FISCALITEL’impossible évaluation de la fin de l’ISF (pour l’instant)

La fin de l’ISF a-t-elle bénéficié à l’économie française ? Impossible de le savoir (pour l’instant)

FISCALITELe comité d’évaluation ne dispose pas encore des données suffisantes
Nicolas Raffin

Nicolas Raffin

L'essentiel

  • La suppression de l’ISF, fin 2017, avait été l’une des premières réformes d’Emmanuel Macron.
  • Un comité d’évaluation a été installé l’année dernière pour mesurer ses effets.
  • Ses premiers travaux, publiés mardi, ne permettent pas de conclure de manière certaine.

C’est « LA » réforme symbolique du début du quinquennat d’Emmanuel Macron : celle de la fiscalité du capital, celle qui avait amené l’opposition et une bonne partie des Français à le dépeindre en « président des riches ». Avec la fin de l’impôt de solidarité sur la fortune (l’ISF, remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière) et l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU, ou « flat-tax ») à 30 % sur les revenus du capital (dividendes), le président envoyait un signal aux ménages les plus aisés.

Pour soutenir la réforme, l’exécutif avait déployé un argumentaire assez simple : la France ne serait pas assez attractive en raison de sa lourde fiscalité, et les investisseurs français n’auraient plus les moyens de dynamiser l’économie en raison des taxes trop lourdes.

Illustration : en décembre 2018, Edouard Philippe justifiait la réforme fiscale, expliquant qu’elle allait « favoriser la croissance de notre tissu d’entreprises (…) stimuler l’investissement et l’innovation ». Bruno Le Maire ne disait pas autre chose en octobre 2017. Dans une tribune publiée par Les Echos, le ministre de l’Economie affirmait que la suppression de l’ISF allait « remettre dans le circuit économique de nouveaux moyens de financement ».

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Face aux critiques sur l’efficacité réelle de cette politique, le gouvernement avait promis une évaluation de cette réforme pour le projet loi de finances (PLF) 2020. Comme prévu, le comité d’évaluation indépendant, constitué en décembre 2018 sous l’égide de France Stratégie, a donc remis son premier rapport ce mardi. Et ses conclusions sont claires : « L’observation des données statistiques ne permet pas de conclure sur l’impact de la réforme ». Bref, il est encore beaucoup trop tôt pour savoir si la fin de l’ISF et le PFU ont eu un effet quelconque, positif ou négatif, sur l’économie française.

Pour l’exécutif, ce n’est pas forcément un problème. Du côté de Bercy, on met en avant « des faisceaux d’indices favorables », avec par exemple une amélioration de l’attractivité de l’Hexagone auprès des investisseurs étrangers, ou un « climat des affaires » plutôt positif. Par ailleurs, le nombre de grandes fortunes quittant la France a fortement diminué, passant de 630 en 2016 à moins de 400 en 2017. « Ces éléments nous paraissent aller dans le bon sens » explique un proche de Bruno Le Maire.

La France, une situation à part ?

Pourtant, d’autres éléments présents dans le rapport sont de nature à tempérer cette vision. Le comité d’évaluation a ainsi passé en revue les travaux d’économistes effectués dans d’autres pays suite à des réformes de la fiscalité du capital. Au niveau des ménages, « la littérature empirique n’a pu mettre en évidence d’effets marqués sur l’investissement, l’activité des entreprises et l’emploi » note le rapport. Autrement dit, les arguments présentés par l’exécutif au moment de la mise en place de la réforme en 2017 sont loin d’être incontestables.

Cela n’émeut pas le comité d’évaluation, qui pointe « la situation particulière de la France », ce qui rendrait difficile des comparaisons avec d’autres pays. Fabrice Lenglart, le président du comité, rappelle qu’avant la réforme d’Emmanuel Macron, la fiscalité du capital en France était « d’une grande complexité » et « s’éloignait progressivement des standards internationaux ». Si la France était effectivement au-dessus de la moyenne européenne en 2017, la part des prélèvements sur le capital des ménages et des entreprises était pourtant moins élevée qu'au Luxembourg ou en Belgique, deux pays loin d’être des repoussoirs pour les plus fortunés et les grandes entreprises…

Les plus aisés, gagnants incontestables

Deux ans après la fin de l’ISF et la mise en place du PFU, un seul élément est clairement irréfutable : « les deux réformes étudiées bénéficient à court terme aux ménages les plus aisés » note le comité. C’est loin d’être une surprise puisque l’allégement de la fiscalité du capital concerne avant tout les plus riches, ceux qui possèdent un large patrimoine.

Concrètement, ce sont les 10 %, voire les 5 % des ménages les plus aisés qui ont capté l’essentiel des bénéfices de cette réforme. Pour l’État, cela représente un manque à gagner d’environ 4,5 milliards d’euros par an. Pour savoir si ce pari de se priver de recettes afin de stimuler l’investissement a été gagnant, il faudra attendre encore un, voire deux ans selon le comité d’évaluation, afin de disposer de données consolidées. Cela signifie que l’évaluation complète d’une réforme annoncée en 2017 ne pourrait avoir lieu qu’à la fin 2021, quelques mois avant l’élection présidentielle. Nul doute qu’au vu de l’enjeu, les conclusions du comité seront alors scrutées de très près.