sanitaire renforcé
Face aux inquiétudes des possibles passagers, les groupes maritimes se sont voulus rassurants. Le groupe MSC a été le premier à s’exprimer sur les conditions sanitaires qui seront appliquées. Ces mesures, confirmées à 20 Minutes par le groupe, se divisent en 6 étapes.
Tout d’abord, tous les passagers et membres du personnel à bord seront dépistés au Covid-19, leur température contrôlée et un questionnaire de santé devra être rempli avant l’embarquement. Ensuite de nouvelles méthodes d’assainissement, comprenant l’utilisation de produits utilisés en milieu médical sont mises en place et l’assainissement de l’air sera effectué par la technologie UV-C, censée détruire 99,97 % des microbes. La distanciation physique sera assurée par une réduction de la capacité d’accueil à 70 % et par des mesures à chaque activité et dans les différentes zones du bateau. Enfin, le groupe assure avoir mis en place des services médicaux et de surveillance, ainsi qu’un plan d’urgence d’intervention à bord. Reste à savoir si ces mesures convaincront les touristes.
Une économie grandissante
Si la croisière pose autant de questions, c’est que l’industrie pèse tout de même 150 milliards d’euros par an dans l’économie mondiale et soutient 1,17 million d’emplois dans le monde, selon la CLIA. L’Isemar (Institut supérieur d’économie maritime de Nantes-Saint-Nazaire) évalue à 25 millions le nombre de passagers annuels sur ce type de bateau. Le secteur est aussi important en France, avec notamment des compagnies comme celle du Ponant, mais aussi et surtout, la construction navale. Les chantiers de l’Atlantique annonçaient d’ailleurs la signature, en janvier dernier, de contrats d’un montant de 6 milliards d’euros. Avec toute l’économie et les emplois qui gravitent autour, les difficultés du secteur pourraient inquiéter. Selon Camille Valero, chargée d’études à l’Isemar, ces chantiers ne sont pas remis en question pour le moment, seulement reportés. Mais les croisières, ce sont aussi des centaines de milliers de touristes pour des villes comme Nice, Marseille, Bordeaux, Nantes, Le Havre ou encore Calais.
Un impact environnemental énorme
Mais si le secteur des croisières est mis en cause, ce n’est pas uniquement à cause du coronavirus. Depuis plusieurs années, les défenseurs de l’environnement alertent sur l’impact de ces bateaux villes sur l’environnement. Entre pollution de l’air, rejets d’hydrocarbures et de déchets plastiques dans l’eau, les effets de la croisière sont désastreux. Selon l’ONG Transport and Environment, la compagnie Carnival corporation, l’un des leaders mondiaux de la croisière, aurait émis, via sa flotte, 10 fois la quantité d’oxyde de soufre qu’émet tout le parc automobile européen sur l’année 2017. Tout cela en plus de l’azote, du méthane et du dioxyde de carbone qui participent au réchauffement climatique.
Face à cela, les compagnies arguent qu’elles agissent sur le recyclage des déchets, la réduction du plastique et le traitement des eaux usées. Elles tendent même vers un changement de carburant puisque de plus en plus de commandes passées auprès des chantiers concernent des navires qui fonctionnent au gaz naturel liquéfié. C’est notamment le cas de deux des bateaux commandés cette année aux chantiers de l’Atlantique. Toutefois, l’ONG Transport and Environnent, si elle concède une pollution moindre, oppose le fait que cette énergie fossile reste très polluante.
Des villes escales méfiantes
Il y a urgence car les bateaux de croisière deviennent de moins en moins populaires auprès des villes escales. Le 7 août 2019, le ministre des transports a décidé l’interdiction des navires de plus de 1.000 tonnes d’accoster près de la ville de Venise. La Cité des doges, qui est l’escale de près de 600 bateaux par an, voyait ses fondations mises en danger par les remous.
En France, Cannes, quatrième port de croisière de France (après Marseille, Ajaccio et Le Havre) avec 400.000 passagers par an, a mis en place un contrôle de la teneur en soufre des bateaux qui veulent accoster. Une mesure déjà appliquée depuis de nombreuses années par les pays scandinaves. A Marseille (1,75 million de croisiéristes par an), la nouvelle municipalité a annoncé pendant sa campagne vouloir mettre en place un plan de réduction de la pollution maritime qui pourrait bloquer l’accès de son port aux bateaux villes de la Méditerranée.
Outre l’utilisation du gaz naturel liquéfié, le secteur maritime essaie tout de même de limiter son impact environnemental. L’Organisation maritime internationale a imposé au 1er janvier 2020, une nouvelle réglementation qui limite la teneur en soufre du fuel-oil utilisé à bord des navires. Cette décision a poussé les compagnies à équiper les navires en épurateur pour limiter les rejets de soufre dans l’air. Certaines villes, comme Los Angeles ou Hambourg ont équipé leurs ports de chargeurs électriques, qui permettent aux bateaux de s’alimenter en énergie lorsqu’ils sont à quai, sans utiliser leur carburant, et donc sans émettre de fumée. La ville du Havre a indiqué récemment y réfléchir également. Des premiers pas vers une industrie (un peu) moins polluante.