EMPLOIAller travailler « dans les champs » en plein confinement ? Pas si simple

Coronavirus : Aller travailler « dans les champs » en plein confinement ? Pas si simple que ça

EMPLOILe ministre de l’Agriculture veut mobiliser les Français confinés chez eux
Nicolas Raffin

Nicolas Raffin

L'essentiel

  • Didier Guillaume veut que les salariés ou les indépendants confinés aillent aider les agriculteurs.
  • Il y aurait environ 200.000 emplois de saisonniers à pourvoir.
  • La démarche n’est pas interdite, mais soulève plusieurs interrogations.

Dans les magasins d’alimentation, l’épidémie de coronavirus a parfois vidé les rayons et provoqué des ruptures d’approvisionnements. Mais du côté du gouvernement, pas d’inquiétude à avoir : le stock d’idées pour faire face à la pandémie déborde. Dernière en date, celle du ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume. Dans deux interviews successives, il a appelé les Français désœuvrés à aller donner un coup de main aux agriculteurs.

Première déclaration lundi soir, au micro de France Bleu : « Un coiffeur qui n’a plus aucune activité, ne peut-il pas aller faire du travail dans les champs, ramasser les fruits, les fraises, aller dans une entreprise agroalimentaire mettre des yaourts dans des boîtes ? ». Deuxième déclaration, plus lyrique, sur BFM TV ce mardi matin : « Je lance un grand appel à l’armée de l’ombre (…), aux femmes et aux hommes qui ne travaillent pas, qui sont confinés chez eux, qui sont serveur dans un restaurant, hôtesse d’accueil dans un hôtel, coiffeur de mon quartier, qui n’ont plus d’activité… Et je leur dis de rejoindre la grande armée de l’agriculture française, ceux qui vont nous permettre de nous nourrir de façon propre, saine ».

Les réactions à cet appel n’ont pas tardé. Sur les réseaux sociaux, de nombreux citoyens reprochent au ministre d’entretenir un double discours, entre l’obligation de rester chez soi et l’injonction à se rendre chez les agriculteurs.

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« Si l’appel n’est pas entendu, les produits resteront dans les champs »

Dans le monde agricole, l’initiative du ministre est au contraire saluée par les organisations représentatives. « Nous allons rentrer dans une période de récolte – fraises, légumes printaniers – et en général, nous faisons appel à une main-d’œuvre étrangère qui vient de l’extérieur de l’Union européenne. Or cette année, nous avons un gros problème puisque les saisonniers sont bloqués aux frontières de l’UE » explique Aurélien Clavel, vice-président des Jeunes Agriculteurs.

Le problème ne se limite pas aux travaux des champs : « dans les industries agro-alimentaires (abattoirs, fromageries, etc), il peut y avoir du personnel absent pour raison médicale ou pour garder les enfants. Cela conduit à une situation de tension pour la production ».



Selon la FNSEA, syndicat agricole, le secteur aurait besoin de 200.000 personnes sur les trois prochains mois. Sa présidente, Christiane Lambert, a annoncé mardi matin qu’elle allait lancer une plateforme nationale baptisée « des bras pour ton assiette ». Le but : mettre en lien des agriculteurs qui ont besoin de bras et des travailleurs volontaires pour aider une exploitation à côté de chez eux. « Si l’appel n’est pas entendu, les produits resteront dans les champs, et tout le secteur du maraîchage sera sinistré » prévient Christiane Lambert. Une autre plateforme doit aussi être lancée par Pôle Emploi et le ministère du Travail.

Des précautions à prendre

La démarche du ministère pose néanmoins question. Par exemple, un salarié placé en chômage technique par son employeur a-t-il le droit d’aller ramasser des fraises pendant son chômage forcé ? « Oui, sous réserve de ne pas avoir de clause licite d’exclusivité ou de non-concurrence dans son contrat, indique Sabrina Kemel, avocate spécialisée en droit du travail. Le salarié pourra donc percevoir une rémunération en plus de l’indemnisation de l’activité partielle. Pour les salariés, il faut simplement avoir l'autorisation de leur employeur principal en précisant le nom de l’entreprise où l’on va travailler et la durée prévisionnelle de travail, pour ne pas se mettre en faute. Lorsque l’activité partielle arrive à son terme, le salarié doit reprendre son travail chez l’employeur initial, quand bien même la période d’activité partielle serait raccourcie ». Dans un communiqué publié mardi soir, Bercy précise que l'employeur initial devra donner son accord « pour respecter un délai de prévenance de 7 jours avant la reprise du travail ».

Concernant les indépendants, « les bénéficiaires du fond de solidarité pour les très petites entreprises, indépendants, micro-entrepreneurs et professions libérales, pourront cumuler le versement par le fonds (1 500 euros début avril sur demande auprès du site des impôts) avec des contrats courts dans les entreprises agricoles et agroalimentaires. »

Autre précaution : les « gestes barrières » devront évidemment être respectés, même en extérieur. « Les employeurs s’engagent à mettre en place les garanties sanitaires, a expliqué Christiane Lambert. Des jerricans d’eau et sopalins jetables seront mis à disposition ».

Pour Sabrina Kemel, la démarche de Didier Guillaume est risquée : « il n’a pas mis de limites. Par exemple, si on habite à Paris, peut-on aller travailler en Bourgogne pour aider les agriculteurs ? C’est une vraie question. L’idée a été comprise : il faut poursuivre l’activité économique afin que la France ne soit pas à l’arrêt. Mais son discours a été maladroit et incohérent avec la situation de confinement que nous vivons. Il faudrait mettre des garde-fous ».