Réforme du Code du travail: Que va changer le barème obligatoire des dommages-intérêts aux prud’hommes?
JUSTICE•Les sommes versées aux salariés seront strictement encadrées…Nicolas Raffin
L'essentiel
- Les ordonnances imposent un plancher et un plafond pour les indemnités en cas de licenciement « sans cause réelle ni sérieuse ».
- Le ministère du Travail y voit une réforme permettant plus de « lisibilité » et pouvant favoriser les embauches.
- La CGT dénonce un « contournement du juge ».
Les banderoles, drapeaux et slogans se préparent pour la manifestation du 12 septembre contre les ordonnances. Les opposants à la réforme du Code du travail ne manqueront sûrement pas de dénoncer l’instauration d’un barème obligatoire aux prud’hommes. Présenté le 31 août dernier, il définit les montants minimum et maximum qui peuvent être versés à un salarié lorsque son licenciement est reconnu comme étant « sans cause réelle ni sérieuse ».
Par exemple, un salarié licencié de manière abusive et comptant cinq ans d’ancienneté dans la société pourra obtenir entre 3 et 6 mois de salaire brut en dommages et intérêts (voir graphique ci-dessous). Un salarié présent dans l’entreprise depuis 29 ans (et plus) ne pourra pas toucher plus de 20 mois de salaire.
La « peur » d’embaucher ?
Pour Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, l’instauration d’un plancher et d’un plafond est fondé sur un argument simple : le barème permettra une « lisibilité en cas de licenciement », ce qui enlèvera « l’incertitude sur la rupture potentielle [du contrat de travail] », qui serait un frein à l’embauche pour les employeurs. Des affirmations qui reprennent une position déjà défendue par le Medef en 2015.
Face à cet argument, les opposants aux ordonnances soulignent que la « peur d’embaucher » n’est pas le principal obstacle rencontré par les chefs d’entreprise. En juin 2017, l’Insee a ainsi dévoilé une note de conjoncture qui s’intéresse aux « barrières à l’embauche ». Les deux premiers freins identifiés par les entreprises sont « l’incertitude liée à la situation économique » (28 %) et « l’indisponibilité d’une main-d’œuvre compétente » (27 %) ». Les risques juridiques du licenciement ne sont cités que par 14 % des entreprises, et le coût du licenciement n’inquiète que 10 % d’entre elles.
Des juges aux mains liées ?
Selon la CGT, le barème obligatoire n’est rien d’autre qu’un « contournement du juge ». « Cela va permettre de connaître le prix à payer pour se séparer d’un salarié, quels qu’en soient les motifs » expliquait à 20 Minutes Fabrice Angéï, membre du bureau confédéral du syndicat.
Une vision qui n’est pas partagée par Deborah David, avocate spécialisée en droit du travail au cabinet Jeantet. « Le juge disposera d’une liberté encadrée, affirme-t-elle. Il aura toute latitude – dans la fourchette du barème - pour octroyer les dommages et intérêts qu’il estimera légitimes. » Elle rappelle en outre que les licenciements jugés comme étant « nuls » (discrimination, harcèlement, lanceur d’alerte) « sont exclus du barème », et pourront donc être lourdement sanctionnés.
Vers une diminution des recours ?
La réforme pourrait également faire chuter le nombre de saisines des prud’hommes, étant donné qu’il sera désormais possible de « prévoir » le coût du contentieux. « Il va certainement y avoir un désengorgement des conseils de prud’hommes avec davantage de ruptures à l’amiable » prédit Deborah David.
Une tendance facilitée par la loi Travail votée en 2016, qui avait changé la procédure de saisine. Résultat : selon Mediapart, le nombre de recours a chuté de 20 % l’année dernière. La baisse atteint même 47 % si on compare mars 2017 avec mars 2016. « « La procédure est devenue plus compliquée, déplore Anaïs Ferrer, responsable du service juridique de la CGT. Un salarié ne va pas aller aux prud’hommes pour toucher 3 mois de salaire, sachant qu’il y a les frais d’avocat ». L’instauration du barème obligatoire, combinée au raccourcissement du délai pour saisir les prud’hommes (de 2 à 1 an) est clairement un mauvais signal pour les syndicats.