Parenthèse sympa, aberration écolo ou moment trop perso, nos lecteurs jugent le « Secret Santa » qu’ils ont fait dans leur entreprise
C'EST POUR QUI ?•Le « Secret Santa » fait de plus en plus d’émules en entreprise. Des lecteurs de 20 Minutes qui l’ont expérimenté donnent leur avisRomarik Le Dourneuf
L'essentiel
- Le jeu du « Père Noël secret » s’est fait une place dans les entreprises.
- Si pour les uns, c’est l’occasion de faire plaisir et de mieux connaître certains de ses collègues, pour d’autres, c’est une course à la consommation et la source de moments gênants.
- « L’entreprise est un monde rempli d’enjeux et de concurrence », rappelle le sociologue du travail Claude Didry.
Il était populaire depuis longtemps entre amis ou en famille. Et apparaît depuis quelques années dans les entreprises. Le « Père Noël secret » – plus connu sous sa traduction anglaise « Secret Santa » – a un principe simple : un groupe de collègues organise un tirage au sort à l’approche de Noël. Chacun tire le nom d’un de ses collaborateurs et le garde secret. Il doit ensuite lui trouver un cadeau – avec une limite de prix fixée à l’avance - et lui offre à l’occasion du repas de Noël. On peut même pousser le jeu jusqu’à demander au bénéficiaire de deviner qui est son Père Noël personnel.
Mais au final, est-ce une initiative sympa ou un moment vraiment gênant avec ses collègues ? 20 Minutes a posé la question à ses lecteurs.
Un pas en avant
« C’est l’occasion de faire plaisir, mais aussi de faire connaissance avec ses collègues, raconte Antoine*, qui a répondu à notre appel à témoignages. On essaie de demander des indices aux autres si c’est un collègue que l’on connaît mal. » Comme lui, des lecteurs de 20 Minutes se montrent enthousiastes vis-à-vis de ce jeu. Simon souligne lui aussi les interactions que permet ce genre d’activité : « Ça oblige à se renseigner sur le ou la collègue tirée au sort et ça met en relation des personnes qui habituellement ne travaillent pas ensemble. » Kary ajoute que « cela permet de détendre l’atmosphère […] et un geste gentil rapproche les gens ». Pour Sandrine, qui avait offert un Lucky bamboo à une collaboratrice, le Secret Santa a apporté beaucoup : « Son cadeau était pour moi aussi. Ça a débouché sur une amitié, prolongée en dehors du travail. »
Ainsi selon Claude Didry, sociologue du travail et directeur de recherche au CNRS, le « Secret Santa » s’inscrit dans la dynamique plus globale des activités extraprofessionnelles : « L’individu éprouve le besoin d’entretenir une vie collective réelle. Dans un univers professionnel où l’on évite les familiarités, ce type d’initiatives sont de nature à conforter les groupes. »
Important de poser un cadre
Les lecteurs de 20 Minutes rappellent aussi le cadre dont a besoin ce jeu pour bien se dérouler, dans un environnement aussi sensible que le monde du travail. La première règle est rappelée par Mélanie* : « Ça doit être fait sur la base du volontariat. » Tout d’abord parce que cela à un coût. Si la plupart des « Secret Santa » sont limités à 5 ou 10 euros selon les témoignages, il peut arriver qu’aucune somme maximale ne soit fixée, ce qui autorise à toutes les folies, mais ouvre également au jugement selon la somme investie supposée. Un sondage réalisé au Royaume-Uni montre ainsi que 75 % des 23-28 ans interrogés ont déjà dépensé davantage que ce qu’ils pouvaient se permettre par peur de ce que pourraient penser leurs collègues.
« Il y a une injonction au don et sa mise en spectacle – la cérémonie de remise des cadeaux - induit une performance sociale, explique Emmanuelle Savignac, maître de conférences à la Sorbonne et auteure de La gamification du travail (Ed. ISTE). Il y a un jugement, pas seulement du bénéficiaire, mais de tous les collègues présents. Et cela n’est pas sans conséquence en entreprise. » Sans même parler de montant, certains participants ne jouent pas réellement le jeu, comme le rapporte Jessica : « Des collègues participent juste pour recevoir mais ne font pas d’effort pour faire plaisir. »
Autre risque : le cadeau déplacé ou de mauvais goût. Nathalie, qui n’avait pas compris que ses supérieurs hiérarchiques participaient, a « offert un rouleau de papier toilette mentionnant “C’est le cadeau le plus merdique que j’ai pu trouver" ». Elle a ressenti un grand malaise quand il a été attribué à sa N + 3. De manière moins légère, Karl s’est vu offrir un guide grivois sur les meilleures manières d’avoir un enfant, lui qui « est stérile et qui en souffre ».
Claude Didry résume : « L’entreprise est un monde rempli d’enjeux, de concurrence et de hiérarchie. Un faux pas peut engendrer un malaise, voire des conséquences plus dramatiques. »
aDe nombreuses raisons de s’opposer
Le « Secret Santa » en entreprise est donc loin de faire l’unanimité, et plusieurs lecteurs de 20 Minutes s’y opposent catégoriquement. Certains le font en mettant en avant le gaspillage, comme Camille : « Cela sert juste à pousser à l’achat d’objets inutiles. Ce genre d’actions est désastreux d’un point de vue écologique , entre le gaspillage et le transport. » Et pour « M.P. », c’est « stupide d’acheter un objet pas cher pour qu’il soit jeté quelques jours plus tard. C’est plus simple de jeter ses déchets directement dans l’océan, afin d’être au moins certain que le gâchis soit visible ».
Pour d’autres, le souci vient plutôt du mélange entre vie privée et vie pro. « Cela peut mettre une bonne ambiance, mais je trouve que Noël, c’est “personnel” », juge Lucie. Pour Claude Didry, cette réticence vient du fait que « le travail est un lieu de reconnaissance, où les individus se créent une identité professionnelle. Ils ne souhaitent pas qu’on ait accès à leur vie privée. Inclure un flou dans ces rapports peut les fragiliser, les rendre inconfortables. » Emmanuelle Savignac abonde : « Les individus lissent leur relation aux autres dans le travail. Or, ce jeu demande de l’humour ou de l’inventivité, ce qui n’est pas forcément en accord avec leur personnalité au sein de l’entreprise. » Jules résume ces réserves avec ses mots : « Il y a des collègues avec qui on ne veut pas passer ces moments. Et puis il y a toujours des "pas-drôles" qui se débarrassent en offrant des prunes à l’Armagnac. »
*Les prénoms ont été modifiés