INTERVIEW«Avec la prime d’activité, on répond à une demande de justice sociale»

Prime d’activité: «Le nombre de dossiers déposés a été multiplié par plus de six par rapport à janvier 2018»

INTERVIEWChristelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, vise un taux de recours de 100 % à terme…
Nicolas Raffin

Propos recueillis par Nicolas Raffin

L'essentiel

  • Le montant de la prime d’activité allouée à certains salariés autour du Smic doit être porté à 90 euros.
  • Le premier versement aura lieu le 5 février pour ceux qui ont rempli leur dossier avant le 25 janvier.
  • Environ 280.000 dossiers ont été remplis en janvier.

C’est la solution emblématique de l’exécutif pour tenter de répondre à la crise des « gilets jaunes » : augmenter le montant de la prime d’activité, versée aux travailleurs ayant des revenus modestes. Elle ne concernera pas tous les salariés au Smic – ceux faisant partie de foyers aux revenus élevés en sont exclus –, mais quelque 5 millions de foyers peuvent désormais en bénéficier en théorie.

En exclusivité pour 20 Minutes, Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, dévoile les derniers chiffres sur les demandes de prime d’activité. Elle réaffirme aussi sa volonté de mieux accompagner les personnes en difficulté, rappelant que « personne ne se satisfait d’être pauvre ».

L’élargissement de la prime d’activité à 1,2 million de ménages supplémentaires est effectif depuis le 1er janvier 2019. Y a-t-il eu un afflux de demandes ?

Depuis le début de l’année, plus de 280.000 dossiers ont été traités par les caisses d’allocations familiales (CAF) et conduiront à un versement de la prime d’activité dès le mois prochain. Si l’on compare par rapport à janvier 2018, le nombre de dossiers déposés a été multiplié par plus de 6. Cela veut dire que nos concitoyens se sont saisis de cette mesure favorable pour leur pouvoir d’achat et c’est une bonne nouvelle

Je rappelle que pour bénéficier d’un versement de la prime le 5 février, il faut avoir déposé sa demande en ligne avant le 25 janvier au soir. Les personnes qui rempliront leur dossier après cette date auront un versement début mars. L’objectif c’est que 100 % des gens qui ont droit à la prime d’activité – 5 millions de foyers désormais – puissent la toucher à terme.

Environ 20 % des personnes qui ont droit à la prime d’activité ne la demandent pas. Comment résoudre ce problème ?

Par l’automatisation de son versement. Nous sommes en train de faire évoluer les services informatiques de la CAF pour qu’il y ait un regroupement avec les services fiscaux, ce qui évitera aux bénéficiaires de devoir déclarer leurs ressources tous les trois mois. Cela fait partie du chantier de la refonte des prestations. Le texte de loi est attendu pour 2020. D’ici deux ans, l’objectif c’est que l’on puisse déposer un seul dossier pour bénéficier de l’ensemble des prestations.

Le gouvernement avait promis à plusieurs reprises que tous les salariés au Smic seraient concernés par la hausse de la prime d’activité. Ce ne sera pas le cas pour ceux dont le ou la conjointe gagne beaucoup plus. Vous le regrettez ?

On répond à une demande du mouvement des « gilets jaunes », qui est la justice sociale. Si on avait fait le choix de verser la prime d’activité à l’ensemble des salariés payés au Smic, cela aurait conduit à une augmentation du revenu global pour des foyers dont l’un des conjoints gagne, par exemple, plus de 4.000 euros mensuels.

Ce n’est pas ce qu’on veut. Nous voulons que les Français qui en ont le plus besoin puissent bénéficier de la prime d’activité, en fonction de leurs caractéristiques familiales – célibataire, familles monoparentales. Nous avons fait le choix d’augmenter le montant mais aussi d’élargir le nombre de personnes concernées, au-delà du Smic, pour des personnes qui touchent 1,3 ou 1,4 Smic.

Vous faites donc l’hypothèse que les revenus du foyer sont mis en commun. Ce n’est pas forcément le cas…

Pour le calcul des prestations sociales et des prestations familiales, ce sont les revenus du ménage qui sont pris en compte. Nous ne changeons pas les pratiques actuelles. Notre système social est construit sur le principe d’une solidarité entre des personnes qui ont choisi de vivre ensemble.

Justement, qu’attendez-vous du grand débat national lancé mardi par Emmanuel Macron ?

Il faut transformer les colères en solutions. On ne peut pas avoir de dialogue tant qu’on est dans la colère, tant qu’on est dans la rue. Nous avons travaillé sur des réformes importantes avec des concertations, mais peut-être pas assez directement avec les Français. Ce grand débat doit nous permettre de renouer le dialogue et de redonner confiance dans la politique.

J’attends des propositions constructives et qui n’aillent pas à l’encontre de tout ce que le pays a pu porter. L’IVG, la peine de mort, le mariage pour tous, ce n’est pas là qu’est le débat. Nous devons discuter des questions qui ont préoccupé ces dernières semaines : la fiscalité, la justice sociale, les dépenses publiques, la question environnementale, la citoyenneté. Je prendrai ma part dans ce débat.

Mais au final, est-ce que les demandes des citoyens se traduiront dans la loi ?

Cela dépend des propositions qui découleront du débat. Dans le calendrier parlementaire, nous avons des temps aménagés si l’on a besoin d’introduire des mesures nouvelles par une loi. Par ailleurs, il n’y aura pas que du législatif : il y aura des mesures de bon sens sur lesquelles il n’y aura pas besoin de texte de loi – un règlement par exemple suffira.

Le président de la République s’est engagé à faire une synthèse et une restitution. Je suis sûre que les mesures qui sortiront du grand débat seront des mesures qui répondront aux inquiétudes des Français et qui seront adaptables sur chacun des territoires.

Vous êtes spécialiste des questions de pauvreté. Où en est le déploiement du plan pauvreté lancé en septembre dernier ?

Sur dix départements qui doivent expérimenter la contractualisation avec l’État, nous avons déjà signé trois conventions. Notre objectif est d’avoir bouclé les conventions avec l’ensemble des départements avant la fin de l’année. En parallèle, nous allons lancer une concertation sur le revenu universel d’activité et sur le service public de l’insertion, pour simplifier l’accompagnement des personnes qui en ont besoin. Les choses avancent.

A ce propos, comment interprétez-vous les propos du président de la République, pour qui certaines personnes en difficulté « déconnent » ?

Je pense qu’il faut reprendre le propos dans sa totalité. Emmanuel Macron a parlé de plusieurs choses et notamment des moyens à apporter dans le cadre du plan pauvreté, et du besoin d’accompagnement. Il a dit que des personnes s’en sortaient très bien grâce à l’accompagnement, et que d’autres non parce qu’il n’y avait pas d’accompagnement.

La réalité, c’est que vous avez des personnes actrices de leur accompagnement et d’autres qui ne le sont pas. Quand vous êtes laissé seul, que vous ne savez pas quelle porte pousser pour trouver la solution à vos problèmes, on ne peut pas vous reprocher de ne pas vous en sortir.

Les personnes en difficulté, les personnes précaires, sont-elles en partie responsables de leur situation ?

Non. La vraie question, c’est comment bien intégrer ces personnes et les impliquer dans leur accompagnement vers l’emploi. Ma priorité, c’est de sortir 8 millions de Français de la pauvreté. Quand vous avez des personnes que vous accompagnez vers la formation, vers la réinsertion, vers un travail, elles s’ouvrent, retrouvent leur dignité. Personne ne se satisfait d’être pauvre.

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