ETHIQUELe plan de lutte contre la corruption de Michel Sapin est-il à la hauteur?

Loi Sapin 2: Le plan de lutte contre la corruption imaginé par le gouvernement est-il à la hauteur?

ETHIQUELe ministre des Finances Michel Sapin a présenté ce mercredi en Conseil des ministres son projet de loi de lutte contre la corruption...
Céline Boff

Céline Boff

En matière de lutte contre la corruption, la France pourrait mieux faire. C’est l’OCDE qui le dit, rapport après rapport. Et Transparency international aussi. Tout comme la Commission européenne. Bref, poussé de toute part, le gouvernement a décidé d’agir.

Michel Sapin, le ministre des Finances, a présenté ce mercredi en Conseil des ministres son projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Que contient ce texte surnommé « Sapin 2 » ? Les mesures sont-elles à la hauteur de l’enjeu ? 20 Minutes fait le point.

Lutter contre la corruption des entreprises françaises à l’étranger

Quels sont les faits ? Ces 15 dernières années, une seule entreprise - Total - a été condamnée par la justice pour des faits de corruption internationale. Nos groupes tricolores seraient-ils irréprochables ? Pas vraiment, puisqu’à l’étranger, ils écopent de condamnations. Notamment aux Etats-Unis, où Technip, Alcatel-Lucent ou encore Alstom ont dû s’acquitter d’amendes. Alstom a par exemple accepté de payer 772 millions de dollars pour des pots-de-vin présumés.

Que propose le projet de loi ? De créer une Agence nationale de prévention et de la détection de la corruption. Dans les faits, cette instance viendra remplacer le Service central de prévention de la corruption. Michel Sapin l’assure : « Ce n’est pas un "machin administratif" de plus, mais bien un organisme aux larges pouvoirs, chargé de conseiller, former, contrôler et sanctionner le cas échéant ». En tout cas, elle disposera de moyens renforcés avec 70 agents, contre 16 à l’heure actuelle. Pour mieux poursuivre les faits de corruption ou de trafic d’influence d’un agent public étranger, le projet de loi prévoit également la possibilité pour la ou les victimes de se constituer partie civile. Il sera aussi possible de condamner des étrangers résidant habituellement en France pour des faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger. Actuellement, seuls les Français peuvent être poursuivis et condamnés en France pour ces deux délits lorsqu’ils sont commis à l’étranger.

Qu’en pense l’expert ? Daniel Lebègue, président de Transparency International France : « C’est bien, mais il manque malheureusement un volet essentiel : celui de la justice. A l’origine, le projet de loi prévoyait de lui donner les moyens de réellement poursuivre et sanctionner les entreprises contrevenantes, grâce au dispositif nouveau de la « transaction pénale ». Cet outil devait permettre aux entreprises mises en cause de s’éviter une condamnation pénale en s’acquittant d’une amende plafonnée à 30 % de leur chiffre d’affaires moyen sur les trois dernières années. Mais le Conseil d’Etat a jugé que ce dispositif était contraire à la culture française… C’est vraiment regrettable, parce qu’il a fait ses preuves à l’étranger, aux Etats-Unis bien sûr, mais également au Royaume-Uni, en Allemagne ou encore en Italie ».

Mieux encadrer l’activité des lobbys

Quels sont les faits ? Les représentants de groupes de pression (tabac, chimie, agriculture, etc.) ont pour l’heure une seule contrainte : celle d’inscrire leur nom dans un fichier lorsqu’ils s’adressent à un parlementaire – qu’il soit député ou sénateur.

Que propose le projet de loi ? De contraindre les représentants des groupes de pression à se déclarer dans un registre tenu par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique lorsqu’ils s’adressent aux membres du gouvernement – ministres, secrétaires d’Etat, cabinets, etc. Ce fichier sera accessible à tous via Internet. Les cadeaux – voyages, restaurants, bouteilles de vin, etc. – seront interdits. « En cas d’infraction, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique pourra mettre en demeure le représentant d’intérêt et, en cas de réitération, rendre publique cette mise en demeure et infliger au contrevenant une amende de 30 000 euros maximum », précise Michel Sapin.

Qu’en pense l’expert ? Daniel Lebègue, président de Transparency International France : « Le Conseil d’Etat est venu, là aussi, affaiblir le texte originel. Alors que tous les lobbyistes étaient initialement tenus de s’inscrire sur le registre, le projet de loi exempte désormais les acteurs publics – élus, directeurs d’établissements publics, etc. Quant aux représentants des entreprises, des fédérations professionnelles ou encore des ONG, leur inscription sur le registre ne sera pas obligatoire. Nous pensons que le texte ne va pas assez loin : les citoyens français devraient avoir le droit de savoir comment se fabrique une décision publique ».

Créer un statut de lanceur d’alerte

Quels sont les faits ? Un lanceur d’alerte est une personne qui signale des comportements frauduleux ou des risques graves. Parmi les plus célèbres, il y a bien sûr l’Américain Edward Snowden ou l’Australien Julian Assange. Mais aussi, en France, Henri Pézerat, chercheur qui a révélé le scandale de l’amiante, ou Irène Frachon, qui a mis au jour celui du Mediator. En France, les lanceurs d’alerte sont mal protégés et doivent parfois assumer des frais de justice colossaux, notamment lorsqu’ils sont attaqués pour dénonciation calomnieuse.

Que propose le projet de loi ? De mieux les protéger, qu’ils soient des lanceurs d’alerte issus du secteur public ou du secteur privé. L’Agence nationale de détection et de prévention de la corruption, nouvellement créée, pourra les conseiller sur leurs droits et la protection juridique dont ils peuvent bénéficier. Après vérification, elle blanchira leur signalement en les reprenant à son compte et en transmettant l’information à la justice. Elle pourra prendre à sa charge les frais de procédure judiciaire.

Qu’en pense l’expert ? Daniel Lebègue, président de Transparency International France : « C’est une avancée incontestable, mais nous regrettons que ce texte s’applique seulement pour les alertes à la "probité", c’est-à-dire pour les personnes dénonçant des faits de délinquance financière – corruption, trafic d’influence, détournement d’argent, etc. Nous aurions aimé que l’Agence nationale de détection et de prévention de la corruption soutienne tous les lanceurs d’alerte, y compris ceux qui dénoncent des faits d’atteinte à l’environnement, à la santé publique ou encore à la consommation ».