L'Espagne, Eldorado de la procréation médicalement assistée
"Faire de nos patients des parents": les cliniques de fertilité ...© 2016 AFP
«Faire de nos patients des parents»: les cliniques de fertilité espagnoles accueillent à bras ouverts couples hétérosexuels, homosexuels et femmes seules, grâce à l'une des législations les plus souples d'Europe, au risque de ne pouvoir combler leur désir d'enfant.
Plus de 5.000 personnes franchissent chaque année le seuil de la clinique du groupe IVI de Madrid. Dans ce bâtiment de verre ultramoderne, des couples attendent patiemment d'être pris en charge dans une atmosphère feutrée, où l'on entend parler anglais, espagnol, français. Environ 20% des patients du groupe sont étrangers.
Ici la législation autorise «des traitements interdits dans de nombreux pays», explique le Dr Juan Antonio García Velasco, directeur de l'établissement.
Depuis 2006, les femmes de 18 ans et plus, seules, en couple hétérosexuel ou homosexuel, ont accès aux techniques de PMA (procréation médicalement assistée).
Le don de sperme et d'ovocytes est anonyme et gratuit, même si, dans les faits, la loi prévoit une compensation financière de 800 à 1.000 euros pour les donneuses et qu'il faut trouver une femme ressemblant aux futurs parents.
Fortes d'une tradition de don d'organes, les Espagnoles sont les Européennes qui donnent le plus leurs ovocytes: elles ont permis 15.600 traitements en 2011, devant la République tchèque (3.300) et la Grande-Bretagne (2.100) et la Belgique (1.100), selon des données de Société européenne de reproduction humaine et d'embryologie ESHRE.
- Service personnalisé -
Emmanuelle Lino (tous les noms de témoins ont été modifiés), une Française, fait partie des heureux clients de ce type de cliniques. A 45 ans, elle vient d'accoucher d'un petit garçon conçu à Barcelone grâce à un don d'ovocytes.
Cette femme mariée avait tenté la fécondation in vitro (FIV) en région parisienne, sans succès. Elle n'a pas pu refaire un essai car à 43 ans passés, elle avait dépassé l'âge limite fixé par la Sécurité sociale française pour la prise en charge de ces traitements. Par ailleurs, les dons d'ovocytes sont rares en France.
Elle a envisagé un temps d'aller en Belgique, autre destination prisée des femmes ayant des problèmes de fertilité. Mais «on m'a dit qu'il y avait énormément d'attente», témoigne-t-elle.
La plupart des patientes étrangères des cliniques espagnoles ont, comme Emmanuelle, une quarantaine d'années, sont en couple avec un homme et viennent pour un don d'ovocytes.
D'autres demandent une congélation d'ovocytes, une technique permettant de retarder la conception d'un enfant en limitant une partie des risques liés à une grossesse tardive.
En Espagne, les cliniques privées se plient en quatre pour attirer les clients étrangers, que convoitent aussi des pays comme la République tchèque ou la Grèce.
«J'ai rempli le formulaire de contact sur internet et on m'a rappelé dès le lendemain, en allemand», témoigne Silke Khrause. Cette secrétaire de 46 ans, célibataire et vivant près de Düsseldorf en Allemagne, avait envisagé le Danemark pour un don d'ovocytes mais «tout était en anglais, c'était très compliqué». Elle s'est décidée pour Barcelone.
- 200 centres gynécologiques en Espagne -
«Dès l'arrivée de la patiente et jusqu'à son départ, tout se fait dans sa langue maternelle» et elle est suivie par une coordinatrice unique, se félicite le Dr Amelia Rodriguez, du groupe Eugin.
Les cliniques espagnoles jouent aussi sur les prix.
Maria Smith, 46 ans et en couple, s'est vu proposer un don d'ovocytes pour 7.000 euros, contre 13.000 à Londres. Si elle a finalement opté pour la Grande-Bretagne, c'est pour pouvoir connaître l'identité de la donneuse, ce qui n'est pas possible en Espagne.
Le secteur se porte bien. L'Espagne compte environ 200 centres gynécologiques, le nombre le plus important d'Europe.
Et plus largement, le pays cherche à développer le «tourisme médical» privé, bien plus lucratif que le tourisme classique selon Monica Figuerola, chargée de promouvoir l'offre de santé espagnole à l'étranger.
Entre soins, médicaments, avion et hôtel, il faut compter plusieurs milliers d'euros.
Les grossesses plus tardives, la législation et la demande étrangère «ont stimulé ces dernières années la hausse de l'activité des cliniques» de fertilité, souligne l'Observatoire sectoriel DBK Informa.
Leur chiffre d'affaires était de 365 millions d'euros en 2014 et devrait croître de 5 à 6% par an d'ici fin 2016.
Fort de leur succès, des groupes comme IVI essaiment à l'étranger. Eugin a été racheté par le groupe emirati NMC Healthcare.
- 'Le parcours du combattant' -
Le chercheur français Jacques de Mouzon, spécialiste de la fertilité à l'Inserm, refuse cependant le terme de «tourisme procréatif». «Pour les patients, c'est le parcours du combattant», souligne-t-il.
Sabrina Ferrant, célibataire de 33 ans, a recouru au financement participatif (crowdfunding) pour réunir une partie des 5.500 euros nécessaires à sa FIV. Et, atteinte d'endométriose, une cause d'infertilité, elle a fait cette FIV en Espagne car en France les traitements sont réservés aux couples. Aujourd'hui, cette Montpelliéraine attend des jumeaux.
«Neuf femmes sur dix tombent enceinte», indiquent des publicités sur internet, oubliant de préciser après combien d'essais et si ces grossesses arrivent à terme.
«Il y a un risque de déception», avertit la gynécologue française Joëlle Belaïsch-Allart. «Il faut que les femmes soient conscientes qu'il n'y a pas de garantie».
Alors que les cliniques espagnoles acceptent des clientes jusqu'à 50 ans, cette gynécologue met en garde contre les risques liés à une grossesse tardive: diabète, prématurité, hémorragie à l'accouchement, fausse couche, etc.
Une fois chez elles, c'est aux systèmes de santé de leur pays de prendre en charge les futures mères et de couvrir les surcoûts liés à ces grossesses à risque, des échographies mensuelles aux arrêts maladie.