Les fonctionnaires territoriaux travaillent-ils vraiment moins que les autres?
FONCTION PUBLIQUE•Les négociations avec les syndicats s'annoncent explosives...Nicolas Raffin
L'essentiel
- Le gouvernement veut supprimer 70.000 postes de fonctionnaires territoriaux.
- Une partie des suppressions de poste pourrait venir de l’alignement du temps de travail sur la durée « légale » de 35 heures par semaine.
- Plusieurs spécialistes estiment que la mesure prendra du temps, et ne produira pas d’énormes économies.
C’est une équation complexe qu’Olivier Dussopt va devoir résoudre. Le secrétaire d’État est chargé de porter la réforme de la fonction publique en respectant les promesses d’Emmanuel Macron. Il devrait rappeler les objectifs ce jeudi, lors du congrès de l'assemblée des communautés de France.
En plus de supprimer 50.000 postes dans la fonction publique d’État (FPE), le chef de l’État prévoit en effet 70.000 fonctionnaires en moins dans la fonction publique territoriale (FPT, qui regroupe les régions, départements, communes et groupements de communes). Les concertations avec les syndicats doivent se poursuivre ce mois-ci, avant une pause en raison des élections professionnelles.
Pour se faciliter la tâche, l’exécutif a ressorti un rapport de la Cour des comptes daté de 2016 sur le temps de travail dans la FPT. Sur 103 collectivités locales analysées, seulement 20 % d’entre elles respectaient la norme annuelle de 1.607 heures, les autres étant en dessous. Conclusion des Sages : aligner tous les fonctionnaires territoriaux sur la durée « légale » de travail suffirait à supprimer 57.000 postes. Même si l’exécutif a depuis revu ce chiffre à la baisse – il serait désormais de 32.000, selon une source gouvernementale citée par l’AFP – l’augmentation du temps de travail apparaît comme un levier « facile » pour réaliser une grande partie des réductions d’effectifs promises.
Régime dérogatoire
« Cet objectif est irréaliste, tacle Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux (Hauts-de-Seine) et président du conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Le calcul fait par la Cour des comptes est ridicule. » L’élu avait produit un rapport sur le sujet en 2016. Il rappelle qu’environ « 40 % des fonctionnaires territoriaux », comme les gardiens d’équipements sportifs ou les bibliothécaires, « sont amenés à travailler le week-end ou la nuit. Cela appelle des compensations qui se traduisent par une diminution du temps de travail ».
Cette organisation date du passage aux 35 heures. « A l’époque, on était dans une optique où il fallait élargir les services (extension des horaires), mais aussi partager le travail », rappelle Claire Le Calonnec, secrétaire générale de la CFDT Interco. De nombreuses collectivités, qui étaient en dessous des 35 heures, ont donc adopté un régime dérogatoire « qui n’est pas illégal » rappelle Philippe Laurent. Résultat : le nombre d’heures travaillées et de jours de congé varie fortement d’une collectivité à l’autre.
La question des compensations
Pour harmoniser le tout, le gouvernement privilégie deux pistes, résumées par Olivier Dussopt dans une interview à la Gazette des communes parue en juillet : vote d’une loi supprimant les dérogations existantes, ou obligation pour les collectivités « à prendre, tous les cinq ans, une délibération sur le temps de travail ».
Dans tous les cas, soulignent les experts interrogés par 20 Minutes, il faudra passer par une phase de concertation avec les syndicats. « Si on veut que les agents publics fassent 1.607 heures par an, il y aura des compensations financières à prévoir pour ceux qui ont des contraintes d’emploi du temps particulières » remarque Philippe Laurent.
« Fonctionnaire-bashing »
Et la marge de manœuvre s’annonce réduite. « Le gouvernement aura du mal à utiliser le levier financier, puisque le point d’indice [qui sert de base au calcul des salaires des fonctionnaires] est gelé, constate André Robert, délégué général de l’association des petites villes de France. Ouvrir un nouveau front sur le temps de travail ne ferait que créer davantage de mécontentement ». Illustation: en Ile-et-Vilaine, les fonctionnaires se sont mobilisés fin septembre contre la volonté du département de supprimer des jours de congés et de RTT.
Pour Philippe Laurent, il ne faut de toute façon pas attendre de miracle sur de la mesure sur le temps de travail. « La seule chose que l’État peut faire, c’est qu’il oblige les collectivités à engager le dialogue sur ce sujet. Mais il n’y aura pas d’économies massives, c’est irréaliste. »
Du côté des syndicats, on déplore surtout le « fonctionnaire-bashing » provoqué par ce débat : « Il faut absolument prouver que les fonctionnaires sont des faignants, s’agace Claire Le Calonnec. Mais les rapports ne tiennent pas compte du travail gratuit : les assistants sociaux qui passent plus de temps que prévu avec les usagers, les Atsem qui discutent longuement avec les parents… Tout ce travail invisible n’apparaît pas dans les statistiques ».