Testament établi à l'étranger: peut-on légalement déshériter ses enfants?
ARGENT•Si la loi française protège les enfants d’un défunt, elle n’est pas forcément applicable lorsqu’une législation étrangère s’en mêle. Le récent cas impliquant la famille Hallyday l’a confirméJulie Polizzi pour 20 Minutes
La guerre du clan Hallyday ne cesse de faire des étincelles. Déshérités par le testament de leur rockeur de père, Laura Smet et David Hallyday ont saisi la justice pour faire valoir leurs droits. Car en France – en principe – on ne peut pas priver ses héritiers légitimes de sa succession. Une jurisprudence récente pourrait toutefois peser dans la balance. Décryptage.
La sacro-sainte réserve héréditaire
La législation française encadre strictement les droits des défunts. Il n’est pas possible de léguer ses biens à son chien, de jouer un sale tour au fils avec lequel on était en froid ou de tourner le dos à sa famille pour laisser ses possessions à un tiers. La loi établit en effet un ordre de succession précis, enfants en tête, et préserve leurs droits à travers ce qu’on appelle la réserve héréditaire. Il s’agit d’une part du patrimoine qui revient obligatoirement aux descendants du défunt. Elle s’élève à la moitié de ses biens, si la personne avait un seul enfant, à deux tiers pour deux enfants et à trois quarts au-delà de trois enfants. À défaut de descendance, le conjoint survivant a droit à une réserve se montant à un quart des biens de la succession. Et que ce soit par testament ou par donation du vivant, il est en principe impossible de contrevenir à cette règle, en France du moins. Il n’y a que le reste du patrimoine – qu’on appelle quotité disponible – qui peut être légué comme bon vous semble, en toute liberté.
La question de la « résidence habituelle »
Mais qu’en est-il pour un Français établi à l’étranger ? Un règlement européen de 2012, entré en vigueur en août 2015 dans l’Hexagone, clarifie la situation. Depuis cette date, c’est la « résidence habituelle » du défunt qui permet de choisir la législation compétente pour régler sa succession. Et cette règle vaut pour les vingt-huit États membres de l’Union (à l’exception du Danemark, du Royaume-Uni et de l’Irlande), mais aussi dans le cas où leurs ressortissants s’établissent dans un État tiers.
Si un Français décède à Barcelone, à Moscou ou à New York, toute la question sera donc de savoir s’il y vivait depuis assez longtemps pour que l’on considère qu’il s’agissait de sa « résidence habituelle ». À moins que son testament ne précise qu’il voulait que la loi française prévale, ce sera donc la législation de ce pays d’accueil qui s’appliquera à l’ensemble de sa succession. Au cas par cas, le juge peut néanmoins toujours écarter une règle de la loi étrangère qui serait contraire à l’ordre public français, telle qu’une législation ne respectant pas le principe d'égalité entre homme et femme, par exemple.
La jurisprudence donne le cap
Si ces arguties juridiques semblent nébuleuses, un arrêt du 27 septembre 2017 de la Cour de cassation donne une application très concrète. En l’occurrence, les enfants du compositeur Maurice Jarre, décédé en 2009 en Californie, contestaient son testament établi aux États-Unis parce qu’il les déshéritait au profit de leur belle-mère, Fui Fong Khong. Devant la justice, le musicien Jean-Michel Jarre et sa sœur Stéphanie ont donc fait valoir leur droit à la fameuse réserve héréditaire française.
Sauf que leur père habitait à Los Angeles depuis 1953 et y avait construit toute sa vie. Appliquant le règlement européen, la Cour de cassation a donc estimé que c’était la loi californienne qui devait s’appliquer, même si cette dernière ignorait la réserve héréditaire. Et l’ordre public dans tout ça ? Il n’y est pas porté atteinte puisqu’en l’espèce, cette législation ne place pas « les héritiers évincés dans une situation de précarité économique ou de besoin ». Les enfants Jarre ont ainsi été déshérités en toute légalité.
L’exception qui confirme la règle
Le diable se cache dans les détails, surtout en droit. Le règlement européen sur les successions prévoit donc une exception. Si le défunt avait des liens plus étroits avec un État différent de celui de sa résidence habituelle, c’est ainsi la loi de cet autre pays qui s’appliquera. C’est typiquement le cas d’un Français vivant et travaillant à l’étranger mais dont la maison familiale, avec femme et enfants, se trouve sur le sol national. Or, les avocats des enfants de Johnny Hallyday estiment aujourd’hui que la résidence en France du rockeur, ses innombrables concerts dans l’Hexagone, ainsi que le fait qu’il s’y est fait soigner et y ait reçu des funérailles nationales démontrent justement ces liens étroits. La justice leur donnera-t-elle raison ?