Déconfinement : Entre restaurateurs et assureurs, le bras de fer autour des indemnisations est lancé
BATAILLE•Pour faire face à leurs pertes liées au Covid-19, certains restaurants ont cherché sans succès à se faire indemniser auprès de leurs assureurs. Face à ces refus, les représentants de la restauration sont prêts à aller au bras de fer juridiqueCatherine Abou El Khair
L'essentiel
- A partir du 2 juin, les bars, cafés et restaurants pourront rouvrir. Si la nouvelle a de quoi réjouir ces établissements, leurs finances restent exsangues.
- En raison de la pandémie et de la fermeture administrative qui a suivi, de nombreux restaurateurs ont demandé à leur assureur une couverture de leurs pertes d’exploitation. Face à un refus qui a été contesté en justice, un restaurateur a obtenu gain de cause.
- Selon deux avocats interrogés par 20 Minutes, certaines entreprises pourraient voir leurs demandes d’indemnisation reconnues auprès des tribunaux. L’UMIH, organisation représentant l’hôtellerie-restauration, se dit prête à dégainer l’arme juridique pour faire avancer un maximum de dossiers.
Ils sortent enfin la tête de l’eau. A partir du 2 juin, les bars, cafés et restaurants pourront rouvrir en totalité dans les zones vertes, et sur les terrasses en Ile-de-France, qui reste en zone orange. Mais si les clients pourront reprendre leurs habitudes d’avant, tout a changé pour ces établissements. Frappés par la fermeture administrative depuis le 15 mars, leurs finances sont exsangues, car il a fallu continuer à payer les charges fixes, telles que les loyers ou les factures d’électricité, sans rentrées d’argent.
En se tournant vers leurs assureurs, beaucoup se sont vus refuser une indemnisation au titre de leurs contrats contre la perte d’exploitation. Une situation qui a conduit un restaurateur, Stéphane Manigold, à agir en justice : il a obtenu gain de cause en référé le 22 mai dernier pour l’un de ses quatre restaurants. Son assureur, Axa, a annoncé qu’il ferait appel.
Le risque de pandémie souvent exclu, selon les assureurs
Cette décision risque-t-elle de faire tache d’huile ? « La quasi-totalité des contrats couvrant les entreprises (…) exclut l’événement d’épidémie », a balayé la Fédération française des assurances le 14 mai dernier, en invitant tout un chacun à « se reporter à son contrat ».
Sur RTL, Axa met aussi en avant un cas plutôt exceptionnel. « Il y a quelques contrats, dont le contrat de M. Manigold, qui ont une ambiguïté (…). Mais ces contrats-là [concernent] moins de 10 % des restaurateurs », a souligné le directeur général d’Axa, Thomas Buberl. Et de défendre : en cas de pandémie, la garantie contre la perte d’exploitation « ne s’applique pas car on parle d’un cas systémique où tout le monde est touché ».
Selon la majorité des assureurs, les pertes d’exploitation liées au coronavirus sont trop lourdes pour être prises en charge. La Fédération française de l’assurance les évalue à 60 milliards d’euros. Pourtant, certaines banques et assurances ont déjà fait savoir qu’elles pourraient rembourser leurs clients sur la base de leurs contrats : c’est le cas dans le groupe BPCE, au Crédit Mutuel-CIC ou au Crédit Agricole.
Les avocats sollicités par les commerçants
Pas de quoi non plus empêcher les questions de leurs clients, qui affluent auprès des avocats spécialisés dans ces domaines. « Des restaurateurs, des boulangers, des esthéticiennes, des hôteliers nous ont contactés pour nous demander si leurs pertes étaient couvertes », explique Me Elias Bourran, du cabinet Beaubourg Avocats. Lui, au contraire, fait le constat que les assureurs ayant formellement exclu le cas de la pandémie sont « rares ». Il estime alors possible de prétendre à une couverture. Il compte déjà, à ce jour, plus de 250 clients prêts à agir en justice, après examen de leur situation. « Je suis extrêmement confiant », lance Elias Bourran.
Au-delà des restaurateurs, d’autres types de commerces peuvent être concernés, toujours selon la manière dont les contrats sont rédigés. En raison du confinement, « le débat juridique est possible sur la notion de difficulté d’accès », ajoute-t-il.
De bonnes raisons d’agir en justice
Les batailles juridiques promettent d’être rudes, tant ces contrats sont complexes. « En général, la police d’assurance peut exiger qu’un dommage matériel soit à l’origine de la perte d’exploitation », nuance Me Charlyves Salagnon, avocat associé au cabinet BRG. Ce qui exclut, en théorie, la pandémie. Il n’empêche, « cela va provoquer un débat, qui posera d’autres questions, autour de l’obligation de conseil de celui qui a fait souscrire l’assurance, par exemple… » Autrement dit, un restaurateur pourrait prétendre avoir été mal informé sur ses garanties. « Il y aura certainement des décisions dans un sens et dans l’autre », affirme le spécialiste du droit des contrats commerciaux et de la consommation.
De ce point de vue, l’avocat considère donc, à l’image de son confrère, qu’il y a bien matière à chercher indemnisation en cas de faille. « Les commerçants ont intérêt à agir. D’autant que les pouvoirs publics ont invité les assureurs à prendre en charge ce risque, même s’il n’était pas dans la garantie », ajoute Charlyves Salagnon.
Lobbying des restaurateurs
De son côté, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), furieuse de la « désinvolture » de la Fédération française de l’assurance, se prépare à dégainer l’arme juridique au cas où ce dossier n’avance pas. « Nous avons étudié les 20 contrats principaux de pertes d’exploitation vendus dans notre secteur d’activité. Et on connaît parfaitement les écueils potentiels qui existent », tonne Alain Grégoire, président de l’UMIH pour la région Auvergne Rhône-Alpes, qui se tient prêt à lancer une action collective ou à soutenir individuellement des restaurateurs.
Lundi 25 mai, le syndicat a envoyé un courrier à Matignon afin de trouver une solution législative en leur faveur. Mais « le Premier ministre n’a pas encore répondu », poursuit Alain Grégoire. S’il assume le coup de pression, c’est qu’il craint l’hémorragie dans son secteur, malgré les différents dispositifs de soutien – prêt garanti par l’État ou PGE, chômage partiel - mis en place. Les « pertes d’exploitations » y sont estimées à 9,4 milliards d’euros, contre une fourchette de 7,3 à 9,3 milliards selon l’évaluation du ministère de l’Economie et des finances. « S’il n’y a pas de prise en charge, c’est a minima 30 à 35 % de nos entreprises qui ne survivront pas », avertit-il. Et 400.000 à 500.000 salariés qui risqueraient de se retrouver sur le carreau.