Affaire Lactalis: Malgré le rapport parlementaire, «on est bien parti pour avoir un nouveau scandale»
INTERVIEW•Quentin Guillemain, le président de l’association des familles de victimes, attend toujours une action concrète de l’Etat…Propos recueillis par Nicolas Raffin
L'essentiel
- La commission d’enquête parlementaire a présenté mercredi ses pistes après l’affaire Lactalis.
- Le renforcement des contrôles et l’amélioration des procédures de retrait-rappel font partie des propositions.
- Pour le représentant de l’association des familles de victimes, c’est très insuffisant.
Comment faire pour éviter une nouvelle affaire Lactalis ? La commission d’enquête parlementaire a rendu ce mercredi ses conclusions après quatre mois de travail sur le scandale du lait en poudre contaminé. Elle a auditionné les principaux protagonistes : ministres, PDG de la grande distribution, dirigeants de Lactalis, sans oublier les représentants des familles des bébés tombés malades.
Au final, trois grands axes d’amélioration sont soulignés par le rapport : meilleur contrôle des industriels, autorité unique pour les crises sanitaires et révision des procédures de retrait des produits. Le président de la commission d’enquête, Christian Hutin, a aussi mis l’accent sur le fait qu’il fallait « toucher au portefeuille » les industriels peu scrupuleux. Des recommandations très insuffisantes pour Quentin Guillemain, président de l’association des familles de victimes ( AFVLCS), qui demande surtout des actes concrets.
Êtes-vous satisfait des principales conclusions de la commission d’enquête ?
Ces propositions ne sont qu’une redite de ce qui a été évoqué depuis des mois. Il n’y a rien de nouveau. Par exemple, la création d’un site internet unique pour centraliser le rappel des produits contaminés avait déjà été évoquée au mois de janvier, avant d’être remise sur la table en juillet ! On attendait vraiment des idées plus ambitieuses.
En ce qui concerne les contrôles réalisés dans les usines, il faut plus de moyens, c’est ça la première réponse à apporter. Et il faut que les résultats de ces contrôles soient rendus publics pour que les consommateurs soient au courant de ce qui se passe dans les usines. Nous saisirons bientôt le tribunal administratif afin d’obtenir les documents qui justifient la réouverture de l’usine de Craon [l’usine où les lots de laits infantiles ont été contaminés]. Rouvrir un site sans connaître les causes précises de la contamination nous semble presque assassin. On est bien parti pour avoir un nouveau scandale.
Quelles dispositions manquent selon vous ?
Il faudrait que les laits et produits infantiles soient classés comme des médicaments ou des produits de santé. Ils ne pourraient être vendus qu’en pharmacie. Cela permettrait d’avoir des procédures efficaces de retrait rappel. Au moment du rappel des produits Lactalis, les crèches n’ont jamais été informées : c’est bien la preuve que la traçabilité actuelle est défaillante. Aujourd’hui, on est dans un no man’s land procédural.
Concrètement, qu’est-ce qui a changé depuis la révélation du scandale en décembre 2017 ?
Depuis l’affaire Lactalis, il y a eu d’autres retraits-rappels de produits laitiers. A chaque fois on ne savait jamais où étaient ces produits ! Rien n’a été entrepris, alors qu’on sait que le temps passe, que le sujet s’évapore peu à peu. Les gens vont s’y intéresser de moins en moins, et dans quelques années on se demandera pourquoi on n’a rien fait.
Emmanuel Macron avait promis des sanctions. Qui a été sanctionné depuis ? Personne. C’est bien la preuve qu’on parle beaucoup ; qu’on réagit quand la pression devient trop grande. Mais au final rien de concret n’est fait. Malgré tout, on continuera à se battre.
Pensez-vous que Lactalis a pris conscience de l’ampleur du problème ?
Ils ont surtout compris comment marchaient les politiques et ils ont revu leur communication de crise. Ils ont compris qu’ils devaient communiquer sur leur marque. Mais face aux députés, ils n’ont pas répondu aux questions.
D’ailleurs, dans sa dernière interview [accordée au Point], Emmanuel Besnier, le PDG de Lactalis, n’évoque pas l’affaire. Il parle de son groupe, de sa famille, mais il ne dit pas concrètement ce qu’il va changer. Il pense sans doute que l’affaire du lait contaminé concerne peu de personnes. En réalité, Emmanuel Besnier ne veut pas faire face aux consommateurs.