ENERGIEComment se portent les centrales nucléaires françaises?

«Grand carénage»: Comment se portent les centrales nucléaires françaises?

ENERGIELe groupe EDF prévoit de dépenser 50 milliards d’euros jusqu’en 2025 pour entretenir et améliorer ses centrales...
Céline Boff

Céline Boff

Les centrales nucléaires françaises sont-elles bien entretenues ? EDF, dont l’endettement a pulvérisé des records en 2015, a-t-il les moyens financiers d’assurer leur maintenance ? Ce jeudi, le n°1 français de l’électricité avait convié la presse pour faire le point, et surtout l’éloge de son « grand carénage ». L’occasion pour 20 Minutes de revenir sur ce vaste chantier.

Qu’est-ce que le « grand carénage » ?

C’est le nom donné par EDF à son programme de maintenance et d’amélioration de ses centrales nucléaires – rappelons que l’entreprise gère 58 réacteurs en France métropolitaine. L’électricien qui a, selon la Cour des comptes, négligé ce type de dépenses entre 2006 et 2011 se rattrape depuis. D’abord parce que son parc commençait à afficher de mauvais indicateurs de performance. Mais aussi parce qu’EDF aimerait bien augmenter la durée de vie de ses centrales. A l’origine, ces dernières ont été conçues pour tourner pendant 40 ans. La plupart ayant été mises en service au cours des années 1980, leur date de péremption approche.

Depuis 2011, date du lancement du « grand carénage », EDF multiplie donc les études et les travaux (remplacement des générateurs de vapeur, modernisation du contrôle commande, rénovation des turbines, etc.). « Compte tenu des améliorations continues que nous apportons à nos centrales, leur durée de vie pourrait aller jusqu’à 60 ans », assure Dominique Minière, directeur exécutif d’EDF en charge du parc nucléaire et thermique. Vraiment ? Ce sera à l’ASN, c’est-à-dire à l’Autorité de sûreté nucléaire, d’en juger. Mais pas avant 2019 : c’est à cette date qu’elle décidera si le premier réacteur ayant atteint sa 40e année de mise en service, à savoir celui du Tricastin 1 (Drôme/Vaucluse), pourra continuer à fonctionner pendant dix années supplémentaires.

Quel est le niveau de confiance d’EDF ?

Il est (bien sûr) élevé. Il y a un mois, EDF a reçu un courrier de l’ASN listant ses attentes pour autoriser éventuellement l’électricien à prolonger la durée de vie de certains de ses réacteurs (ceux de 900 Mégawatts). Ce document de 80 pages, qui recense autant de demandes de travaux à réaliser, ne semble pas effrayer EDF. Au contraire : « Ce courrier nous donne confiance dans notre capacité à réussir notre quatrième visite décennale [le contrôle technique des 40 ans] », affirme Dominique Minière.

EDF se rassure également en regardant outre-Atlantique : aux Etats-Unis, pays accueillant le premier parc nucléaire au monde, 75 % des réacteurs ont déjà obtenu l’autorisation de fonctionner jusqu’à leurs 60 ans « et les 25 % restants n’ont pas encore déposé leur demande », se réjouit Dominique Minière. D’après ce directeur, les Américains étudieraient même la possibilité de prolonger le fonctionnement de leurs centrales jusqu’à leurs 80 ans… Soit le double de leur espérance de vie initiale.

Combien ça coûte ?

EDF a prévu d’investir, pour la période 2014 à 2025, environ 4,2 milliards d’euros par an, soit autour de 50 milliards d’euros sur 12 ans. Mais pour la Cour des comptes, l’addition tournerait plutôt autour des 100 milliards d’euros. « Ce chiffre n’est pas incohérent avec le nôtre », réagit Dominique Minière. S’il est différent, poursuit le directeur, c’est parce que « la Cour des comptes fait ses calculs sur une période plus longue : elle va jusqu’à 2030 contre 2025 pour nous. De plus, elle prend en compte les dépenses opérationnelles de maintenance, quand nous retenons seulement celles d’investissement ».

En tout cas, 2025 est une année clef puisqu’à cette date, la part du nucléaire dans la production nationale d’électricité devrait être de 50 %, contre 75 % à l’heure actuelle. C’est en tout cas ce que dit la loi. Pour la respecter, EDF devrait être amené à fermer les deux réacteurs de Fessenheim mais également, selon la Cour des comptes, 17 à 20 autres réacteurs. Or, disent les magistrats de la rue Cambon, « aucune évaluation n’a été réalisée, ni par l’Etat ni par EDF, sur les conséquences économiques potentielles de l’application de la nouvelle loi ». Et d’ajouter : « Les enjeux s’élèvent pourtant à plusieurs milliards d’euros par an ».

Le « grand carénage » sera-t-il rentable ?

Pour EDF, cela ne fait aucun doute : « Ce programme est le meilleur investissement pour le pays et pour les clients, il est la solution la plus économique pour produire de l’électricité », insiste Dominique Minière. Même si les prix de l’énergie restent aussi bas qu’ils le sont à l’heure actuelle ? « Nous ne sommes pas inquiets car ces prix vont remonter. Nous regardons les projections, notamment celles effectuées par l’Agence internationale de l’énergie, pour la prochaine décennie et même en retenant les niveaux les plus faibles, le grand carénage reste rentable ».

D’autant plus que, selon Etienne Dutheil, le directeur du programme « Grand Carénage », les chantiers révèlent pour l’instant « plutôt des bonnes surprises ». Grâce à des opérations annulées, d’autres décalées dans le temps et la mise en place de nouvelles solutions, EDF parvient à « dépenser moins que ce qu’elle avait prévu [le montant prévu – soit 4,2 milliards par an – intégrant d’après EDF un surcoût d’environ 20 % directement lié au risque] », assure Etienne Dutheil.

Pourquoi ne pas investir plutôt dans les énergies renouvelables ?

En octobre, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) publiait une étude intitulée « Un mix électrique 100 % renouvelable ? Analyses et optimisations ». Et l’Ademe concluait que la France pourrait, effectivement, s’alimenter uniquement en électricité renouvelable à cet horizon… si elle en avait la réelle volonté. EDF ne partage pas ce point de vue : « Cette étude repose sur des éléments sans aucune réalité technologique », balaye Dominique Minière, qui cite notamment « le fait que l’électricité ne peut être stockée à l’heure actuelle ».

D’après le n°1 français de l’électricité, il serait même dangereux de vouloir évoluer trop rapidement vers un mix 100 % renouvelable. Pour convaincre, Dominique Minière cite l’exemple allemand. Outre-Rhin, le pays a massivement investi dans le solaire et l’éolien ces cinq dernières années. Résultat : « Son parc est 1,5 fois plus puissant que le parc nucléaire français et pourtant, il produit trois à quatre fois moins d’électricité que le nôtre ». Ce qui contraint l’Allemagne à recourir aux centrales au gaz et au charbon. Pour un bilan carbone déplorable, assure Dominique Minière : « En 2010, EDF émettait 10 fois moins de CO2 que l’Allemagne en 2010, désormais c’est trente fois moins ».

Mais pour Bruno Léchevin, président de l’Ademe, il appartient justement « à chacun de prendre sa part - chercheurs, experts, acteurs publics, acteurs économiques (…) - pour modifier en profondeur ses pratiques et rendre possible un véritable déploiement des énergies renouvelables, assis sur une efficacité énergétique poussée et des réseaux profondément adaptés ».