EMPLOIMais à quoi vont vraiment servir les quotas d’immigration professionnelle ?

Immigration : Mais à quoi vont vraiment servir les quotas professionnels ?

EMPLOIL’idée avait déjà été évoquée pendant le mandat de Nicolas Sarkozy
Nicolas Raffin

Nicolas Raffin

L'essentiel

  • Edouard Philippe a confirmé mercredi la mise en place de quotas pour l’immigration professionnelle.
  • Ils seront définis à partir des besoins des métiers « en tension ».
  • Le système de contrôle pour l’embauche d’étrangers existe déjà, mais les employeurs dénoncent sa complexité.

Les quotas ou « objectifs chiffrés » d’immigrés professionnels que le gouvernement veut instaurer à partir de l’été 2020, « c’est la France qui recrute par rapport à ses besoins », a expliqué mardi Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. Dans l’esprit de l’exécutif, il s’agit de pallier les difficultés de recrutements dans certains secteurs spécifiques en faisant venir une main-d’œuvre étrangère, à l’image de ce que font déjà une dizaine de pays dans l’UE.

« C’est une approche nouvelle » a assuré la ministre du Travail. Pas vraiment, en réalité. Aujourd’hui, lorsqu’une entreprise veut recruter un travailleur étranger hors Union européenne (les travailleurs européens bénéficient eux de la liberté de circulation), le service de la main-d’œuvre étrangère (MOE, rattaché au ministère du Travail) vérifie déjà « la situation de l’emploi » dans la zone et le secteur demandés.

Si le métier est « en tension », l’administration ne peut pas s’opposer à l’embauche. « En France, les voies légales d’immigration de travail existent et sont, d’un point de vue théorique, plutôt ouvertes » estime Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations à l’OCDE.

Certains métiers « en tension » déjà connus

Si le principe de recruter « par rapport à ses besoins » n’est donc pas neuf, certains professionnels critiquent la complexité du dispositif actuel. « C’est une procédure chronophage » a expliqué à l’AFP Franck Trouet, directeur général du Groupement national des indépendants (GNI). « Le système est très complexe. Il faut déposer une demande papier aux préfectures, le processus prend plusieurs mois, il n’y a pas de suivi possible par Internet » poursuit Jean-Christophe Dumont.

Qu’est-ce qui va changer alors ? Concrètement, Pôle Emploi et la Dares (la cellule statistique du ministère du Travail) vont mettre à jour la liste des métiers « en tension » dans les prochains mois. Elle sera ensuite actualisée tous les ans. Certains métiers en manque de bras sont déjà bien connus : carrosseurs automobiles, couvreurs, plombiers chauffagistes, cuisiniers, mais aussi ingénieurs informatique ou techniciens de l’électricité. Les quotas seront définis « par métier et par territoire » d’après Muriel Pénicaud.

Améliorer la visibilité pour les employeurs

« Cette mise à jour des métiers en tension – qui permet en théorie d’accélérer le recrutement – est une excellente nouvelle car la liste était devenue obsolète, souligne Jean-Christophe Dumont. Il faudra voir comment cela va s’articuler avec les quotas que le gouvernement veut mettre en place. L’important, c’est de donner de la visibilité aux employeurs : ils devront savoir rapidement si leur demande d’embauche d’un travailleur étranger est recevable ou pas ». Une grande partie du succès de la mesure dépendra donc de la machinerie administrative.

Ce ne sera pas le seul aspect à surveiller. « Pour éviter un effet d’engorgement, les quotas devront être répartis dans le temps, affirme Jean-Christophe Dumont. Sinon, tout le monde fera la demande en même temps ». Enfin, le côté politique de la mesure sera lui aussi scruté : « Certaines régions vont peut-être vouloir un quota de travailleurs plus élevé ou plus faible que ce qui aura été déterminé, poursuit le spécialiste de l’OCDE. Ces pressions politiques risquent de détourner l’objectif initial de la réforme, qui est de mieux faire fonctionner le marché du travail. »

Ouverture ou fermeture ?

L’instauration de quotas avait déjà été évoquée par Nicolas Sarkozy lors de son mandat présidentiel. Mais en 2008, le rapport de Pierre Mazeaud venait enterrer l’idée. « Ce dispositif n’est pas utile à la maîtrise des flux de l’immigration professionnelle » expliquait-il à l’époque. « Je ne vois pas par quelle recette magique le gouvernement pourrait requalifier [cette mesure] », balayait le député PS Boris Vallaud début octobre.

Si les quotas « sarkozystes » étaient dans l’idée d’une fermeture et visaient à restreindre le nombre d’immigrés économiques dans un secteur donné, Matignon assure que les nouveaux quotas « ne seront pas limitatifs ». Autrement dit, même si un métier recrute plus d’étrangers que prévus, l’administration ne mettra pas forcément son veto. Pas de quoi convaincre Jean-Christophe Dumont : « Le gouvernement présente les quotas comme une ouverture alors qu’aujourd’hui, il n’y a pas de limite numérique. La notion de quota est par définition un élément de contrôle ». Pour y voir plus clair, il faudra surveiller l’évolution du nombre de titres de séjours accordés pour raison économique dans les prochaines années. En 2018, 33.502 titres avaient été distribués pour ce motif, soit environ 13 % du total.