Les Français peuvent-ils (re)devenir plus productifs ?
TRAVAIL•Depuis la fin des années 1990, la France a subi un ralentissement marqué de la croissance de sa productivité horaire du travail et un décrochage par rapport aux États-Unis…Céline Boff
Champions de la productivité, les Français ? Ils se situent effectivement à un très bon niveau, comme le démontre le schéma ci-dessous :
Mais ils « s’améliorent » de moins en moins : si la productivité du travail progressait de +3 à +4 % par an dans les années 1970, cette croissance se limite désormais à +1 %. Pour tenter de comprendre ce ralentissement, la Banque de France et France Stratégie ont organisé une conférence ce mercredi avec de multiples économistes.
Première nouvelle : La France n’est pas une exception
Le décrochage de la productivité horaire est en effet un phénomène généralisé. Peut-être parce que, comme le pense Robert Gordon, économiste à l’université Northwestern (Etats-Unis), les innovations technologiques génèrent de moins en moins de croissance. Les NTIC, comprenez les nouvelles technologies de l’information et de la communication, ont en effet entraîné un sursaut bien moindre en termes de hausse de la productivité que la machine à vapeur. Ou peut-être plutôt, comme le défend Philippe Aghion, professeur au Collège de France, « parce que les instituts de statistiques ne savent pas mesurer ces gains ». Il cite Internet, qui n’a pas seulement changé « la manière de produire des biens et des services mais également la manière de produire des idées », une richesse plus difficilement quantifiable.
Deuxième nouvelle : Il existe bien des spécificités françaises
Si le ralentissement de la productivité est un phénomène mondial, la France est toutefois un cas à part. D’abord parce que ce coup de frein « s’est manifesté avant en France, dès les années 1990 et non au cours des années 2000 comme dans les autres pays », souligne Giuseppe Nicoletti, de l’OCDE. Mais aussi parce que, comme le note France Stratégie, « le processus de destruction créatrice » de l’économie française, c’est-à-dire sa capacité à réallouer le travail vers les entreprises les plus productives, est moins intense en France qu’aux États-Unis ou en Allemagne. Autre différence : le sous-investissement de la France dans les machines – le taux d’équipement en robotique des entreprises est deux fois plus faible en France qu’en Allemagne – ou dans les nouvelles technologies – 63 % des entreprises françaises possèdent un site web contre 90 % dans les pays nordiques.
Troisième nouvelle : La France a les capacités de rebondir
Et donc de doper à nouveau sa compétitivité. Tous les experts ayant participé à la conférence y croient… A condition que le pays – et avant tout, ses gouvernants – se décide à actionner trois leviers.
. L’éducation
Les enquêtes PISA (pour les enfants) et PIIAC (pour les adultes) le démontrent : les Français ne sont pas assez bien formés par rapport aux autres pays de l’OCDE. « Nous devons revoir notre système éducatif », insiste Vincent Aussilloux, de France Stratégie, qui rappelle que « la France dépense 20 à 30 milliards d’euros de moins dans la formation initiale que des pays comparables ». Pour Xavier Ragot, de l’OFCE, « dans le primaire et dans le secondaire, ce ne sont pas les moyens financiers qui manquent, mais les méthodes d’enseignement et le système d’évaluation des élèves qui sont à revoir ». En revanche, « l’enseignement supérieur manque cruellement de moyens » – au moins 11 milliards d’euros selon Xavier Ragot.
. Le marché du travail
Pour Philippe Aghion, l’urgence serait de réformer le marché du travail pour le rendre encore plus flexible. Donc de proposer une nouvelle loi Travail ? « Oui, mais avec de véritables contreparties pour les travailleurs. Il faut sécuriser les parcours comme c’est le cas en Finlande où les allocations-chômage sont très généreuses et où les demandeurs d’emploi sont réellement formés. Tant que ces réformes ne seront pas mises en place, les actifs refuseront toute flexibilité supplémentaire », répond l’économiste. Pour Vincent Aussilloux, il est également urgent de s’attaquer aux inégalités et notamment à l’écart salarial entre les femmes et les hommes (12 % à postes et expériences similaires). « Les calculs nous prouvent que réduire les inégalités se traduira par une hausse de la productivité et par une croissance bien plus forte », insiste-t-il.
. L’innovation
La France est à la traîne en matière de R & D. « En termes de brevet par habitant, l’Allemagne innove deux fois plus que la France. Et la Suisse, c’est quatre à cinq fois plus », précise David Hemous, de l’université de Zürich. Et ce n’est pas par manque d’argent public : « La France est l’un des pays qui dépense le plus dans ce domaine. A l’inverse, l’Etat allemand ne finance pratiquement pas l’innovation ». Plutôt que de miser sur le Crédit d’impôt recherche (CIR), David Hemous préconise de diminuer l’imposition pour les chercheurs – afin d’attirer les innovateurs étrangers – et de renforcer les liens entre les universités et les entreprises. Vincent Aussilloux recommande, lui, de « développer le capital-risque alors qu’il se situe à un niveau quatre fois inférieur en France par rapport aux Etats-Unis ou à la Chine ». Et d’assurer : « Aux Etats-Unis, les entreprises financées par le capital-risque réalisent 82 % de la R & D ». Renforcer l’innovation pourrait également réduire les inégalités. En tout cas, « les endroits où il y a le plus d’innovation sont ceux où la mobilité sociale est la plus forte, c’est-à-dire où il y a le moins de corrélations entre les revenus des parents et ceux de leurs enfants », conclut Philippe Aghion.