CONSOMMATIONMais pourquoi les Français sont-ils pessimistes sur leur pouvoir d’achat?

Mais pourquoi les Français sont-ils aussi pessimistes sur leur pouvoir d’achat?

CONSOMMATIONLe décalage entre les statistiques et la perception des citoyens peut s’expliquer de différentes manières...
Nicolas Raffin

Nicolas Raffin

L'essentiel

  • Malgré une hausse prévue du pouvoir d’achat en 2018, les Français ont une perception contraire.
  • L’étalement des mesures fiscales et la focalisation sur les mesures négatives peuvent expliquer en partie ce sentiment.
  • Certains économistes considèrent que le logement est insuffisamment pris en compte dans le calcul du pouvoir d’achat.

Alors, en hausse ou en baisse ? Le pouvoir d’achat est un argument largement utilisé par les politiques pour se féliciter ou au contraire, pour dénoncer des choix économiques. La présentation du budget 2019 n’a pas échappé à la règle : pendant que le gouvernement défendait ses allégements sur la fiscalité, l’opposition lui rappelait la faible revalorisation des retraites.

Qui a raison ? Si on en croit les statistiques de l’Insee, le pouvoir d’achat n’a cessé de progresser : après +1,8 % en 2016 et +1,3 % en 2017, il devrait encore augmenter de 1 % cette année (le gouvernement table même sur 1,6 %). En face, les sondages montrent une autre réalité : 86 % des Français interrogés récemment par Odoxa estiment ainsi que leur pouvoir d’achat s’est dégradé en 2018, et estiment que la tendance se prolongera en 2019.

« En France, on regarde le centime qu’on perd »

Ce décalage entre les statistiques et la perception des citoyens peut s’expliquer de différentes manières. Pour Hélène Baudchon, économiste à BNP Paribas et spécialiste de l’économie française, « les ménages se montrent plus sensibles à l’évolution des prix du quotidien - l’essence, le pain, le café - surtout quand ils sont en hausse. Pourtant, à partir de la fin du mois, vous aurez des baisses d‘impôts visibles (suppression des cotisations, baisse de la taxe d’habitation) ainsi que des revalorisations de minima sociaux, mais ces évolutions positives ne paraissent pas intégrées ».

Une analyse résumée à sa manière par… Emmanuel Macron. Lors d’un déplacement dans les Vosges en avril dernier, le chef de l’État avait expliqué à un retraité dubitatif qu’en France, « on regarde le centime qu’on perd, mais on ne regarde jamais le centime qu’on gagne ».

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Croire et voir

Une autre explication tient aussi au rythme des réformes menées par le gouvernement. . « Le fait qu’il y ait eu un décalage entre la hausse immédiate de la CSG et la baisse – en deux temps – des cotisations a laissé entendre que l’opération avait pour but de faire rentrer plus d’argent dans les caisses » avance Philippe Martin, président du conseil d’analyse économique (CAE) et professeur à Sciences-Po.

De fait, l’Insee estime que le pouvoir d’achat a bien reculé au premier trimestre 2018, et les annonces du gouvernement sur les baisses futures n’ont pas encore convaincu l’opinion. « Les Français, ils sont Saint-Thomas et ils ont raison, expliquait le ministre de l’Economie Bruno Le Maire la semaine dernière sur BFM. Ils croient vaguement les politiques et ils croient surtout la réalité ».

Et le logement alors ?

Perception biaisée par les ménages, calendrier fiscal éclaté… et s’il y avait une autre explication au scepticisme ambiant sur le pouvoir d’achat ? C’est la thèse que défend l’économiste Philippe Herlin dans son ouvrage Pouvoir d’achat : Le grand mensonge*. Selon lui, c’est la méthodologie de l’Insee qui pose problème.

« L’indice des prix à la consommation, qui sert de base pour calculer le pouvoir d’achat, ne prend pas assez en compte les dépenses de logement, affirme Philippe Herlin. Pour l’Insee, lorsque vous achetez votre résidence principale, c’est un investissement et pas une dépense de consommation. Or, les prix de l’immobilier ont énormément augmenté ces dernières années, ce qui a amputé les revenus des ménages ».

Cette critique n’est pas nouvelle. On la retrouve dès 2008 dans un rapport du CAE : « Il nous semble aussi indispensable de procéder à la construction d’un indice des prix complémentaire, un "indice des prix élargi" (…) pour intégrer plus largement les dépenses de logement », écrivent Philippe Moati et Robert Rochefort. Ils reconnaissent néanmoins que « la tâche est complexe, car aucune méthode ne s’impose ».

Pour répondre – en partie – à ces reproches, l’Insee a mis en place depuis plusieurs années un « simulateur d’indice des prix ». En rentrant vos habitudes de consommation dans le calculateur, vous obtenez une évolution « personnalisée » des prix. Visiblement, cet outil n’a pas réussi à mettre fin au débat.

* Pouvoir d’achat : Le grand mensonge, paru le 4 octobre 2018 aux éditions Eyrolles, 16 euros.