Prix du pain, de l’essence… Ce comparatif sur l’augmentation des prix depuis 1980 est-il pertinent?
FAKE OFF•Un visuel comparant le prix de certaines denrées de consommation en 1980 et en 2018 suscite de vives réactions sur FacebookAlexis Orsini
L'essentiel
- Pain, lait, essence, voiture... Sur Facebook, un visuel très partagé compare le prix de produits du quotidien en 1980 et en 2018, montrant une augmentation massive pour certains et moyenne pour d'autres.
- Il s'agit en fait d'un comparatif réalisé par le quotidien La Dépêche du midi en février 2018.
- La méthodologie utilisée est-elle vraiment pertinente pour analyser l'évolution du pouvoir d'achat des Français ? 20 Minutes a contacté l'Insee pour y voir plus clair.
«Ça coûtait combien en 1980 ? » Un graphique devenu viral sur Facebook entend répondre à cette question en montrant l’inflation connue par de nombreux produits de consommation courante depuis près de quarante ans : baguette de pain, lait, vin, essence…
aAinsi, selon ce comparatif qui a converti les francs de l’époque en euros, une baguette coûtait en moyenne 0,25 euro à l’époque contre 0,87 euro en 2018, un faux-filet de bœuf au kilo 8,08 euros au lieu de 27,90 euros, tandis qu’une place de cinéma est passée de 2,45 euros à 10 euros.
La méthodologie utilisée n’est toutefois pas forcément la plus pertinente pour rendre compte du changement réel de prix entre ces deux périodes, la monnaie n’ayant pas la même valeur au fil du temps.
FAKE OFF
A l’origine, ce visuel a été réalisé par le journal La Dépêche du midi en février 2018 pour illustrer un article sur l’inflation. « Depuis 1980, le monde a évolué et les prix ont globalement bien augmenté, dans une société qui consomme toujours plus. Mais est-ce que c’était réellement mieux avant ? Les Français avaient-ils plus de pouvoir d’achat ? », s’interrogeait ainsi le quotidien régional.
Ce comparatif a toutefois vite été repris hors contexte sur les réseaux sociaux, sans les précisions méthodologiques indiquées dans l’article.
Marie Leclair, responsable de la division des prix à la consommation de l’Insee, indique à 20 Minutes : « L’Insee ne publie pas de prix moyens pour l’ensemble des produits cités, notamment pas pour les voitures, les places de cinéma ou les consultations chez le médecin, et pas depuis 1980. Nous ne pouvons donc pas nous prononcer sur la justesse de ces prix. » En l’occurrence, le comparatif s’appuie sur un document de l’Insee de 1996, indiquant le prix de certains types de produits évoqués, qui reste uniquement accessible dans sa version archivée aujourd'hui.
« La pertinence du comparatif dépend de ce que vous souhaitez mesurer : si c’est simplement l’évolution dans le temps du prix de la baguette de pain et des autres produits cités, une simple conversion des francs en euros fonctionne », poursuit Marie Leclair. « Mais s’il s’agit de mesurer l’évolution du pouvoir d’achat, en répondant à la question "Est-ce que les ménages peuvent consommer plus aujourd’hui qu’il y a quarante ans ?", il faut regarder l’évolution des revenus des ménages et bien sûr considérer l’évolution de l’ensemble des prix des produits consommés par les ménages pas seulement de quelques produits particuliers », ajoute-t-elle.
« La période choisie n’est pas anodine »
Utiliser le convertisseur de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) sur le pouvoir d’achat de l’euro et du franc offre de fait une perspective bien différente de cette évolution.
Ainsi, le prix de la baguette de pain en 1980, qui était de 6,68 francs au kilo, soit 1,67 franc à l’unité pour une baguette de 250 grammes, ne coûte plus, une fois converti, 25 centimes d’euro mais 72 centimes, ce qui la rapproche considérablement du prix moyen de 2018 (0,87 euro). Il en va de même pour le prix d’une place de cinéma, qui n’est plus de 2,45 euros en 1980 mais de 6,91 euros, un montant pas si éloigné du prix moyen actuel (10 euros).
« D’après les résultats de l’Insee sur l’indice des prix à la consommation, les prix ont augmenté de 178 % entre 1980 et 2018, soit en moyenne de 2,8 % par an. A première vue, cela paraît beaucoup, mais c’est sur près de quarante ans », ajoute Marie Leclair. Avant de conclure : « La période choisie n’est pas anodine : l’évolution entre 1980 et 1985 est particulière puisque l’inflation pouvait atteindre plus de 10 % par an. Depuis 1985, le rythme de l’inflation a ralenti d’abord avec des politiques de désinflation compétitive et de désindexation des salaires puis avec la perspective du passage à l’euro, et de nouveau après 2002 avec le passage à l’euro. »