«Panama papers»: comment les protagonistes sont passés entre les mailles du filet ?
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Montages offshore, sociétés écran, actions au porteur... Le scandale du «Panama papers» met en lumière la sophistication des stratégies d'évasion fiscales utilisées par les fraudeurs. Comment fonctionnent ces instruments ? Sont-ils illégaux ? Sont-ils suffisamment combattus ?
Quels sont les mécanismes utilisés?
Au coeur des stratégies pour dissimuler des avoirs figurent les sociétés écrans, utilisées pour cacher l'identité du propriétaire réel d'un compte ou d'une société.
Parmi elles, on dénombre les «trusts», des structures juridiques «offshore» - autrement dit basées à l'étranger et bien souvent dans des paradis fiscaux - administrées par des personnes qui apparaissent comme les responsables de ces structures. Ce qui permet de passer sous silence l'identité des véritables bénéficiaires, qui échappent à l'impôt de leur pays d'origine.
Selon Daniel Lebègue, président de Transparency International France, interrogé par l'AFP, «il y a des centaines de milliers de trusts dans le monde», à Panama, mais aussi à Guernesey, aux Bahamas ou encore dans les Iles vierges britanniques.
Les fondations sont une autre forme de structure opaque, très utilisée par certains Etats comme le Liechtenstein, précise M. Lebègue.
Le scandale des «Panama papers» met aussi en lumière l'omniprésence, dans les stratégies d'évasion fiscale, des «actions au porteur», ou «bearer shares», des titres permettant de ne pas divulguer l'identité de leur propriétaires, à la différence des actions nominatives.
Sont-ils illégaux?
Recourir à des sociétés «offshore» n'est pas illégal en soi. En France, par exemple, ces sociétés sont autorisées si elles sont déclarées au fisc.
Mais pour M. Lebègue, «derrière ces structures opaques, il y a de l'argent très noir, issu d'activités criminelles (comme le trafic de drogue, le grand banditisme, ou encore le terrorisme), de l'argent noir (issu par exemple de la corruption), et de l'argent gris (tout ce qui tourne autour de l'optimisation fiscale).»
«Il peut y avoir aussi sur ces comptes de l'argent correspondant à des activités autorisées, par exemple dans le financement d'avions, ou de navires, pour des raisons de simplicité administrative», nuance-t-il.
De même, les actions au porteur ne sont pas illégales en soi. «Si la législation d'un pays prévoit une action au porteur, par définition ça n'est pas illégal», souligne à l'AFP Pascal-Saint Amans, qui coordonne la lutte contre les paradis fiscaux à l'OCDE. «En revanche, c'est contraire aux standards internationaux. Non pas l'action au porteur elle-même, mais de ne pas savoir qui est derrière».
Que manque-t-il pour éradiquer l'évasion fiscale?
De nombreux efforts ont été réalisés depuis 2009, sous l'impulsion du G20. Ce processus s'est traduit par un affaiblissement du secret bancaire (90 pays se sont engagés à échanger automatiquement leurs informations financières d'ici 2018) et par un plan de lutte contre l'optimisation fiscale des multinationales, le «BEPS», adopté en novembre, qui les oblige à déclarer leurs activités pays par pays.
Ces efforts n'ont pas tout réglé. Certains pays ne sont pas encore passés aux actes. Même au sein de l'UE, plusieurs offrent la possibilité de créer des sociétés avec des prête-noms. «Le G20 s'est mis d'accord sur l'objectif et le principe» mais tous «n'ont pas encore pris les mesures nécessaires pour ce faire», souligne Daniel Lebègue.
Plus globalement, les pays peinent à mettre un terme à l'opacité, en raison du manque de coopération de certaines juridictions, et de la complexité des techniques utilisées. «Les fraudeurs s'adaptent», explique à l'AFP Antoine Bozio, directeur de l'Institut des politiques publiques (IPP), pour qui «la lutte contre la fraude fiscale se joue notamment sur les techniques financières».
Quels pays posent encore problème?
D'après une liste de la Commission européenne publiée en juin, 30 juridictions sont encore jugées insuffisamment coopératives. Parmi elles, de nombreuses îles des Caraïbes, comme Anguilla et Antigua-et-Barbuda, mais aussi les Seychelles ou le Liechtenstein. L'OCDE, quant à elle, recense 38 juridictions devant faire des progrès.
Un pays concentre les critiques: le Panama, considérée par les ONG comme un mouton noir de la lutte anti-corruption, en raison notamment de son grand nombre de sociétés offshore (près de 100.000) et de sa réticence à rendre plus transparentes les fameuses «actions aux porteurs».
«Le +black money+ s'est concentré dans les juridictions qui restaient les plus opaques, et la plus opaque d'entre toutes, c'est Panama», souligne Pascal Saint-Amans, qui évoque une «ligne de front»: «Plus on avance, plus les fraudeurs se concentrent sur les pays qui n'ont pas fait de progrès».