Peut-on être à la fois militant du FN et de la CFDT?
PROCES•Un conseiller régional FN exclu de la CFDT en 2015 poursuit son ex-syndicat pour « pratique discriminante à l’adhésion » et atteinte à « la liberté d’opinion »…Céline Boff
La CFDT a-t-elle le droit d’exclure l’un de ses membres dans la mesure où celui-ci se révèle être un militant actif du Front national ? C’est à cette question que les juges du tribunal de grande instance (TGI) de Paris vont devoir répondre. Mardi après-midi, ils se sont plus précisément penchés sur le cas de Dominique Bourse-Provence, 64 ans.
Militant de la CFDT depuis 1999, plus particulièrement du Synafor-CFDT qui défend les intérêts des personnels des organismes de formation, l’homme a longtemps été « un adhérent exemplaire », selon son avocat, Me Benoît Sevillia.
Il est devenu « le pestiféré à abattre »
Son parcours semble en témoigner puisque Dominique Bourse-Provence prend de plus en plus de responsabilités au sein du Synafor-CFDT, jusqu’à devenir, en 2009, conseiller au tribunal des prud’hommes de Paris. Pendant toutes ces années, il affiche une sensibilité politique « de gauche » et ne cache pas son « vote socialiste ». Mais il change progressivement d’idées jusqu’à adhérer, en 2012, au Front national.
Ce revirement était-il connu au sein du Synafor-CFDT ? Les avocats n’ont pas détaillé ce point mardi pendant l’audience. Toujours est-il que les choses se gâtent entre la CFDT et Bourse-Provence à partir de mars 2014, quand ce dernier se présente sur une liste FN pour les municipales, tout en se prévalant d’appartenir à la CFDT.
Il devient alors aux yeux de son syndicat « le pestiféré à abattre », assure Me Benoît Sevillia. Après une série de vifs échanges, le syndicaliste frontiste est finalement exclu du Synafor-CFDT le 9 juillet 2015. Mais, n’admettant pas cette décision, il décide de poursuivre son syndicat devant la justice.
Une décision « purement discriminatoire » ?
Me Sevillia justifie cette action en mettant d’abord en avant des problèmes de forme – la procédure d’exclusion n’aurait pas, selon lui, été menée dans les règles de l’art. Ce que conteste l’avocat de la CFDT, Me Henri Leclerc. Mais le véritable débat ne se situe pas là, il porte bien sur le fond : la CFDT avait-elle oui ou non le droit d’exclure Dominique Bourse-Provence ?
Pour son avocat, la réponse est non. Me Sevillia met en avant une décision « purement discriminatoire » et plaide la liberté d’opinion. Il en appelle à la Constitution, à la Déclaration des droits de l’homme ou encore aux statuts de la CFDT, tous censés garantir la liberté d’avoir ses propres idées. Et conclut que l’exclusion de son client est donc « une sanction de la liberté d’opinion ».
Il a tenu des propos d’une « violence inouïe » contre la CFDT
« Il ne faudrait pas confondre liberté d’opinion et liberté d’expression », rétorque l’avocat de la CFDT. « Ce qui est reproché à M. Bourse-Provence n’est pas d’avoir une opinion ni même de l’exprimer, mais d’en mener le combat », martèle Me Leclerc, qui rappelle que l’homme est désormais conseiller régional FN en Ile-de-France. Il lui est aussi reproché « la violence inouïe de ses propos contre la CFDT, dont il se vantait dans le même temps d’être l’un des responsables ».
Me Leclerc voit dans l’action en justice de l'élu FN « une manipulation », la volonté « d’utiliser le tribunal » pour servir des fins politiques. Dominique Bourse-Provence ne cache d’ailleurs pas son agenda puisqu’il avait créé, en 2015, le « Cercle front syndical », un groupe de pression qui s’était fixé comme mission de poursuivre tous les syndicats envisageant d’exclure des adhérents convertis au parti de Marine Le Pen.
Or, insiste Me Leclerc, « si la CFDT est un syndicat, elle n’en a pas moins des convictions politiques, qui sont radicalement opposées à celles du FN ». Et de citer « la préférence nationale » voulue par le parti, quand le syndicat se bat lui pour « l’égalité entre tous les travailleurs », quelles que soient leurs nationalités.
« Le syndicat doit être libre de choisir ses membres »
Que décideront les juges ? Ils pourraient s’appuyer sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme de 2007 (requête n°11002/05). L’histoire est un copier-coller de celle de Dominique Bourse-Provence, sauf que son rôle est tenu par un certain « M. Lee » et qu’elle se situe au Royaume-Uni.
Dans son arrêt, la Cour, qui a in fine donné raison au syndicat, écrit : « De même qu’un travailleur doit être libre d’adhérer ou de ne pas adhérer à un syndicat sans être sanctionné ou faire l’objet de mesures de dissuasion, de même, le syndicat doit être libre de choisir ses membres ».
Estimant que « M. Lee » n’a pas « subi de désavantage » dans cette affaire d’exclusion « si ce n’est la perte de sa qualité de membre du syndicat », elle ajoute : « Les syndicats britanniques, et les syndicats européens en général, ont de longue date été affiliés à des partis ou des mouvements politiques, en particulier ceux de gauche, même si c’est peut-être moins le cas aujourd’hui. Il ne s’agit pas d’organes qui se consacreraient uniquement aux aspects politiquement neutres du bien-être de leurs membres ».
Le TGI de Paris sera-t-il du même avis ? Réponse le 7 février, date à laquelle le jugement a été mis en délibéré.