Carburant, médecin... Attention à ces chiffres sur les impôts et les taxes payés par les Français
FAKE OFF•Un tract abondamment partagé sur Facebook et intitulé « la taxation du carburant n’est pas le seul problème » dénonce différents impôts et taxes...Mathilde Cousin et Alexis Orsini
L'essentiel
- Une visite chez le médecin taxée à 50% pour l'Etat, un plein de carburant taxé à 60%, des droits de succession importants...
- Un tract partagé plus de 150.000 fois sur Facebook dénonce différentes taxes.
- Les chiffres avancés sont-ils exacts ? 20 Minutes a contacté son auteur et fait le point.
Vous faites un plein à 70 euros ? 42 euros reviennent à l’Etat. Vous avez un salaire net de 1700 euros ? Il faut rajouter 1100 euros de charges patronales pour l’Etat. Vous laissez un patrimoine de 300.000 euros à vos enfants ? 60.000 euros partent pour l’Etat.
Ces quelques exemples sont tirés d’un tract publié le 17 novembre sur Facebook par une internaute. Intitulé « la taxation du carburant n’est pas le seul problème (et Macron n’est pas le seul fautif) », il a rencontré un large succès. Le post de l’internaute a été partagé près de 156.000 fois.
Derrière ce tract, un chef de projet installé en Touraine. Contacté par 20 Minutes, Jean-David Nau déclare avoir pris part au mouvement des gilets jaunes et se rattache à l’école libérale. « Je suis gilet jaune et j’essaie de mettre un peu d’ordre là-dedans. Parfois, il y a des propos un peu contradictoires : par exemple des gens disent qu’il faut baisser les taxes et qu’il faut plus d’hôpitaux. On ne peut pas avoir un Etat providence et moins de taxes. » Son rêve : « se débarrasser de la coercition » de l’Etat, pour avoir « moins d’impôts » et « plus de libertés ».
FAKE OFF
20 Minutes a passé en revue les différentes affirmations contenues dans ce tract.
- Plein de carburant : une répartition exacte du prix
Sur un plein de carburant à 70 euros, les automobilistes payent-ils seulement 28 euros de carburant et 42 euros de taxes (destinées à « l’Etat »), comme l’affirme Jean-David Nau, en se basant sur un article du site « Connaissance des énergies » et sur les statistiques du Comité national routier ?
« C’est effectivement correct » indique à 20 Minutes le ministère de la Transition écologique et solidaire, qui précise : « Le prix des produits pétroliers représente actuellement environ 30 % du prix payé à la pompe et la marge brute des distributeurs compte pour environ 8 % (transport et distribution). La part des taxes est la plus importante puisqu’elle s’élève à 60 % en moyenne. »
Ces 60 % incluent à la fois la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), qui vise « à pénaliser la pollution induite par ces carburants », et la TVA, qui s’applique sur le prix du carburant et sur la TICPE.
Un pourcentage confirmé par les prix les plus récents du marché relevés par l’Union française des industries particulières (UFIP), visibles ci-dessous.
- « Vrai » salaire : des chiffres globalement concordants
« 2.800€ : votre vrai salaire en CDI ou en CDD ? 1.700€ net pour vous [et] 1.100€ pour l’Etat ! » affirme le texte en s’appuyant sur un article de Contrepoints, un « journal en ligne qui couvre l’actualité sous l’angle libéral », lui-même repris d’une publication de 2013 rédigée par le site Libertarianisme.fr.
Si sa formulation laisse penser à première vue à une rémunération de 2.800 euros brut dont le salarié toucherait 1.700 euros tandis que 1.1000 euros seraient « pour l’Etat », il faut en réalité comprendre l’inverse.
Son auteur se base en effet sur un salaire de 1.700 euros net – qui correspond au niveau de vie en France selon les derniers chiffres de l’Insee – pour y ajouter les différentes cotisations qu’une entreprise doit prendre en compte afin de calculer le coût réel du salaire. Et il arrive ainsi à un total de 2.800 euros, pour mieux dénoncer le fait que « les patrons sont devenus des agents de recouvrement des impôts. »
« Quand un salarié perçoit 1.700 euros net, ça correspond environ à 2.300 euros brut, auxquels il faut ajouter 40 % de charges patronales. En pratique, ça revient donc au total à près de 3.400 euros à l’entreprise, soit 2.300 euros de salaire brut et 1.100 euros de charges patronales » explique Julie Thollon, expert-comptable au sein du cabinet FIC Expertise.
« Les chiffres avancés sont légèrement inférieurs mais ils sont plutôt corrects, c’est le bon ordre de grandeur » confirme-t-elle.
Ce montant est en outre vérifiable avec le simulateur de cotisations de l’Urssaf : sur un salaire de 1.700 euros net en CDD, l’employeur arrive à un coût total de rémunération de 3.012 euros (après déduction d’une aide de 130 euros, sous la forme de crédits d’impôt). Un montant quasi-identique pour un salaire de 1.700 euros net en CDI : 2.980 euros (là encore avec 130 euros d’aides).
Toutefois, l’Etat ne « prend » pas à proprement parler ces sommes – ce qui en ferait un impôt – mais utilise ces cotisations sociales pour financer différents droits : retraite (ici, à hauteur de 547 euros), santé (458 euros), chômage (102 euros)…
- Le médecin taxé à 50 % de ses revenus ? Un calcul trop simple
Jean-David Nau prend l’exemple d’une consultation chez un médecin généraliste. Selon lui, un peu plus de la moitié des 25 euros de la consultation reviennent à l’Etat, les douze euros restant revenant au docteur. « Les professions libérales sont taxées à 50 %, soutient-il. J’ai une connaissance qui est avocate, elle m’a dit que c’est 50 % d’impôts. » Il précise qu’il s’agit d’un tract, et que, « par définition », « on ne peut pas imprimer le code des impôts. »
La généralité est un peu rapide. La base de calcul n’est pas exacte. Sur une consultation à 25 euros, un médecin va plutôt être rémunéré 32 à 33 euros grâce à la prise en charge de certaines cotisations par la CPAM et des rémunérations complémentaires versées par la CPAM en échange d’atteinte d’objectifs de santé publique, précise à 20 Minutes Yannick Schmitt, président du syndicat ReAGJIR, qui regroupe des jeunes médecins généralistes.
« Il faut déduire environ 30 % pour l’URSSAF et la caisse de retraite, ajoute le président. A cela on paie des impôts sur le revenu. » Le calcul de l’impôt est complexe. Par exemple, les frais professionnels (la voiture utilisée pour les visites, le salaire d’un collaborateur…) sont déductibles. « Pour 200.000 euros de revenus, il faut retirer 80.000 euros de frais professionnels », estime Yannick Schmitt. De plus, certaines cotisations sont forfaitaires, tandis que d’autres évoluent en fonction des revenus. Difficile, donc, de déduire une base de calcul unique pour cette profession, comme il est indiqué dans le tract.
- L’Etat qui « crée de la monnaie ex-nihilo » ? Une interprétation libérale
« Vous avez un bas de laine ? Chaque jour, l’Etat vous en vole un peu en créant de la monnaie ex-nihilo », est-il inscrit dans le tract.
Ce n’est pas l’Etat qui imprime la monnaie : c’est le rôle de la Banque de France, indépendante de l’Etat depuis 1993. La politique monétaire est, elle, définie par la Banque centrale européenne.
Jean-David Nau a une lecture différente et discutable : « La Banque centrale européenne n’existerait pas sans l’Union européenne, affirme-t-il. Or, l’UE c’est bien un Etat, c’est quelque chose de contraignant. Les Etats européens font l’UE. »
- Un faux calcul sur les droits de succession
« Vous mourrez ? Pas de bol ! Votre patrimoine de 300.000 euros ira à 240.0000 euros pour vos enfants, 60.000 euros pour l’Etat ! » Pour aboutir à ce calcul, Jean-David Nau s’est appuyé sur un article. « J’ai pris le capital compris entre 16.000 et 550.000 euros, j’ai pris le taux de 20 %. »
Une lecture un peu trop rapide, qui ne prend pas en compte l’abattement de 100.000 euros prévu pour chaque enfant. Si on estime que deux enfants doivent se partager la somme de 300.000 euros, ils devront verser chacun 8.194 euros de droits de succession, sans les frais de notaire. Si un seul enfant hérite de la totalité de la somme, il devra reverser 38.194 euros.
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