Baisse de l'impôt sur le revenu: «Les 5 milliards d'euros seront faciles à trouver»
INTERVIEW•L'impôt sur le revenu, qu'Emmanuel Macron a prévu de baisser, ne représente qu'une petite partie des recettes de l'Etat, rappelle l'économiste Jacques Le Cacheux
Propos recueillis par Julie Bossart
L'essentiel
- Un séminaire gouvernemental s’est tenu ce lundi afin d’orchestrer les mesures présentées par Emmanuel Macron jeudi soir, lors de sa conférence de presse de sortie du grand débat national.
- Le chef de l’Etat a promis une baisse de l’impôt sur le revenu de l’ordre de 5 milliards d’euros, dès 2020. Elle pourrait concerner 15 millions de foyers fiscaux.
- Comment compenser ce manque à gagner pour l’Etat ? En supprimant, notamment, certaines niches fiscales pour les entreprises, selon le président. Une perspective envisageable, mais qui sera certainement impopulaire, estime l’économiste Jacques Le Cacheux.
Y a plus qu’à. Moins de quatre jours après la présentation par Emmanuel Macron de son plan de sortie du grand débat national, le gouvernement était en séminaire ce lundi à Matignon. L’enjeu de cette « réflexion » à laquelle, de façon inédite, ont été conviés les présidents des groupes de la majorité et des commissions au Parlement : la mise en application des mesures annoncées par le chef de l’Etat en réponse aux « gilets jaunes ». La question de leur financement devait occuper une bonne partie de ce que le Premier ministre, Edouard Philippe, a qualifié en préambule de « journée de travail intense, pour construire le “qui fait quoi et quand” de la majorité ».
Dans la partie « pouvoir d’achat » de son allocution, jeudi soir, Emmanuel Macron a indiqué, entre autres, vouloir réduire « significativement » l’impôt sur le revenu (IR) « pour celles et ceux qui travaillent », et ce, à hauteur de 5 milliards d’euros. Cette baisse interviendra le 1er janvier 2020, a précisé le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, le lendemain sur RTL. Elle devrait concerner « 15 millions de foyers fiscaux français », a complété le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, sur LCI.
Un « geste » fiscal à l’attention des classes moyennes qu’il reste à financer. Mais comment, sachant que, jeudi soir, le chef de l’Etat s’est dit défavorable à la suppression d’un jour férié, au recul de l’âge légal de départ à la retraite, ou encore au rétablissement de l’ISF ? En prenant « des décisions qui seront certainement [et à nouveau] impopulaires sur le plan politique », avance Jacques Le Cacheux. Le professeur d’économie à l’université de Pau et spécialiste de la fiscalité revient sur les pistes d’ores et déjà évoquées.
La baisse de l’IR de 5 milliards d’euros, promise par Emmanuel Macron, engendrera autant de recettes fiscales en moins. Comment compenser ce manque à gagner pour l’Etat ?
Avant toute chose, je pense qu’il faut relativiser l’importance de cette somme. Trouver 5 milliards d’euros à économiser l’an prochain, ce n’est pas si considérable que cela. L’IR représente environ 75 milliards d’euros cette année, soit une petite partie des recettes de l'Etat. En comparaison, la TVA, elle, représente plus de 150 milliards d’euros, soit plus du double. A mes yeux, ces 5 milliards, on peut les trouver facilement, sans procéder par ailleurs à de trop grosses coupes. D’ailleurs, ça n’a pas été si compliqué de le faire en décembre pour les 10 milliards d'euros qu'ont coûtés les annonces du président, le 10 décembre.
Justement, où trouver ces 5 milliards d’euros ? Emmanuel Macron a confirmé, jeudi, vouloir « supprimer certaines niches fiscales pour les entreprises », notamment, afin de financer cette baisse d’impôt…
Le gouvernement a plusieurs possibilités, au vu du nombre de niches fiscales en France [474 sont actuellement recensées, pour un manque à gagner de près de 100 milliards d’euros pour les finances publiques, rappelle l’AFP]. Parmi elles, les crédits et réductions d’impôts bénéficiant aux entreprises sont évalués par Bercy à 60 milliards d’euros. Les raboter un peu est une solution. Mais, évidemment, les organisations patronales n’y seront pas favorables [la CPME, dès jeudi, puis le Medef, se sont élevés contre la décision du président de la République]. Les décisions qui seront prises seront donc certainement impopulaires sur le plan politique.
A quels aménagements fiscaux bénéficiant aux entreprises le chef de l’Etat pourrait-il « s’attaquer » ?
Cela m’étonnerait qu’il touche au crédit d'impôt en faveur de la recherche [CIR, de l’ordre de 6,2 milliards d’euros par an, d’après la Cour des comptes], car cela irait à l’encontre de sa politique de soutien à l'innovation. Quant à toucher au crédit d'impôt d’intéressement, accordée aux PME qui font l’effort de verser une prime à leurs salariés, ce serait, là aussi, incohérent avec ce qu’il a annoncé jeudi, à savoir la reconduction de la prime exceptionnelle de fin d’année sans charges ni impôts versée aux salariés.
Quid de la TVA, notamment les taux applicables à la restauration et qui représentent environ 2,9 milliards d’euros par an ?
Là encore, je n’y crois pas, car cela nécessiterait de négocier un accord avec Bruxelles et, si vous vous souvenez bien, cela avait été une longue entreprise de la faire passer de 19,6% à 5,5% dans les années 2000.
Quelles autres solutions sont envisageables ?
Concrètement, le chef de l’Etat pourrait, par exemple, toucher à des niches fiscales comme celle sur le carburant pour certains professionnels [selon des sources concordantes, l’exécutif pourrait revenir à la charge sur le taux réduit appliqué au gazole non routier pour le secteur du BTP. L’an dernier, Bercy avait voulu supprimer cet avantage, avant de faire marche arrière dans le contexte des « gilets jaunes ».] Il a aussi indiqué vouloir réduire les dépenses publiques. Cela pourrait consister à poursuivre le gel de l’indice des fonctionnaires et à réduire le nombre de ceux qui travaillent dans les administrations publiques centrales, lesquels « coûtent plus cher » que ceux présents dans les territoires. Enfin, pour compenser cette baisse de l’IR, on peut espérer compter sur la croissance, dont les prévisions ne sont pas si mauvaises dans un contexte de ralentissement au sein de la zone euro [l’Insee doit publier mardi sa première estimation de la croissance française au premier trimestre], et sur la baisse du taux de chômage.